La R&D en Algérie : Opportunités et défis pour construire l’avenir
Par Mohamed Rachid Cheriti
Ingénieur spécialisé dans le domaine énergétique et le développement durable.
« À travers l’histoire, les résultats de la recherche et du développement (R&D) ont transformé à bien des égards la vie des individus et des sociétés, ainsi que le milieu naturel dans lequel nous évoluons ». Manuel de Frascati 2015.
Au cours de la dernière décennie, le monde entier a connu des changements technologiques et économiques radicaux. Les stratégies mises en œuvre auparavant dans les pays développés ou en développement ont notamment connu une évolution particulièrement importante. Plusieurs mesures ont été prises, par les différents paliers des gouvernements au niveau mondial pour ponctuer ces changements. La recherche et développement (R&D) est le moyen le plus connu, tant au niveau gouvernemental ou au niveau des entreprises. Elle devient ainsi un moteur important pour le développement durable et la compétitivité sur la scène mondiale. C’est le principal instrument d’évaluation de la capacité d’innovation technologique d’une activité industrielle ou d’un pays. Dans ce contexte, les entreprises évoluent aujourd’hui dans un marché global caractérisé par la convergence des préférences des consommateurs. Cette réalité pousse ces dernières à veiller sans cesse sur leurs coûts de production, à la qualité de leurs produits ainsi qu’à la vitesse et à l’étendue des changements technologiques pour espérer y avoir du succès. C’est ainsi que, la R&D est devenue une source importante de l’avantage concurrentiel entre les entreprises innovatrices.
Cependant, la fonction R&D regroupe l’ensemble des processus partant de la recherche fondamentale, d’une invention, ou d’une idée, en assurant sa faisabilité industrielle. Il s’agit donc de l’ensemble des étapes permettant de passer du laboratoire de recherche ou de développement à la production industrielle et à la commercialisation. La R&D, quand elle existe, est intimement liée aux autres phases du processus et ne peut être étudiée indépendamment d’elles. Traditionnellement, les entreprises sont spécialisées dans la recherche appliquée et le développement expérimental, tandis que les centres de recherches et universités se concentrent davantage sur la recherche fondamentale. Certes, les activités de R&D sont majoritairement effectuées par les grandes entreprises, et la plupart des entreprises non innovantes affirment avoir des priorités autres que l’innovation, soit l’obstacle le plus fréquemment cité, il est directement suivi par le manque de salariés qualifiés au sein de l’entreprise, les coûts d’innovation élevés ainsi que le marché monopoliste. Bien qu’en théorie il soit possible d’innover sans activité de R&D préalable, et inversement d’effectuer des travaux de R&D sans parvenir à l’innovation, il existe tout de même une relation très étroite entre les deux.
Statistiques utiles
Scimago Journal & Country Rank a publié des données pour classer les pays sur la période de 1996 à 2023, en termes de production scientifique. La première place a été détenue par les États-Unis d’Amérique avec 16.047.770 documents publiés, et 515.339.352 citations, suivi par la Chine 10.372.322 documents publiés, le troisième rang est pour l’Angleterre avec 4 .778.980 documents publiés, ensuite l’Allemagne arrive en 4e position, suivie du Japon 4e et l’Inde 6e. En Afrique la première place a été tenu par l’Afrique du sud au rang 33e rang mondial avec 4483.91 documents publiés. Pour les pays Arabes la première place été réservée à l’Arabie Saoudite au 36e rang mondial rang, suivie par l’Egypte au 37e rang avec 389.675 documents publiés. L’Algérie est classée 60e rang avec 116.123 documents publiés et 1.257.462 citations sur 243 pays classés. Selon la même source en 2023 la première place est détenue par la Chine avec 1.043.131 documents publiés durant cette seule année et 1.094.503 citations, suiviepar les États-Unis d’Amérique avec 714.412 documents publiés suivi de l’Inde avec 306.647 documents publiés, l’Algérie est au 56e rang avec 11.021 documents publiés et 9.860 citations.
Selon Global Innovation Index 2024 de World Intellectual Property Organization, le top 3 du classement de la propriété intellectuelle est : la Suisse avec un score de 67.5, la Suède 64.5, et les Etats-Unis d’Amérique 62.4. Pour l’Afrique du Nord, la Tunisie 81éme score 25.4, et l’Algérie 115éme avec un score 16.2, 18éme dans la région MENA, leurs économies connaissent des améliorations notables dans leur classement en matière d’innovation avec la Chine, l’Inde, l’Indonésie 54éme, la République islamique d’Iran 64éme, les Philippines 53éme, la Turquie et le Vietnam. L’Algérie se classe dans le top 10 en matière de dépenses d’éducation 10éme, et dans le top 20 mondial pour ses diplômés en sciences et en ingénierie 20éme. Le pays a également réalisé des progrès importants dans les indicateurs liés à la propriété intellectuelle, notamment les brevets 65éme, en hausse de 15 place avec un nombre de demandes de brevets résidents ayant presque doublé en 2022, les marques 87éme, et les dessins et modèles industriels 46éme, avec 2.223 d’enregistrements de dessins et modèles industriels actifs.
