11e Salon national Djurdjura des arts plastiques: Sur les traces d’Issiakhem
Le 11e Salon national Djurdjura des arts plastiques s’est ouvert cette année sous le signe d’un vibrant hommage à l’une des figures les plus marquantes de l’art algérien, Mhamed Issiakhem.
Cette édition 2024, qui se déroule dans la ville d’Azazga, à l’est de Tizi-Ouzou, témoigne d’une volonté profonde de démocratisation de l’art et de décentralisation des activités culturelles, permettant ainsi à un public plus large d’accéder aux richesses artistiques nationales. Le choix d’Azazga comme lieu d’accueil n’est pas anodin. Il s’inscrit dans une volonté de décentralisation culturelle, mais plus encore, il représente un retour aux sources, la ville se trouvant à proximité de Taboudoucht, village natal d’Issiakhem dans la région des Aghribs. Cette décision, comme l’a souligné Nabila Goumeziane, directrice de wilaya de la Culture et des Arts, s’accompagne d’un geste symbolique fort : l’École régionale des beaux-arts portera désormais le nom de l’illustre artiste, l’arrêté de baptisation ayant été officiellement signé. Cette reconnaissance institutionnelle pérennise la mémoire de l’artiste tout en inspirant les futures générations qui franchiront les portes de cette école.
L’exposition, qui transforme l’annexe de la Maison de la culture Mouloud Mammeri en véritable écrin artistique, rassemble une quarantaine d’artistes venus d’une dizaine de wilayas, parmi lesquelles Tizi-Ouzou, Batna, Tipasa, Alger et Bejaia. Cette diversité géographique témoigne de la portée nationale de l’événement et de sa capacité à fédérer les talents artistiques de tout le pays. Les œuvres exposées reflètent non seulement l’influence indélébile d’Issiakhem sur l’art contemporain algérien, mais aussi la vitalité et la créativité de la scène artistique nationale actuelle.
Les autoportraits du maître y sont particulièrement mis à l’honneur, constituant un fil rouge qui guide les visiteurs à travers l’exposition. Ces reproductions dialoguent harmonieusement avec des créations originales dépeignant des scènes de vie et diverses facettes du patrimoine culturel national. La richesse des techniques employées, la diversité des supports et la profondeur des thématiques abordées créent un panorama saisissant de l’art plastique algérien contemporain, tout en rendant hommage à l’héritage d’Issiakhem.
Cette année, l’exposition revêt une dimension historique particulière, coïncidant avec les célébrations du 70e anniversaire du déclenchement de la Guerre de libération nationale. Les artistes participants ont su intégrer cette thématique majeure dans leurs œuvres, créant ainsi un pont entre l’histoire nationale et l’expression artistique contemporaine. Cette convergence entre art et mémoire collective renforce la portée sociale et culturelle de l’événement.
Le vernissage a réuni des personnalités emblématiques de l’art algérien, notamment Zahia Kaci, ancienne élève d’Issiakhem, ainsi que Moussa Bourdine et Moncef Guita. Leur présence témoigne de la vivacité d’une tradition artistique dont Issiakhem fut l’un des piliers incontestables. Ces rencontres intergénérationnelles permettent des échanges précieux entre artistes confirmés et émergents, contribuant ainsi à la transmission des savoirs et des techniques. Le parcours d’Issiakhem lui-même mérite qu’on s’y attarde, tant il est emblématique d’une vie dédiée à l’art malgré les épreuves. Formé initialement à la Société des Beaux-arts d’Alger en 1947, il poursuivit son apprentissage aux Écoles des Beaux-arts d’Alger puis de Paris, démontrant déjà un talent exceptionnel. Cependant, sa vie bascula tragiquement à l’âge de 16 ans, lors d’un terrible accident qui allait profondément marquer son art et sa vision du monde. La manipulation d’une grenade trouvée dans un camp militaire de la Seconde Guerre mondiale lui coûta non seulement le bras gauche, mais aussi la vie de ses deux sœurs et de son neveu. Cette tragédie personnelle, d’une violence inouïe, devint paradoxalement le creuset d’une expression artistique unique, faisant de la douleur une signature distinctive de son art.
La reconnaissance internationale d’Issiakhem atteignit son apogée en 1980 avec l’attribution du premier Simba d’Or à Rome, une prestigieuse distinction de l’Unesco célébrant l’excellence de l’art africain. Ce prix couronnait une carrière exceptionnelle et confirmait son statut d’artiste majeur sur la scène internationale. Après son décès le 1er décembre 1985, il laissa un héritage artistique considérable, aujourd’hui principalement conservé au Musée national des Beaux-arts d’Alger, mais également dispersé entre collections privées et familiales. La dispersion de ses œuvres, loin d’amoindrir son influence, contribue à la diffusion de son style et de sa vision artistique auprès d’un public toujours plus large.
Le style d’Issiakhem, immédiatement reconnaissable, continue d’exercer une influence majeure sur l’enseignement des arts plastiques en Algérie et inspire de nombreux artistes contemporains. Sa technique unique, sa manière de traiter la lumière et les ombres, sa façon de représenter la souffrance humaine tout en préservant la dignité de ses sujets, constituent un héritage artistique inestimable qui continue de résonner dans l’art algérien contemporain. Le Salon ne se limite pas à l’exposition statique des œuvres : il propose un programme riche d’activités parallèles, incluant des ateliers dynamiques, des résidences d’expression artistique et des visites organisées au village natal d’Issiakhem ainsi qu’à l’École des beaux-arts d’Azazga. Ces activités complémentaires permettent aux visiteurs de mieux appréhender le contexte historique, social et culturel qui a façonné l’artiste et son œuvre, tout en créant des ponts vivants entre le passé et le présent de l’art algérien. Les ateliers, en particulier, offrent aux participants l’opportunité d’expérimenter diverses techniques artistiques et de s’imprégner de l’esprit créatif qui animait Issiakhem.
Mohand Seghir