Quelle stratégie énergétique ?
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, docteur d’Etat en sciences économiques, expert internationale, ancien directeur d’études au ministère de l’Énergie et à la Sonatrach 1974/2016 et président d la commission transition énergétique des 5+5+ Allemagne 2019/2020.
Le président américain élu Donald Trump, qui doit être investi le 20 janvier, se propose, afin de lutter contre l’inflation, de réduire le prix tant du gaz que du pétrole, les USA étant devenus le premier producteur mondial avant la Russie et l’Arabie Saoudite entre 2022/2024. Le 20 décembre 2024 Trump a menacé les pays européens et leur a exigé d’acheter davantage de pétrole et de gaz américains s’ils veulent éviter une forte hausse des droits de douanes US sur leurs produits. Les États-Unis fournissent environ 47% des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) de l’UE et 17% des importations de pétrole du bloc au premier trimestre de 2024, selon les données de l’office statistique Eurostat. En réponse, la Commission européenne a déclaré qu’elle était prête à discuter de la manière de renforcer les relations notamment dans le secteur de l’énergie et s’est engagée à supprimer progressivement les importations d’énergie en provenance de Russie et à diversifier ses sources d’approvisionnement. Mais selon la commission européenne, selon, les experts, outre la pression américaine, la carte énergétique européenne risque d’être davantage chamboulée par les répercussions de la directive dite DSDDD ou « devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité » qui imposera aux grandes entreprises de s’assurer à partir de 2027 que toute leur chaîne d’activités ne contrevient pas aux droits de l’homme et à la protection de l’environnement, une amende pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires des entreprises réfractaires. Or, la principale destination du gaz et pétrole algérien est l’Europe y compris la Turquie qui lui procure près de 80% de ses recettes en devises, où pour l’année 2023 uniquement pour le gaz, l’Algérie est devenue le deuxième exportateur en direction de l’Europe pour environ 19% de parts de marché contre 12/13% en 2022, et pour le mois d’octobre 2024 , Sonatrach est devenu le premier fournisseur de l’Europe en gaz avec 1,3 milliard d’euros soit 21 % des importations de l’UE. Or en 2024, Sonatrach sur le plan économique c’est l’Algérie et l’Algérie d’est Sonatrach :selon le rapport officiel de la Banque d’Algérie les hydrocarbures procurent 92% des recettes en devises du pays et 98% si on inclut les dérivées pour 67% contenues dans la rubrique hors hydrocarbures qui est passée de 7 milliards de dollars en 2022 à 5 en 2023, les recettes de Sonatrach ayant été de 60 milliards de dollars, 50 en 2023 et étant prévu entre 42-45 milliards de dollars pour 2024, pour un cours moyen du baril entre 75/77 dollars. Qu’en sera-t-il si le baril chute à moins de 60/70 dollars, notamment avec l’important déficit budgétaire. Pour la loi de finances 2024, ce déficit est estimé à environ 46 milliards de dollars au cours de 134 dinars algérien un dollar et selon la loi prévisionnelle de finances 2025, ce déficit bondit à 61,72 milliards de dollars alors que pour assurer l’équilibre budgétaire, selon le FMI, il faudrait un cours du baril de plus de 140 dollars pour la loi de finances 2023, plus de 150 pour celles de 2024/2025 contre 110 pour celles de 2021/2022, le prix fiscal et le prix du marché contenu dans les lois de finances 2023/2024 de 60/70 dollars étant simplement un artifice comptable. D’où les huit axes de la stratégie énergétique de l’Algérie afin de s’adapter. C’est dans ce cadre qu’entre la politique de la transition énergétique en Algérie articulée autour de huit axes.
