Les impacts géostratégiques et économiques de l’élection de Trump
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités et expert international
L’élection du président Trump aux USA est le produit des effets pervers de la mondialisation qui a marginalisé, on le constate également en Europe, de pans entiers de la population tant au niveau mondial qu’au niveau interne des États, dont la lamination des couches moyennes, pivot de tout processus de développement, a conduit à l’émergence des régimes populistes de tendances nationalistes. Mais attention à l’Etat profond, les gens de l’ombre qui ont le véritable pouvoir, comme dans tous les pays du monde, peuvent jouer un rôle déterminant pour atténuer certaines positions qui nuiraient à l’objectif stratégique : continuer de faire des USA la première puissance économique et militaire au monde
1.-Sur le plan des relations internationales
Sans être exhaustif, je recense plusieurs effets, notamment :
-Un changement notable dans le conflit en Ukraine pouvant donc accélérer les négociations du fait des relations entre les présidents Poutine et Trump, l’Europe étant incapable à elle seule de supporter l’aide miliaire à l’Ukraine
-Un désengagement de la force militaire en Europe et par là devant accélérer une Europe de la défense, la préoccupation principale des USA est l’Asie, notamment la Chine, avec les deux alliés principaux de Washington le Japon et la Corée du Sud, à un degré moindre l’Inde rival de la Chine, sur le dossier épineux de Taiwan.
-Il n’y aura pas de changement notable de la position des USA au Moyen Orient, soutien inconditionnel à Israël mais paradoxe pouvant accélérer le « processus de paix » avec le risque d’une liquidation de la question palestinienne, car ne devant pas oublier que c’est sous la présidence de Trump qu’ont eu lieu les accords d’Abraham pour des relations entre certains pays arabes et Israël , et aidé par la Russie car n‘oublions pas, souvent oublié, bien que la Russie milite pour la solution à deux Etats, il faut prendre en compte les bonnes relations entre la Russie et Israël.
-De ce fait avec les tensions actuelles au Moyen Orient, les perspectives futures devraient préfigurer une nouvelle reconfiguration. Les USA auront un discours ferme vis-à-vis de l’Iran, mais pas plus, le monde ayant changé ce pays tissant des relations étroites avec d’autres grandes puissances comme la Russie sur le plan militaire et la Chine et l’Inde dans le domaine de l’approvisionnement énergétique où des contrats à moyen et long terme ont été conclus.
-Lié à cela et je pense que contrairement à certaines supputations, tout en prônant un discours ferme envers Israël à usage de consommation interne, l’Iran devrait se désengager progressivement de ses relais externes Hamas et Hezbollah et même au Yémen et les deux pays qui auront l’arme nucléaire seront Israël et l’Iran. Cela ne saurait signifier déflagration, mais au contraire neutralisation des rapports de force au Moyen Orient comme cela se passe entre l’Inde et le Pakistan, les Usa, la France et la Russie, personne n’ayant intérêt à utiliser l’arme nucléaire
Au niveau de l’Afrique, les USA essayeront de contrer la Chine et la Russie et au niveau de l’Afrique du Nord aucun changement concernant les conflits au Soudan, en Libye, au Sahel et au Sahara occidental
Au niveau des relations économiques
Devant éviter toute démagogie, pour le président Trump étant avant tout un homme d’affaires, donc du réalisme et du pragmatisme, il n’est pas question de remettre en cause les mécanismes fondamentaux de l’économie de marché où aux USA domine la propriété privée des moyens de production, mais avec plus de régulation, tiendra compte des interdépendances des économies car contrairement à certaines propagandes du fait des interdépendances des économies, la Chine pivot des BRICS+ en 2023, la Chine était le troisième partenaire le plus important pour les exportations de biens de l’UE (8,8 %) et le plus grand partenaire pour les importations de biens de l’UE (20,5 %). Et bien qu’en baisse de11,6% par rapport à 2022, les USA/Chine ont échangé 664,4 milliards de dollars ou en 2023 les exportations de l’Europe et les USA ont dépassé les 1000 milliards de dollars sans compter les bons de trésor détenus aux USA
-Comme promis durant sa campagne électorale, la politique du président Donald Trump pourrait déboucher sur la mise en place d’une politique commerciale protectionniste plus agressive, ayant prévu d’appliquer un droit de douane de 60 % sur toutes les importations en provenance de Chine, 100% sur les voitures chinoises, et un droit de douane général de 10 à 20 % sur les importations en provenance de tous les partenaires commerciaux y compris l’Europe.
