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Sahel : D’où viennent les armes du terrorisme ?

Une récente étude du Conflict Armament Research (CAR) vient de lever le voile sur l’origine des arsenaux utilisés par les groupes terroristes dans le Sahel central, une région qui concentre en 2024 plus de la moitié des décès liés au terrorisme dans le monde. Ce travail minutieux, fruit de huit années d’enquête de terrain, révèle des dynamiques d’approvisionnement et de circulation d’armes qui confortent la pertinence de l’approche algérienne en matière de lutte antiterroriste.

Publiée lundi, cette étude se base sur l’analyse de plus de 700 armes récupérées auprès de groupes salafistes jihadistes entre 2015 et 2023, principalement dans la région du Liptako-Gourma (Mali, Burkina Faso, Niger) et dans la zone frontalière du lac Tchad. Les investigations menées en collaboration avec les services de police, de gendarmerie et les instances judiciaires régionales ont permis de documenter avec précision la composition et la provenance de cet arsenal. Selon Claudio Gramizzi, responsable des opérations du CAR en Afrique de l’Ouest, les stocks saisis sont composés quasi exclusivement d’armes de type militaire, avec près de 80% de fusils d’assaut, complétés par des fusils de combat, des lance-grenades, des mitrailleuses, des mortiers et des lance-roquettes. Ces armements proviennent majoritairement de Chine et de Russie, mais également d’Europe de l’Est (Pologne, Roumanie, Bulgarie). L’enquête révèle surtout qu’il s’agit d’un matériel ancien, vieux de plusieurs décennies : environ 65% des armes ont été produites dans les années 1960, 1970 et 1980. Seules 5% des armes analysées sont postérieures à 2011.

Pour retracer l’origine de ces armes, les enquêteurs ont utilisé les numéros de série et les codes de marquage spécifiques aux livraisons effectuées dans le cadre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Ils ont ainsi établi qu’une fraction importante de ces arsenaux était initialement destinée aux armées régionales avant d’être détournée ou capturée par les groupes terroristes. Près d’un quart des armes saisies auprès des organisations salafistes dans le Liptako-Gourma provient ainsi des stocks de la garde nationale du Burkina Faso, du Mali ou du Niger. « Il ne s’agit pas de détournement au sens de corruption ou de complicité, bien que quelques cas existent », précise M. Gramizzi. « Ces armes sont le plus souvent perdues ou abandonnées lors d’attaques jihadistes contre les forces armées. » Ces butins de guerre sont régulièrement exhibés dans des vidéos de propagande, comme récemment au Bénin après une attaque du Jnim ayant causé plus de 50 victimes dans les rangs de l’armée.

Le rapport met également en lumière l’importance des stocks d’armes issus de conflits antérieurs, qui circulent sur des marchés illicites régionaux, vendues et achetées par différents acteurs. Toutefois, contrairement aux idées reçues, le trafic d’armes ne représente pas une source de revenus majeure pour les groupes jihadistes. Selon l’expert, « ils préfèrent conserver, voire faire grossir leur stock et bénéficient d’autres activités plus rentables comme le kidnapping, l’imposition de taxes aux populations et la prédation des ressources locales. »

L’approche algérienne confortée

Mais, une tendance récente inquiète particulièrement les chercheurs : l’augmentation du pourcentage de munitions très récentes au sein des stocks détenus par les groupes terroristes. « Cette observation reflète la montée en puissance des armées régionales. Or cette course à l’armement alimente indirectement les stocks adverses », alerte M. Gramizzi.

Cette dernière constatation vient confirmer la pertinence de l’approche algérienne en matière de lutte antiterroriste dans la région sahélienne. Depuis plusieurs années, l’Algérie promeut une stratégie globale qui dépasse le cadre strictement militaire pour s’attaquer aux causes profondes de la violence. Cette vision holistique repose sur plusieurs piliers complémentaires.

D’abord, si la réponse sécuritaire demeure nécessaire, elle ne peut constituer l’unique solution. Comme le souligne l’étude du CAR, le renforcement militaire peut paradoxalement alimenter les arsenaux terroristes via les armes capturées lors des affrontements. L’approche algérienne insiste plutôt sur le renforcement de la lutte contre les réseaux criminels. Ensuite, l’Algérie met l’accent sur la lutte contre la pauvreté et le sous-développement qui constituent un terreau fertile pour le recrutement de ces groupes. Par ses initiatives économiques transfrontalières et ses programmes de développement régional, elle contribue à tarir les viviers de recrutement des organisations terroristes.

Enfin, la position ferme de l’Algérie contre le paiement des rançons et son engagement dans la lutte contre les différents réseaux criminels transfrontaliers participent à l’assèchement des ressources financières des groupes armés. Cette posture trouve aujourd’hui sa justification dans les conclusions du rapport qui confirme l’importance des enlèvements comme source de financement du terrorisme au Sahel.

Les révélations du CAR sur l’origine et la circulation des armes au Sahel confortent ainsi l’approche multidimensionnelle défendue par l’Algérie depuis de nombreuses années. Une approche qui, au-delà de la réponse militaire immédiate, s’attaque aux racines profondes du phénomène terroriste et aux conditions favorisant sa persistance. Face à un fléau qui a battu des records en 2024, avec 51% des décès terroristes mondiaux concentrés au Sahel selon le Global Terrorism Index 2025, cette vision globale est plus que jamais comme l’approche la plus adaptée

Lyes Saïdi

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