Premièrement, le gaz ayant un avenir dans la transition énergétique, Sonatrach entend le produire dans les meilleures conditions pour le respect de l’environnement par la réduction des différentes émissions de CO2, de méthane, de réduire son empreinte carbone en trois grands axes. Je cite le PDG de Sonatrach : réduction des « émissions fugitives, y compris le torchage et « compensation de tout ce qui est consommation afin d’atteindre l’équilibre entre nos émissions à l’horizon 2030/2050 avec un engagement de réduire à -1 % le torchage, la réduction de torchage ayant commencé il y a 30 ans et depuis 2020, la baisse a été de 28% ce qui équivaut à un milliard de standard de mètres cubes ».A cela s’ajoutel’amélioration de l’efficacité énergétique avec la révision des méthodes de construction, car les anciennes normes induisent une forte consommation d’énergie, alors que les techniques modernes économisent de 40 à 50% de la consommation (étude réalisée sous notre direction, assisté par le bureau d ‘études américain Ernst&young en 2008, « une nouvelle politique de subventions des carburants ». Ministère de l’énergie 2008, 7 volumes 680 pages). Une nouvelle politique des prix s’impose renvoyant à une nouvelle politique des subventions ciblées, les subventions généralisées, injustes, occasionnant un gaspillage des ressources.
Le deuxième axe est lié au développement des énergies renouvelables devant combiner le thermique et le photovoltaïque, le coût de production mondial ayant diminué de plus de 50% et il le sera plus à l’avenir. Avec plus de 3 000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie a tout ce qu’il faut pour développer l’utilisation de l’énergie solaire. Mais le soleil tout seul ne suffit pas. Il faut la technologie et les équipements pour transformer ce don du ciel en énergie électrique. Le programme algérien consiste à installer une puissance d’origine renouvelable de près de 22 000 MW, dont 12 000 MW seront dédiés à couvrir la demande nationale de l’électricité et 10 000 MW à l’exportation, d’ici 2030/2035, l’objectif étant de produire 40% des besoins internes en électricité à partir des énergies renouvelables. Cela nécessitera d’importants financements et une nette volonté politique de développer cette filière où les énergies renouvelables représentent en 2024 moins de 3% de la consommation intérieure.
Le troisième axe est le développement de l’hydrogène vert, bleu et l’hydrogène blanc souvent oublié le Ministère de l’Energie, prévoyant d’investir 20 à 25 milliards de dollars à l’horizon 2040 : ce programme serait divisé en trois grands phases : le démarrage via des projets pilotes (2023 à 2030), l’expansion et la création de marchés (2030 à 2040) et l’industrialisation et la compétitivité du marché (2040 à 2050). À horizon 2040, l’Algérie prévoit de produire et d’exporter 30 à 40 TWh d’hydrogène gazeux et liquide, avec un mix à la fois composé d’hydrogène bleu, produit à partir de gaz, et d’hydrogène vert fabriqué par électrolyse grâce aux importantes ressources solaires du pays, avec pour objectif de fournir à l’Europe 10 % de ses besoins en hydrogène vert, d’ici à 2040. Il ne faudrait pas oublier également le développement de l’hydrogène blanc qui ne résulte pas d’un procédé « humain » comme l’électrolyse où une transformation issue du gaz, sa formation est dite « naturelle » et peut résulter de différents mécanismes : Une réaction d’oxydoréduction qui altère des métaux qui contiennent du fer au niveau hydrothermal et entraine la production d’hydrogène ; une eau à forte teneur en éléments tels que du plutonium ou de l’uranium subit une radiolyse et un rayonnement ionisant peut alors causer la rupture des molécules d’eau (H2O), scission qui peut provoquer à son tour la libération d’hydrogène naturel. L‘hydrogène blanc présente deux avantages de taille par rapport aux autres types d’hydrogène : contrairement à certaines méthodes de fabrication telles que le vapore formage, sa production ne s’accompagne d’aucune émission de dioxyde de carbone, car il est généré naturellement par la Terre.
Le quatrième axe est relatif à l’investissement en amont afin d’accroître la production sachant par exemple pour le gaz pour une production de 120 milliards de mètres cubes gazeux, en 2023, 50 milliards de mètres cubes ont été exportés, 45 ont été consacrés à la consommation intérieure et 20% injectés dans les puits pour éviter leur épuisement. Pour pouvoir exporter 100 milliards de mètres gazeux horizon 2028/2030, il faudrait produire, si la consommation intérieure se maintient à ce rythme, plus de 240 milliards de mètres cubes gazeux. Dans ce contexte, Sonatrach a prévu d’investir environ 50 milliards de dollars durant les cinq prochaines années pour de nouvelles découvertes d’hydrocarbures et l’important est de lutter contre la bureaucratisation pour l’attrait de l’investissement étranger dans le cadre d’un partenariat gagnant- gagnant.