Selon World Intellectual Property Indicators 2024, la tête de peloton des dépôts de brevets de propriété intellectuelle est la chine avec 1.677.701 dépôts en 2023, suivi par les Etats Unis d’Amérique avec 598.085 dépôts, puis le Japon 300.133 sur 3.552.100 dans le monde. L’Algérie présente 2009 dépôts en 2023 contre 1118 en 2022 et 668 brevets délivrés. Selon les médias, le ministre de l’Enseignement supérieur et de Recherche scientifique a cité le dépôt de 1 376 brevets d’invention en 2024 contre seulement 200 ou 230 en 2020.
Ce qui concerne les technologies énergétiques, le nombre de demandes de brevet publiées liées aux énergie solaire, piles à combustible, énergie éolienne, géothermique et hydraulique est passé d’environ 29 400 en 2007 à environ 44 700 en 2022, avec une croissance annuelle à deux chiffres en 2009 (+17,7 %), 2010 (+12,6 %) et 2021 (+15,1 %). L’énergie solaire a constitué plus de la moitié (54,4 %) de toutes les demandes liées à l’énergie au cours de la période 2020-2022, suivie de l’énergie éolienne (19,4 %), de la technologie des piles à combustible (13,2 %), de l’énergie hydraulique (11,4 %) et de l’énergie géothermique (1,5 %). Les demandes de brevets liées à l’énergie solaire et éolienne ont affiché une tendance à la hausse entre 2007 et 2022.
Les dépenses en R&D
L’évolution des dépenses de R&D dans les pays est exprimée en pourcentage du PIB, selon l’UNESCO, les dépenses mondiales de R&D ont atteint un record d’environ 1000,7 milliards de dollars. Une dizaine de pays concentrent 80% des dépenses. Les pays qui dépensent plus en R&D en 2022 sont la République de Corée avec 5.21% du PIB, l’Allemagne 3.13 %, le Suède 3.4%, et les Etats-Unis d’Amérique 3.58%. Selon la même source l’Algérie dépenses 0.48% du PIB dans la R&D en 2017, loin des pays développés qui sont de l’ordre de 3 à 5 % du PIB. La moyenne mondiale est 1.75% du PIB, alors que la moyenne pour les pays arabes est de 0.56% du PIB. Le ministre de l’Enseignement supérieur et de Recherche scientifique algérien a révélé que le budget alloué à la recherche scientifique est passé à 18 milliards DA contre 8 milliards DA en 2020, soit une augmentation de près de 120%, annonçant une enveloppe de 20 milliards DA pour 2025. Nous ne savions pas si ce montant concerne seulement son département mais si nous intégrions les dépenses des autres institutions et entreprises publiques et privés, la somme refléterait davantage la hausse.
Pour les dépenses en R&D des entreprises, selon EU Industrial R&D Investment Scoreboard 2024, les 50 premières entreprises du classement (22 américaines, 11 européennes, 5 chinoises, 5 japonaises et 7 du reste du monde) ont investi 504 milliards d’euros en 2023, ce qui représente 40,1 % de l’investissement total en R&D des entreprises du classement, tandis que les 10 premières représentent 18,4 %. Dans l’UE, le secteur automobile investit le plus dans la R&D et deux fois plus qu’en 2013. Aux États-Unis, en 2013, les entreprises de matériel informatique ont investi le plus dans la R&D, tandis qu’en 2023, le secteur des logiciels informatiques était le plus grand contributeur à l’agrégat, devançant de loin la R&D des entreprises mondiales.
Selon le même classement, Alphabet décroche le titre de champion mondial en 2024 avec des investissements en R&D qui s’élevaient à 39,8 milliards d’euros en 2023, le podium est complété par Meta (anciennement Facebook) et Apple, qui ont consacré respectivement 33.2 milliards et 27.2 milliards d’euros en 2023, Microsoft est l’entreprise du top 4 avec 26.8 milliards d’euros, et en top 5 l’entreprise allemande Volkswagen 21.7 milliards d’euros. L’investissement en R&D d’Amazon est estimé à environ 50,7 milliards d’euros en 2023, cette estimation la placerait en tête du classement, mais comme ses données ne sont pas réelles, elle n’était pas classée.
