Culture

Le fil sur Frantz Fanon projeté lors des 19es Rencontres Cinématographiques de Béjaïa: Un film puissant

La 19ème édition des Rencontres Cinématographiques de Béjaïa a offert aux cinéphiles une plongée émouvante dans l’histoire avec la projection du film « Frantz Fanon : Une vie engagée » du réalisateur Abdenour Zahzah. Cette œuvre, présentée le jeudi soir à la cinémathèque de la ville, a marqué les esprits par sa sobriété touchante et son portrait saisissant d’un homme qui a profondément marqué l’histoire de l’Algérie et la lutte anticoloniale.

Abdenour Zahzah, avec une sensibilité remarquable, a choisi de se concentrer sur une période charnière de la vie de Frantz Fanon : son passage à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville. Ce choix audacieux permet au réalisateur de dépeindre Fanon non pas comme une figure historique distante, mais comme un homme de chair et de sang, confronté quotidiennement aux défis de sa profession et aux injustices du système colonial. Le film nous plonge dans l’atmosphère oppressante de l’hôpital, véritable microcosme de l’Algérie coloniale. Zahzah met en lumière la ségrégation flagrante entre patients européens et musulmans. C’est dans ce contexte que nous découvrons un Fanon déterminé à bouleverser les pratiques établies, armé de ses convictions et de nouvelles approches médicales. L’un des aspects les plus fascinants du film est la manière dont il montre Fanon transformant l’hôpital de l’intérieur. Le réalisateur détaille avec précision les innovations apportées par le psychiatre : l’introduction de l’ethnopsychiatrie, la création d’espaces de socialisation comme le « café arabe », l’organisation d’activités culturelles… Autant d’initiatives qui visaient non seulement à soigner, mais aussi à redonner dignité et humanité à des patients trop souvent considérés comme de simples numéros. Ces scènes, tournées avec une grande attention aux détails d’époque, permettent au spectateur de s’immerger pleinement dans le quotidien de l’hôpital. On y ressent presque la tension palpable entre les anciennes méthodes et la vision révolutionnaire de Fanon.

Si le film se concentre principalement sur l’expérience de Fanon à Blida, il n’oublie pas pour autant de montrer les autres facettes de cet homme aux multiples talents. Des séquences évocatrices nous rappellent son génie d’écrivain, notamment à travers des extraits de son œuvre phare « Les Damnés de la Terre ». Zahzah parvient également à évoquer l’engagement politique profond de Fanon, sa lutte incessante contre le colonialisme et le racisme, sans jamais tomber dans l’hagiographie. Un moment particulièrement poignant du film montre Fanon écrivant frénétiquement, alors que sa santé décline. Cette scène illustre parfaitement la course contre la montre du penseur, déterminé à laisser une trace indélébile malgré la leucémie qui le ronge. Sa célèbre phrase « Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence » résonne alors avec une force particulière, comme un testament intellectuel et politique.

La projection du film a suscité une vive émotion parmi le public de Béjaïa. À la sortie de la salle, les discussions animées témoignaient de l’impact profond de l’œuvre. Beaucoup ont souligné la justesse du portrait dressé par Zahzah, saluant sa capacité à rendre Fanon accessible sans pour autant simplifier la complexité de sa pensée. « C’est un film qui nous rappelle l’importance de connaître notre histoire, mais aussi la pertinence toujours actuelle des idées de Fanon », confiait Amira, une jeune étudiante en psychologie. Pour Kamel, cinéphile averti, « le choix de se concentrer sur la période de Blida est judicieux. Cela permet de montrer comment les convictions de Fanon se sont forgées au contact direct de la réalité coloniale ». En choisissant de se focaliser sur une période précise de la vie de Frantz Fanon, Abdenour Zahzah réussit le pari de dresser un portrait intime et puissant de cette figure majeure de l’anticolonialisme. Le film évite l’écueil de la simple biographie chronologique pour offrir une réflexion profonde sur l’engagement, la dignité humaine et la lutte contre l’injustice. La réalisation sobre mais élégante sert parfaitement le propos, laissant la place aux idées et aux actions de Fanon plutôt qu’à des effets visuels tape-à-l’œil. Les acteurs, particulièrement celui incarnant Fanon, livrent des performances tout en retenue, renforçant l’authenticité du récit. « Frantz Fanon : Une vie engagée » s’inscrit ainsi comme un moment fort de ces 19èmes Rencontres Cinématographiques de Béjaïa. Il rappelle, s’il en était besoin, la vitalité du cinéma algérien contemporain et sa capacité à revisiter l’histoire pour mieux éclairer le présent.

Le succès du film lors de cette projection laisse présager un bel avenir pour l’œuvre d’Abdenour Zahzah. Plusieurs festivals internationaux ont déjà manifesté leur intérêt, promettant une diffusion au-delà des frontières algériennes. Une reconnaissance méritée pour un film qui parvient à rendre hommage à Frantz Fanon tout en questionnant la société contemporaine sur les héritages du colonialisme et l’importance de l’engagement individuel face aux injustices.

Mohamed Seghir

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