ContributionDébats

Les déterminants du processus inflationniste en Algérie

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international, ancien directeur général des études économiques et haut magistrat premier conseiller à la cour des comptes 1980/1983.

Les maladies apparentes du corps du social reflétent des dysfonctionnements au sein de l’économie. Ce sont pour tous les pays sont l’inflation et le chômage, alors qu’il appartenient à tout gouvernement d’en analyser l’essence afin d’atténuer les tensions sociales. Cette présente contribution, pouvant être appliquée à bon nombre de pays en voie de développement, analyse l’essence du processus inflationniste de l’Algérie.

Comprendre le processus inflationniste interne implique, à la fois, de le relier à l’inflation mondiale, aux équilibres macroéconomiques et macrosociaux internes, et selon une vision dynamique, à la répartition du revenu par couches sociales, l’évolution des salaires et traitements pour déterminer le pouvoir d’achat réel. C’est un problème complexe où chaque gouvernement essaie de concilier l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale. Pour le FMI après correction des données algériennes tenant compte des prix réels sur le marché de 1970 à fin 2023, la moyenne du taux d’inflation moyen a été de 8,8% par an et durant cette période le taux d’inflation aurait été de 6969,61%. En termes plus clairs:  un bien de consommation qui coûtait 100 dinars en 1970, coûte 7069,01 dinars à fin décembre 2022. Selon Statisca International corrigeant légèrement les données de l’ONS entre 2014 et fin 2023, l’inflation en Algérie a évolué ainsi : de 2014 à 2023 : 2014-2,92%, 2015 4,78%-2016 6,40%- 2017-5,59% – 2018 -4,27%- 2019- 5,60%- 2020- 6,70%- 2021-8,70% – 2022- 10,20% – 2023- 9,2%, avec une relative stabilisation entre 5/6% pour le premier trimestre 2024, puis à nouveau une accélération depuis le mois de mai à septembre 2024. Bon nombre de biens entre 2020/2024 ont connu une hausse entre 100% et 200% comme les pièces détachées et bien d’autres produits faute de prévisions et d’une bonne régulation tenant compte de l’offre et de la demande car le besoin est historiquement daté. À titre d’exemple avoir un ordinateur et se brancher sur internet est un nouveau besoin ignoré dans le calcul de l‘indice vers les années 1960/1970). Sans les transferts sociaux qui seulement pour l’année 2023 ont été de plus de 37 milliards de dollars pour un PIB estimé par la loi de finances 2023 à 248 milliards de dollars soit près 15% du budget de l’État , le taux d’inflation dépasserait largement les 20%. Je recense ici six facteurs interdépendants du processus inflationniste en Algérie.