Le cinquième axe, est la réalisation du gazoduc Nigeria-Europe via Niger l’Algérie. Les réserves du Nigeria avoisinant 5000 milliards de mètres cubes gazeux, le gazoduc est d’une capacité de 33 milliards de mètres cubes gazeux d’un coût estimé par une étude de 2020 de l’Union européenne, à 20 milliards de dollars. Outre la position ambigüe du Nigeria ayant signé des lettres d’intention , qui ne l’engage nullement n’étant pas un contrat définitif tant avec le Maroc qu’avec l’Algérie, la rentabilité du projet Nigeria-Europe suppose quatre conditions : la première concerne la mobilisation du financement ; la deuxième concerne l’évolution du prix de cession du gaz ; la troisième condition est liée à la sécurité; la quatrième condition est l’accord de l’Europe principal client qui selon une récente déclaration, début janvier 2023 de la commission européenne , ce dossier n’est pas à l’ordre du jour pour l’Europe dont la demande future sera déterminante ainsi que la concurrence qui influe sur la rentabilité de ce projet.
Le sixième axe, selon la déclaration de plusieurs ministres de l’Énergie , selon laquelle l’Algérie compte construire des mini centrales nucléaires à des fins pacifiques en accord avec l’AIEA , annoncé en 2025 et ce pour faire face à une demande d’électricité galopante. Les réserves prouvées de l’Algérie en uranium avoisinent les 29 000 tonnes, c’est de quoi faire fonctionner deux centrales nucléaires d’une capacité de 1 000 Mégawatts chacune pour une durée de 60 ans.
Le septième axe, selon les études américaines, l’Algérie possède le troisième réservoir mondial de pétrole-gaz de schiste, environ 19 500 milliards de mètres cubes gazeux, mais cela nécessite donc de la directive européenne DSDDD applicable en 2027, et outre un consensus social interne, de lourds investissements, la maîtrise des nouvelles technologies et des partenariats avec des firmes de renom( voir étude réalisée sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul assisté des cadres de Sonatrach : « Gaz de schiste, opportunités et risques et la nécessaire transition énergétique » 8 volume 780 pages premier ministère 2015). L’Algérie est un pays semi-aride, le problème de l’eau étant un enjeu stratégique, doit être opéré un arbitrage entre la protection de l’environnement et la consommation d’eau douce, 1 milliard de mètres cubes gazeux nécessitant 1 million de mètres cubes d’eau douce. Par ailleurs, l’on doit forer plusieurs centaines de puits pour 1 milliard de mètres cubes gazeux en tenant compte de la durée courte de la vie du puits, 5 années maximum et la nécessaire entente avec des pays riverains se partageant les nappes phréatiques non renouvelables.
Le huitième axe, consiste en la redynamisation du projet GALSI, toujours en négociation , Gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie, qui devait également relier à la Corse et qui devait être mis en service en 2012, d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux d’un coût estimé en 2010 de 3 milliards de dollars, ayant entre temps augmenté de plus de 50% car le tracé a été modifié ainsi que la capacité en 2023 , (voir conférence du Pr Mebtoul à la chambre de commerce en Corse reproduite par la télévision française France 3 où j’avais lors d’un déplacement en Sardaigne défendu ce projet ).
En conclusion, l’Algérie est appelée à jouer un rôle stratégique dans la future carte énergétique mondiale. La future politique énergétique d’une manière générale, devra s’adapter à un monde qui connaît un bouleversement inégal depuis des siècles, avec les impacts négatifs du réchauffement climatique, d’un côté des pluies diluviennes avec des inondations, de l’autre côté, sécheresse et incendies. Étant une question de sécurité mondiale, si nous échouons à passer à un monde à faible émission de carbone, c’est l’intégrité globale de l’économie mondiale qui sera menacée, car le climat mondial est un vaste système interconnecté. Bonne année 2025 pour un monde meilleur.
ademmebtoul@gmail.com