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Comprendre le frein aux réformes en Afrique

«Pas de bonne économie sans vraie démocratie». Sen A.K., prix Nobel d’économie. Une société n’est pas inerte, étant composée de différents acteurs tant internes qu’externes avec des actions souvent divergentes, influant sur le rythme et la nature des réformes.

Le rôle de tout Etat est de réaliser la symbiose entre efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale au sein d’un monde complexe turbulent et instable. N’avons-nous pas besoin aujourd’hui d’équipes pluridisciplinaires complexes, pour des approches cohérentes où cohabiteraient des politologues, des économistes, des juristes, des sociologues, des anthropologues, des historiens (ce besoin de mémoire), des scientifiques et des ingénieurs, d’où l’importance d’une planification et de la prospective, dont la réussite sera largement fonction de sa composante humaine et de son indépendance. Cela est fondamental pour comprendre la situation actuelle et surtout de proposer des solutions réalistes. Faute de quoi, l’économiste appliquerait des schémas mécaniques, des théories abstraites sur un corps social en mouvement qu’il ignore et dont les recettes donneraient des résultats négatifs même si les calculs économiques sont corrects, comme une greffe sur un corps qui le rejetterait. Car les indicateurs économiques à l’instant TO ont une signification limité comme l’augmentation du produit intérieur brut, qui n’est qu’un indicateur global, le niveau des réserves de change, que contredit d’ailleurs l’indice de développement humain plus fiable, qui lui même doit être affiné par des enquêtes précises sur la répartition du revenu national par couches sociales et la balance des paiements qui est un document comptable statique, qui, pour être bien interprété, doit être inséré au sein d’un cadre social dynamique. Le prix Nobel indien , Amartya Sen a innové par ses analyses pertinentes sur l’anthropologie économique et les récents prix Nobel ont su intégrer, avec réalisme, les paramètres et variables à la fois politiques, sociologiques, sociaux, culturels et économiques, reflet de la complexité de la société, pour définir l’optimum socio-économique en intégrant le jeu des acteurs que l’on peut formaliser mathématiquement à partir d’un modèle matriciel ouvert que j’ai tenté il y a de cela plus de 30 années. La société est complexe, toujours en mouvement ( Mebtoul Valeur, prix, croissance économique OPU 1980 120 pages où nous avons appliqué la théorie de la thermodynamique à pour un modèle opérationnel s’appuyant sur la théorie des jeux souvent utilisés en géostratégie par les grands services de renseignements comme la CIA et le KGB).  La construction de la démocratie notamment en Afrique, doit tenir compte des anthropologies culturelles, des jeux des acteurs favorables et défavorables aux réformes et au vu des expériences historiques, ne se fait pas d’une baguette magique étant le fruit d’un long processus historique. Il s’agit d’ éviter de plaquer des schémas théoriques importés sur l’Afrique ce que l’on qualifie de schémas européocentristes, devant tenir compte des structures sociales pour une gestion politique et socio-économique pragmatique.

Spécificités anthropologiques

Ternant compte des spécificité anthropologiques de chaque pays d’Afrique et de la structuration économique spécifique, d’une manière générale, les résistances aux réformes peuvent être localisées au niveau de certains espaces de prédilection: certains segments du système partisan qu’ils soient dans l’opposition, les Assemblées élues ou même dans certains segments du pouvoir central et local, de l’administration centrale et locale, de la société civile, d’une partie des opérateurs économiques privés connus pour avoir prospéré à l’ombre des monopoles détenus par le secteur public et plus tard de leur démantèlement une partie significative des syndicats corporatistes et du secteur public, mue par des considérations idéologiques ou par des intérêts rentiers. Par ce maillage , les opposants aux réformes tentent de peser sur la nature de ces dernières, sur l’agencement de l’ordre des priorités et enfin sur les rythmes à imprimer à leurs conduites. S’agissant des acteurs externes hostiles aux réformes, il faut convenir que leurs rôles et leurs influences sont présents ayant tissé des relations avec une certaine oligarchie rentière interne. La stratégie des acteurs internes et externes défavorables aux réformes passe notamment par des opérations de désinformation contrôlant bon nombre de médias avec une très large diffusion des positions, en apparence séduisantes comme les réformes conduisent au bradage du patrimoine national; la mise à profit des foyers de tension sociales résultat du processus inflationniste avec la détérioration du pouvoir d’achat. Mais existent des acteurs favorables aux réformes dont leurs actions ont pour finalité la poursuite du processus de désengagement de l’Etat de la sphère économique afin de lui permettre d’assumer plus efficacement son rôle de régulateur; de l’adaptation de l’économie nationale aux contraintes de la globalisation par la maîtrise des coûts sociaux d’une mise à niveau trop longtemps différée; du rétablissement durable des équilibres budgétaires par la stabilisation macroéconomique; de la préparation de l’environnement de l’investissement public et privé national et étranger par la mise en œuvre des réformes de seconde génération dont la réforme bancaire, ce qui, il faut le souligner, représente un enjeu capital pour la réussite de l’ensemble des réformes projetées.

Trois scénarios

Il existe trois scénarios, avec des liens dialectiques entre le politique, l’économique, le social et le culturel . Premier scénario: les conditions de l’échec sont réelles et réunies dans l’environnement juridique et économique de l’Afrique en raison du poids important de la bureaucratie centrale et locale bénéficiant de privilèges de rente dans la mesure où une saine concurrence avec une libéralisation maîtrisée par le développement d’entrepreneurs privés dynamiques détruit une fraction de la rente. Le second scénario serait le statu quo qui préparera les conditions de l’échec en imputant les conditions sociales actuelles (pauvreté et chômage) aux réformes, qui, malgré la stabilisation macroéconomique, n’en sont qu’à leurs débuts (réformes microéconomiques et institutionnelles), ou à des organes techniques alors que l’essence réside dans l’absence de volonté politique (neutralisation des rapports de force). Ce statu quo participera à un échec programmé et serait suicidaire pour le devenir de l’économie et de la société avec les mêmes conséquences que le scénario premier. Le troisième scénario concerne la réussite des réformes dont les conditions sont contenues dans l’ environnement juridique, économique et politique. Cela passe par la démystification culturelle du bienfait des réformes pour les générations futures , les rumeurs dévastatrices au sein de l’opinion de bradage du patrimoine national, n’étant que la traduction de la faiblesse du système de communications en Afrique où la voie orale est prédominante. Il s’agit d’améliorer le climat des affaires en levant les contraintes bureaucratiques condition de l’épanouissement et l’extension de l’entreprise seule source de la création des richesses qu’elles soient publiques ou privées. Une dynamique positive peut être enclenché en s’appuyant sur la dynamisation de la société civile et de nouveaux des réseaux tant au niveau interne qu’externe fondement des nouvelles relations internationales, sur une participation citoyenne à travers une réelle décentralisation autour de grands pôles régionaux, car si l’organisation administrative de l’espace est souvent source de conflits, les hommes, eux, vivent un rapport plus fécond et plus harmonieux avec leur espace qui n’est pas celui que l’administration veut leur imposer et lorsqu’un régime veut imposer des lois qui ne correspondent pas à l’Etat de la société, celle ci enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner expliquant l’extension de la sphère informelle .(Voir notre contribution pour l’Institut Français des Relations Internationales IFRI 2013 les impacts géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb).

En conclusion, le fondement du développement conciliant l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale du XXIème siècle repose essentiellement sur le savoir et la bonne gouvernance.

ademmebtoul@gmail.com

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