Les facteurs du processus inflationniste

La première raison est la pression démographique et la faiblesse de la production et productivité interne et la non proportionnalité entre la dépense publique et les impacts économiques et sociaux. La population algérienne a évoluée ainsi :– 1960 11,27 millions – 1970 14,69 millions -1980 19,47 millions -1990 26,24 millions -2010 à 37,06 millions et au 01 janvier 2024, 46 044 729 habitants. Cela accentue la couverture des besoins à tous les niveaux, consommation, logements, emplois ect… (voir étude pour la présidence de la république sous la direction du Pr Abderrahmane Mebtoul pour la révision salariale, Pression démographique, inflation et évolution salariale en 4 volumes 560 pages .2008). Cela qui implique d’avoir un taux de croissance supérieur au taux de croissance de la population pour atténuer le taux de chômage. Le Ministère du travail a fait état de 2 350 000 bénéficiaires de l’allocation chômage en 2023 ( source APS), soit pour une population active d’environ 13 millions, un taux de chômage officiel à cette date, de 18% alors qu’il faut un taux de croissance, selon les institutions internationales de 8/9% sur plusieurs années pour absorber un flux de demande d’emplois par an entre 350.000/400.000 qui s’ajoute au taux de chômage actuel. Or, l’économie algérienne est caractérisée par une désindustrialsiaiton, alors que ce secteur est un des facteurs déterminant de la croissance de l’économie nationale. La part de l’industrie dans le PIB et le PIB hors hydrocarbures (source officielle APS) est sur une courbe décroissante entre 1965/2023, 1965/1977 près de 13% du PIB, 11% entre 1985/1999 et 6,6% en 2000/2005 et, selon le ministère de l’Industrie et de la Production pharmaceutique, le secteur industriel national en Algérie contribue fin 2023 à 4,1% du PIB (source APS – 12 mai 2024). Selon le Premier ministère, l’assainissement des entreprises publiques ont coûté au Trésor public, environ 250 milliards de dollars, durant les trente dernières années à fin 2020, dont plus de 90% sont revenues à la case de départ et plus de 65 milliards de dollars de réévaluation, les dix dernières années à fin 2020, faute de maîtrise de la gestion des projets. Malgré des dépenses en devises importantes entre 2000/2023 plus de 1100 milliards de dollars d’importations en biens et services en devises (sans compter les dépenses en dinars), la croissance a été en moyenne annuelle 2000/2023 entre 2,5/3% alors qu’elle aurait dû dépasser 9/10% : mauvaise gestion ou corruption ou les deux à la fois et pour la Banque mondiale révisant à la hausse leurs prévisions de croissance pour 2023 à 4,2 % et pour 2024 tout dépendra selon le FMI du niveau du cours des hydrocarbures. La deuxième raison est l’inflation importée du fait de l’extériorisation de l’économie algérienne important près de 85% des biens d’équipement et des matières premières des entreprises et une grande fraction des biens de consommation des ménages, encore selon le FMI, l’inflation mondiale a régulièrement reculé, de 8,7 % en 2022 à 6,9 % en 2023, et des prévisions à 5,8 % en 2024, en raison du resserrement de la politique monétaire facilité par une baisse des cours internationaux des produits de base.

La troisième raison est l’accroissement du déficit budgétaire qui , c’est une loi universelle appliquée à tous les pays, contribue à accélérer le processus inflationniste. Pour la loi de 2024, le budget de l’Etat prévoit des dépenses à 15.275,28 milliards DA en 2024 et des recettes de 9.105,3 milliards de DA, soit un déficit budgétaire d’environ 46 milliards de dollars. Pour l‘Algérie, pour assurer son équilibre budgétaire un cours du baril de plus e 140 dollars pour la loi de finances 2023, plus de 150 pour celle de 2024 contre 110 pour celles de 2021/2022 ,le prix fiscal et le prix du marché contenu dans les lois de finances 2023/2024 de 60/70 dollars étant simplement un artifice comptable. Cette dépréciation du dinar officiel permet d’augmenter artificiellement la fiscalité des hydrocarbures (reconversion des exportations d’hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), accentuant l’inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens, montant accentué par la taxe douanière s’appliquant à la valeur du dinar, supportée, en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité. La quatrième raison, est la dépréciation du dinar où le cours officiel du dinar algérien est passé (cours achat) en 1970 à 4,94 dinars 1 dollar,36 dinars un dollar après la cessation de paiement entre 1993/1994 et els accords avec le FMI, en 1980 à 5,03 dinars 1 dollar ; après la cessation de paiement vers les années 1992/1993 une dévaluation drastique en 1994 de plus de 40% cotant le dinar algérien à environ 36 dinars un dollar, en 2001, 77, 26 dinars 1 dollar et 69,20 dinars un 1 euro- – 2010 74,31 dinars 1 dollar et 103,49 dinars 1 euro -– 2020, 128,31 dinars 1 dollar et 161,85 dinars 1 euro – 2021 , 134,03 dinars 1 dollar et 157,80 un euro- 2022, 140, 24 pour 1 dollar et 139,30, un dinar pour 1 euro. Sur le marché parallèle, durant l’année 2011, il avait atteint une moyenne de 135 dinars 1 euro, le 8 octobre 2022, la cotation est de 209 dinars 1 euro et le 22 septembre 2022, l’euro s’échangeait à 227 dinars à l’achat et 229 dinars à la vente, le dollar américain à 210 dinars à l’achat et 212 dinars soit un écart entre l’officiel et le parallèle de près de 57%. Le 07 mars 2024, nous avons un : euro achat 238 dinars un euro, vente 240 dinars un euro-218 dinars un dollar américain achat, vente 220 dinars – Le 12 mars 2024, la monnaie continue sa dépréciation et un euro s’échange à 241,5 dinars vente au niveau du Square Port Saïd à Alger et un dollar à 223 dinars , entre les 18/20 septembre 2024, l’euro s’échange à 146.79 dinars algériens à l’achat et à 146.82 dinars à la vente et le 24 septembre 2024 un nouveau record historique, pour 100 euros à l’achat , la cotation est de 24.900 dinars, s’orientant vers 250 dinars un euro.

