Mali : La contestation s’amplifie face à la dérive autoritaire du régime militaire
Des centaines de manifestants ont bravé samedi les risques de répression pour se rassembler à Bamako, dénonçant la « dictature » militaire et s’opposant à la dissolution annoncée des partis politiques.
Cette mobilisation, l’une des plus importantes depuis la prise de pouvoir par les militaires, marque une nouvelle étape dans le bras de fer entre la société civile et la junte dirigée par le général Assimi Goïta. « Vive la démocratie, à bas la dictature! », scandaient les manifestants réunis au Palais de la culture, près du fleuve Niger, brandissant des pancartes réclamant « la liberté, la démocratie » et « des élections ». Cette manifestation constitue l’un des actes de contestation les plus visibles depuis 2021, dans un contexte de répression croissante des voix dissidentes. L’événement intervient quelques jours après l’adoption en Conseil des ministres d’un projet de loi abrogeant la Charte des partis politiques, une mesure perçue comme le prélude à leur dissolution pure et simple. En réalité, cette décision fait suite aux conclusions controversées d’un « forum des forces vives » organisé par les autorités militaires, qui préconise non seulement la dissolution des partis politiques mais également l’élévation d’Assimi Goïta au rang de président de la République pour un mandat de cinq ans renouvelable, sans passer par les urnes. Un bouleversement constitutionnel qui enterre définitivement l’engagement pris par les putschistes de transférer le pouvoir aux civils en mars 2024, après les deux coups d’État militaires de 2020 et 2021. « On ne gouverne pas un pays par la force, ni par des manœuvres inappropriées », a déclaré Mountaga Tall, du Congrès national d’initiative démocratique, l’une des figures de proue de cette contestation grandissante. La large coalition de partis politiques à l’origine de la manifestation de samedi dénonce particulièrement les « consultations de forces vives qui n’en sont pas », pointant du doigt la participation de responsables administratifs et de gouverneurs de région qui « ont joué le rôle de porte-parole alors que des fonctionnaires ne devraient pas être utilisés pour inciter à violer la Constitution ». Pour les opposants, l’abrogation de la charte des partis politiques signée en 2005 vise clairement à créer un vide juridique qui empêcherait l’existence même des formations politiques et, par conséquent, tout retour à une vie démocratique normale. Le multipartisme, consacré par la Constitution de 1992 et réaffirmé dans celle promulguée par la junte en 2023, se trouve ainsi directement menacé. Cette nouvelle orientation du régime inquiète au-delà des frontières maliennes. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU s’est dit « profondément préoccupé » par ce projet qui pourrait « entraîner une réduction considérable des activités politiques ainsi que de l’espace civique et démocratique en général ». Selon Gilles Yabi, fondateur du groupe de réflexion ouest-africain Wathi, « on est entré dans une nouvelle phase de consolidation du pouvoir militaire, comme c’est le cas au niveau de tous les régimes militaires au Sahel ». Le Mali fait en effet partie, avec le Niger et le Burkina Faso, d’un trio de pays sahéliens dirigés par des juntes militaires regroupées au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES). Des organisations de défense des droits humains accusent ces trois régimes de réprimer systématiquement les voix dissidentes sous couvert de lutte contre le terrorisme. Cependant, contrairement à ses voisins, la classe politique malienne semble déterminée à ne pas disparaître sans combattre. « C’est d’une part lié à l’histoire politique de chacun de ces pays, mais aussi à ces trois régimes qui sont tous durs, mais selon des modalités différentes », précise Gilles Yabi. Pour Ismaël Sacko, président en exil du parti PSDA, cette offensive contre les partis politiques « renseigne sur l’échec de la transition » et constitue « la mise à mort du multipartisme ». La coalition de partis compte désormais déposer une plainte devant la justice malienne, une équipe d’avocats devant être constituée en ce sens. Si la junte persiste dans cette voie, les opposants envisagent également des recours devant la Cour constitutionnelle. « Si par hasard la Cour constitutionnelle ferme les yeux, alors nous n’aurions plus le choix que d’exiger la dissolution de cette cour », avertit Boukary Dicko, du parti Yelema. Oumar Mariko, opposant politique en exil, prévient quant à lui: « Au Mali, nous avons lutté pour obtenir la démocratie et nous n’allons pas rester les bras croisés. Les masques tombent. Il est évident que les militaires entendent rester au pouvoir. Pour eux, la démocratie est une pilule amère. » Les autorités militaires justifient ces mesures exceptionnelles par la nécessité de préserver l’unité nationale face aux menaces sécuritaires. Le Premier ministre, le général Abdoulaye Maïga, affirmait jeudi dernier que les propositions du forum des forces vives allaient « faire tourner les pages sombres du pays ». Mais pour l’opposition, ces pages sombres ne font que commencer. L’un des aspects les plus préoccupants des recommandations du forum est le report sine die des élections, subordonné à la « pacification du pays ». Or, cette pacification semble s’éloigner depuis que les autorités maliennes ont unilatéralement abandonné l’accord d’Alger, qui constituait jusqu’alors le cadre de référence pour la résolution des conflits avec les groupes armés du Nord.
Lyes Saïdi