Dépenses de R&D dans le domaine d’énergie
Au cours des cinq dernières décennies, les investissements des pays membres de l’AIE dans la R&D énergétique se sont progressivement diversifiés. L’énergie nucléaire, qui représentait 76 % du total en 1974, a progressivement diminué pour atteindre 21 % en 2023. Les budgets de R&D consacrés aux combustibles fossiles, qui ont atteint leur plus haut niveau dans les années 1980 et au début des années 1990, ont diminué depuis 2013, passant de 14 % à 5 % en 2023. Les budgets consacrés à l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables ont augmenté beaucoup plus rapidement au cours des années 1990 et 2000, passant de 7 % chacun en 1990 à 23 et 22 % respectivement en 2010. Depuis lors, la part de l’efficacité énergétique a augmenté pour atteindre 24 %, tandis que la part des énergies renouvelables a diminué à 14 %. Les budgets consacrés à l’hydrogène et aux piles à combustible ont maintenu leur part à 3% pour la période 2012-2018 pour augmenter à 9% en 2023.
R&D en Algérie : une révolution de l’innovation est recommandée
La majorité des initiatives de R&D en Algérie proviennent des institutions publiques (universités, centres de recherche). Les entreprises publiques et privées investissent très peu dans la recherche, souvent par manque de ressources, de vision stratégique ou d’incitations fiscales. La plupart d’entre elles considèrent la R&D comme une dépense risquée plutôt que comme un levier stratégique pour leur compétitivité. En dépit que l’Algérie fait des entreprises le principal levier pour atteindre ses objectifs stratégiques de développement national, elle a créé un Fonds d’appui et de développement de l’écosystème « start-up « . Ce compte est ouvert par les dispositions de l‘article 131 de la loi n° 19-14 du 11 décembre 2019, modifiées et complétées, portant loi de finances pour 2020. Il a pour objectif de couvrir les dépenses liées à l’amélioration de l’écosystème des start-ups à travers le financement des études de faisabilité, de l’élaboration du business plan et à la création d’un prototype, l’incubation des start-ups et la promotion de l’écosystème start-up. En plus, la LF 2025 a inclué en sus des dispositions pour encourager la R&D au sein de l’entreprise, ainsi que celles engagées dans le cadre des programmes d’innovation ouverte, réalisés avec les entreprises disposant du label « start-up » ou « incubateur », offrant des abattements fiscaux pouvant atteindre 30% du montant du bénéfice comptable, pour les dépenses engagées dans des activités de R&D.
Mais malgré ces avancées et le potentiel de développement de la R&D, plusieurs obstacles majeurs limitent la progression et l’efficacité de ce secteur dans les entreprises algériennes tels que la faible collaboration entre le milieu académique et les entreprises, ce qui limite la capacité des entreprises à exploiter les découvertes scientifiques. Il s’agit aussi du manque de transfert technologique vu que les résultats des recherches universitaires ne sont pas toujours adaptés aux besoins industriels ou commerciaux. Citons aussi la faible interaction, les entreprises ne profitant pas des compétences des chercheurs ou des infrastructures universitaires, malgré leur proximité géographique. Il s’agit aussi de partenariats insuffisants pour les projets innovants. La majorité des entreprises algériennes travaille isolément sans développer de synergies avec les laboratoires de recherche. Les chercheurs et les techniciens dans les entreprises algériennes notamment publiques souffrent souvent d’un manque de reconnaissance de leurs efforts, ainsi que de l’absence d’un environnement innovant pour extraire leurs connaissances et potentiels dans le domaine de la recherche.
Dans ce sillage et en mesure d’atteindre l’ODD 9 des ODD de l’ONU pour le développement durable à l’horizon 2030, la qualité des infrastructures, de la recherche scientifique et l’accès à internet devront globalement être très bien assurés. Les entreprises publiques et privés et les institutions publiques en Algérie peuvent investir davantage dans la R&D, l’innovation (technologique mais aussi sociale) et travailler sur la digitalisation de leurs processus dans une optique de durabilité et d’accessibilité, tout en prenant en compte la préservation de l’emploi, cette dernière pouvant se confronter avec la technologie AI générative qui évolue constamment. Grâce à cela, il sera possible d’automatiser des tâches dans divers secteurs comme la comptabilité, la sécurité, les ressources humaines, la relation client et autres.
En revanche, la recherche dans les entreprises en Algérie n’est pas spécifique au développement des nouveaux produits ou technologies avec un brevet, mais peut s’élargir aux modes de leur gouvernance, innovation des processus de production ou de ventes, gestion des ressources humains, rationalisation des dépenses…etc. L’Algérie devrait être plus attrayante pour les chercheurs et les scientifiques en particulier ceux de la diaspora, avec une meilleure intégration des talents nationaux. Il faut faire de la R&D une priorité de premier plan et promouvoir l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC). Avec de telles stratégies adaptées, la R&D peut jouer un rôle déterminant dans la diversification économique et l’innovation dans l’Algérie nouvelle.