Le marché algérien se ferme au blé français: Une rupture aux raisons structurelles
La filière céréalière française est en train de perdre le marché algérien, l’un des plus importants du marché mondial de blé tendre. Les chiffres sont éloquents : alors que la France exportait habituellement 1,6 million de tonnes de blé vers l’Algérie, un seul navire transportant 31 000 tonnes a quitté les ports français depuis octobre 2024, marquant ainsi un changement majeur. Cette situation préoccupe la filière céréalière en France. Certains s’empressent d’évoquer les tensions diplomatiques entre Paris et Alger pour expliquer ce changement. Cependant les raisons de la fermeture graduelle du marché algérien au blé français sont plus profonde et sont liées à la qualité de ce dernier. Selon Damien Vercambre, courtier en céréales, la qualité du blé français était « vraiment mauvaise en début de campagne ». Ce problème qualitatif, qui aurait pu être résolu par une collaboration étroite entre les deux pays, a finalement conduit l’Algérie à se tourner vers d’autres fournisseurs, principalement issus de la région de la mer Noire. L’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) a entrepris une stratégie de diversification de ses sources d’approvisionnement, faisant passer le nombre de ses fournisseurs de 22 à 32, comme l’expliquait il y a quelques semaines Nasreddine Messaoudi, son secrétaire général. Face aux spéculations sur une possible exclusion du blé français, l’OAIC a tenu à préciser en octobre 2024 que les informations concernant « l’exclusion présumée de certains fournisseurs » étaient « infondées ». Les répercussions de cette situation sur l’économie française sont significatives. Philippe Heusele, secrétaire général de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB), dresse un constat alarmant : les exportations françaises de céréales sont tombées à 9,7 millions de tonnes, bien loin des 15-16 millions habituelles. En termes financiers, l’impact est considérable : les recettes d’exportations de céréales sont passées de 11 milliards d’euros en 2022 à 6,5 milliards en 2023, avec des prévisions encore plus basses pour 2024. La filière française doit également faire face à une concurrence accrue du blé ukrainien. Les chiffres sont parlants : l’Ukraine est passée de 150 000 tonnes de blé tendre exportées vers l’Union européenne en 2021 à 7 millions de tonnes en 2023, une augmentation vertigineuse facilitée par la suppression des droits de douane suite au conflit russo-ukrainien. De son côté, l’Algérie ne se contente pas de diversifier ses importations. Le pays a lancé un ambitieux programme de développement de sa production céréalière, combinant la culture sous pivot dans le sud et un soutien accru aux agriculteurs du nord. Cette stratégie s’accompagne de partenariats avec des entreprises étrangères comme Timac Agro, Bayer, Basf et Syngenta pour les intrants agricoles. Le développement de la recherche agronomique est également un élément clé de cette stratégie. Ali Daoudi, de l’École nationale supérieure d’agronomie d’El Harrach, plaide pour une meilleure coordination entre l’université et les services agricoles, soulignant l’importance de fédérer les efforts autour des questions prioritaires comme l’intégration de l’élevage ovin à la culture céréalière ou l’utilisation du colza dans les rotations. Si les relations commerciales franco-algériennes restent globalement dynamiques, avec une augmentation de 8% des exportations françaises vers l’Algérie en 2024, la situation du blé marque potentiellement un tournant historique. Pour l’Algérie, sa stratégie de diversification des approvisionnements, couplée au développement de sa production nationale, témoigne d’une volonté d’autonomie croissante dans le secteur céréalier.
Salim Amokrane