La cinquième raison, est l’importance de la sphère informelle produit de la faiblesse de l’offre avec des restrictions aux importations sans ciblage et la désorganisation des circuits de distribution. Pour la Banque d‘Algérie dans sa note de conjoncture de février 2024 indique que la circulation fiduciaire hors banques représente 33,35% de la masse monétaire globale en Algérie, soit quelque 7395 milliards de dinars à fin septembre 2022, contre 6712 milliards de dinars à fin décembre 2021, au cours de 137 dinars un dollar 53,98 milliards de dollars, plus de 33% de la masse monétaire en circulation, reflétant un état de sous-bancarisation où des entrepreneurs, gros commerçants , ménages et autres intermédiaires préfèrent le cash pour moins de traçabilité et surtout pour mieux échapper au fisc alors que dans les pays développés les plus bancarisés, la part de la circulation fiduciaire ne dépasse guère les seuils de 4 à 5% de la masse monétaire globale . Le marché informel dans le commerce dominant fait que bon nombre de produits non subventionnées ont tendance à s’aligner sur le cours du marché parallèle La finance islamique n’a pu drainer fin 2023 que moins de 8% du montant global de la sphère informelle , donc un résultat mitigé en n’oubliant jamais que tout agent économique, opérateur ou ménage guidé par la seule logique du profit, n’existant pas de nationalisme et de sentiments dans la pratique des affaires ( voir étude sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul- Institut Français des Relations internationales IFRI Paris « ,les enjeux stratégiques de la sphère informelle -2013-reproduite en synthèse réactualisée dans la revue Stratégie IMDEP du ministère de la défense nationale octobre 2019). La sixième raison est la fraude fiscale et la corruption à travers les surfacturations, les trafics aux frontières des marchandises subventionnées, qui se répercutent sur le prix final des biens et accroît le processus inflationniste.La directrice générale des Impôts a fait état, le 04 avril 2023, de 6000 milliards de dinars d’impôts non recouvrés soit au cours de 137 dinars un dollar 43,79 milliards de dollars. Pour les transferts illicites de capitaux à l’étranger, selon les données du FMI, les entrées en devises entre 2000/2023 sont estimées, approximativement, à plus de 1100 milliards de dollars avec une importation de biens et services de plus de 1030 milliards de dollars le solde étant les réserves de change. Et qu’en est- il des surfacturations, montant difficile à récupérer soit placés dans des paradis fiscaux ou par des personnes de nationalités étrangères, si on applique un taux variant entre 10/15% ?

En conclusion, le cadre macro-économique est relativement stabilité grâce aux recettes des hydrocarbures, les réserves de change fin 2023 étant estimées à 70 milliards de dollars, 83 avec les réserves d’or de 173 tonnes, et une dette extérieure inférieure à 1,6% du PIB. Cependant , il s’agit de transformer cette richesse virtuelle due grâce aux hydrocarbures en richesses réelles. Les mesures conjoncturelles ne peuvent qu’être que transitoire d’où l’urgence d’ une planification stratégique pour la relance économique 2024/2025/2030 conditionnée par une nette volonté d’approfondir les réformes structurelles, l’Economie étant avant tout politique et ce par une nouvelle gouvernance, la valorisation du savoir et la lutte contre le terrorisme bureaucratique qui étouffe les énergies créatrices.

ademmebtoul@gmal.com

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