-Afin de lutter contre l’inflation, la politique menée outre la lutte contre l’immigration illégale, notamment dans le domaine énergétique -où d’importateur, devenu exportateur, dont les compagnies contrôlent également de larges segments dans d’autres pays dans le monde, non membre de l’OPEP+ qui représente environ 50% de la production mondiale et sans la Russie 33%, les États-Unis étant devenus en 2023 au 1er rang mondial pour la production de pétrole (18,3 % du total mondial), devant la Russie (12,0 %) et l’Arabie Saoudite (11,8 %) et au 1er rang mondial pour la production de gaz naturel (25,5 %) , sera une baisse relative des prix de l’énergie en accélérant la production de pétrole et de gaz de schiste, aux USA, dans d’autres contrées du monde. Mais on ne doit pas oublier que c’est sous son précédent mandat que les USA se sont désengagés de la COP de Paris, est ce que le président Trump tiendra compte des nouveaux impacts, notamment des effets dévastateurs aux USA et récemment en Espagne, attendons donc de voir
-Par ailleurs, lié aux facteurs géostratégique analysés précédemment, il n’est pas dans l’intérêt des USA un embrasement dans la région et donc un conflit direct avec l’Iran, ce qui se répercutent sur la croissance de l’économie mondiale via les USA/Chine du fait que le détroit d’Ormuz : une voie stratégique, contrôlé par l’Iran, est une voie maritime stratégique pour le transport du pétrole et du gaz, reliant le golfe Persique au golfe d’Oman. Ce détroit est crucial pour l’exportation des hydrocarbures, avec environ 21 millions de barils de brut transitant chaque jour, selon l’Agence américaine de l’énergie (EIA) la fermeture de cette voie affecterait gravement le transit énergétique mondial, en particulier pour les pays asiatiques, européens et nord-américains avec en plus, les tensions en mer Rouge, qui voit transiter environ 12 % du commerce mondial, ont déjà entraîné une hausse des coûts de transport maritime de 15 à 20 %.
– Toujours dans ce contexte de géostratégie, et privilégiant avant tout leurs intérêts propres, supposant une entente avec la Russie, les USA prévoient d’investir massivement avec la fonte des glaces, au niveau du cercle polaire arctique où cinq pays sont riverains de l’océan Arctique, les États-Unis via l’Alaska, situé au nord-ouest du Canada et séparé de la Russie par le détroit de Béring, le Canada (dont le territoire inuit du Nunavut), le Danemark (via le Groenland, la Norvège, dont l’archipel du Svalbard (ou Spitzberg) et la Russie. Cet espace risque de faire l’objet de vives tensions géostratégiques dans la mesure où les évaluations des réserves de gaz et de pétrole dans l’Arctique selon les experts américains du bureau géologique (USGS), il y aurait 90 milliards de barils de pétrole à découvrir au-delà du cercle polaire arctique, la plupart étant situés en mer et les réserves de gaz étant évaluées à 30/40% des réserves mondiales
En conclusion, qu’on les aime ou pas, les États-Unis et encore pour longtemps, bien qu’en déclin relatif, sont la première puissance militaire et économique du monde représentant pour 4% de la population mondiale et avec : 27 361 milliards USD, 26,05% du PIB mondial, au niveau du G20, les USA représentent 28,95% et au niveau du G7 58,39%. Bien en baisse relative, Il y a toujours la dominance du dollar comme monnaie internationale où selon les données du FMI du 28 avril 2023, la part du dollar, dans les paiements mondiaux s’élève à environ à 38 %, l’euro faisant jeu égal avec le dollar ; les avoirs de réserves de change sont d’environ 20 % pour l’euro tandis que celle du dollar américain se situait aux alentours de 60% et la part du dollar dans les réserves de changes mondiales est passée de 71% en 1999, à 58% en 2022, l’euro 20,5%, le yen 5,5%, la livre sterling 5% et le yuan chinois 2,7% étant prévu 10% horizon 2030 . Aussi, l’élection du président Trump aura un impact sur le reste du monde.
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