Voilà pourquoi l’OPEP+ augmente sa production
Dans une analyse approfondie publiée cette semaine, la banque d’investissement Standard Chartered dévoile les mécanismes stratégiques qui ont conduit huit membres de l’alliance OPEP+ à réduire leurs coupes volontaires et à réintroduire progressivement leur production de brut sur le marché mondial.
Cette décision, qui pourrait sembler contre-intuitive dans un contexte de prix déjà sous pression, répond en réalité à une logique économique et géopolitique bien définie selon les experts de la banque britannique. Paul Horsnell, responsable de la recherche sur les matières premières chez Standard Chartered, écarte d’emblée les théories conspirationnistes qui circulent dans les cercles énergétiques : « Il serait tentant de multiplier les explications complotistes, mais la réalité est bien plus simple. » D’après son analyse, deux facteurs principaux expliquent ces ajustements récents de la production pétrolière. Le premier élément déterminant concerne le niveau actuel des stocks mondiaux de pétrole. Selon les données analysées par Standard Chartered, ces derniers sont désormais suffisamment bas pour permettre un assouplissement graduel des restrictions volontaires de production. « La fenêtre reste ouverte jusqu’à l’émergence du surplus tant attendu et jusqu’alors absent », précise l’expert, suggérant que l’OPEP+ dispose actuellement d’une marge de manœuvre confortable pour augmenter l’offre sans déstabiliser fondamentalement l’équilibre du marché. Cette évaluation technique est confortée par les chiffres : lors de la réunion du 3 mai dernier, les huit pays producteurs concernés ont accéléré leur désengagement des coupes volontaires, augmentant leurs cibles de production de 411 000 barils par jour pour le mois de juin. Une décision qui s’inscrit dans une stratégie d’ajustement progressif plutôt que dans une révision brutale de la politique collective. Le second facteur identifié par l’équipe de Standard Chartered relève davantage de considérations politiques et touche à la crédibilité collective de l’alliance. « Tenir ses promesses est l’essence même de tout accord collectif », souligne le rapport. Cette dimension devient particulièrement cruciale dans un environnement où la confiance entre producteurs peut s’éroder rapidement. Les analystes révèlent que certains pays membres de l’OPEP+ estiment que la durabilité des accords conclus en 2023 repose sur deux conditions fondamentales : le respect strict des quotas par chaque membre et la compensation intégrale des productions excédentaires observées depuis le début de l’année 2024. En réintroduisant progressivement leur production tout en maintenant une discipline collective, les membres de l’alliance démontrent leur capacité à gérer collectivement l’offre mondiale de manière ordonnée. Les marchés ont immédiatement réagi à ces développements. Le cours du Brent a frôlé les 58,50 dollars le baril, marquant son plus bas niveau de l’année, avant de se stabiliser autour de 60,23 dollars. « La trajectoire semble orientée à la baisse », pronostiquent les analystes de Standard Chartered, tout en nuançant : « À très court terme, quelques supports techniques persistent. » Cette lecture technique du marché est complétée par des projections à plus long terme. Le modèle prédictif SCORPIO développé par la banque anticipe une légère remontée de 1,27 dollar par baril à court terme, portée par des indicateurs techniques et la performance des classes d’actifs adjacentes. Toutefois, la vision à moyen terme reste mesurée. Les projections tablent sur un baril à 61 dollars en 2025, 78 dollars en 2026, et 83 dollars en 2027, suggérant une trajectoire de croissance modérée mais régulière. Cette décision de l’OPEP+ d’augmenter sa production s’inscrit également dans un contexte géopolitique complexe où chaque ajustement de l’offre constitue un signal diplomatique autant qu’économique. « Démontrer la capacité à maintenir des accords internationaux efficaces sera positif pour les prix », analysent les experts, soulignant l’importance de la crédibilité collective sur les marchés internationaux. La flexibilité dont fait preuve l’alliance, capable d’ajuster sa production en fonction des conditions du marché, renforce sa position d’acteur central de la régulation énergétique mondiale. Standard Chartered estime que cette capacité d’adaptation représente un atout stratégique dans un environnement énergétique en mutation. L’industrie pétrolière mondiale observe donc avec attention cette reconfiguration subtile de l’offre. Dans un marché où la transition énergétique modifie progressivement les équilibres de long terme, la gestion tactique de l’offre à court et moyen terme devient un exercice délicat. Pour les observateurs, cette démarche de l’OPEP+ témoigne d’une confiance retrouvée dans la capacité du cartel à gérer les équilibres du marché sans sacrifier sa part de marché. Elle illustre également la maturité d’une organisation capable de s’adapter aux fluctuations conjoncturelles tout en préservant ses intérêts stratégiques. À l’heure où les interrogations sur l’avenir de la demande pétrolière se multiplient, cette démonstration de souplesse collective pourrait bien représenter un nouveau chapitre dans l’histoire de la régulation des marchés énergétiques mondiaux, concluent les experts de Standard Chartered.
Samira Ghrib