Quand l’extrême droite instrumentalise la question des retraites pour stigmatiser les travailleurs algériens
L’extrême droite française ne manque jamais une occasion d’alimenter son discours hostile envers l’Algérie et sa communauté. Cette fois, elle s’empare des conclusions du rapport de la Cour des comptes français publié fin mai dernier sur la situation financière du système de retraite français, qui évoque des cas supposés de fraude en Algérie. Aurélien Dutremble, député du Rassemblement national, a immédiatement saisi l’occasion pour interpeller la ministre des Comptes publics sur les mesures envisagées pour mettre fin à ce qu’il présente comme des détournements massifs de fonds publics. Dans sa question écrite mise en ligne ce lundi 9 juin sur le site de l’Assemblée nationale française, le parlementaire d’extrême droite cible spécifiquement les pensions versées à des personnes décédées dont le décès n’aurait pas été déclaré, réclamant la mise en place de contrôles biométriques systématiques et la suspension des pensions jugées douteuses jusqu’à vérification complète.
Cette démarche s’inscrit dans la continuité de la stratégie habituelle du parti fondé par le tortionnaire Jean-Marie Le Pen, qui consiste à exploiter chaque donnée statistique pour alimenter sa rhétorique anti-immigrés et anti-algérienne. Le député affirme que les données révèlent une fraude organisée et massive au système de retraite français, largement supérieure à ce qui existe dans d’autres pays étrangers, remettant en cause les mécanismes de contrôle actuels basés sur les certificats de vie fournis par les bénéficiaires eux-mêmes, qu’il juge insuffisants et sujets à manipulation. Il estime incompréhensible que des pensions soient versées à l’étranger sans vérification fiable de l’existence des bénéficiaires alors que les retraités français doivent fournir régulièrement des justificatifs rigoureux.
Pourtant, cette campagne de stigmatisation ignore délibérément les réalités du terrain et les injustices historiques subies par les travailleurs algériens. En avril 2024, la Caisse nationale d’assurance vieillesse a publié les résultats d’une enquête menée par le consulat général de France en Algérie, révélant qu’il y a moins de 1000 centenaires algériens percevant une pension française et que sur 2000 personnes âgées de plus de 95 ans invitées à confirmer leur identité, seules 370 n’avaient pas répondu. Ces chiffres sont bien loin des « centaines de milliers » de cas frauduleux régulièrement avancés par certains médias et politiques. Le directeur général de la CNAV lui-même a déclaré à l’AFP en septembre dernier que « le chiffre de 80% ne repose sur rien, il n’y a pas des armées de morts-vivants », soulignant que le sujet est une « arlésienne » régulièrement ressortie sans fondement solide.
Cette instrumentalisation politique occulte volontairement les véritables injustices dont ont été victimes les retraités algériens. Paris a pratiqué pendant des années une forme de fraude systémique en réduisant les montants versés aux veuves de retraités décédés par rapport à ce que perçoivent leurs homologues résidant sur le territoire français. Des dizaines de milliers d’anciens combattants qui ont contribué à la libération de la France du nazisme ont été privés de leurs droits matériels légitimes. Ces discriminations institutionnalisées représentent un préjudice bien plus considérable que les quelques cas de fraude réels qui peuvent exister, comme dans tout système de protection sociale.
Bouc-émissaires
La stratégie de l’extrême droite française consiste à détourner l’attention des véritables enjeux en créant des boucs émissaires. En présentant les retraités algériens comme des fraudeurs systématiques, elle alimente les préjugés anti-immigrés tout en masquant les défaillances structurelles du système français. Cette approche populiste exploite les difficultés économiques pour désigner des responsables imaginaires, évitant ainsi de s’attaquer aux vraies causes des déséquilibres financiers. Il est particulièrement cynique de s’en prendre à des personnes âgées qui ont consacré leur vie active à contribuer au développement économique de la France, souvent dans des conditions difficiles et pour des salaires inférieurs à ceux de leurs collègues français.
La Caisse nationale d’assurance vieillesse verse annuellement plus de 1,1 milliard d’euros de pensions en Algérie, montant qui correspond aux cotisations versées par les travailleurs algériens tout au long de leur carrière professionnelle en France. Ces pensions ne constituent donc nullement une générosité de l’État français mais bien le fruit du travail et des cotisations de toute une génération qui a participé à la reconstruction et au développement de la France d’après-guerre. Remettre en cause ce droit légitime sous prétexte de quelques cas de fraude marginalise une population déjà fragilisée par l’âge et la distance géographique.
Cette polémique récurrente, alimentée notamment par des émissions de la chaîne CNews selon une enquête de l’AFP, témoigne d’une stratégie médiatique et politique délibérée visant à entretenir un climat de suspicion généralisée envers la communauté algérienne. Elle détourne l’attention des véritables défis du système de retraite français, qui nécessitent des réformes structurelles plutôt que la stigmatisation de boucs émissaires. Les organisations de défense des droits doivent continuer à dénoncer ces amalgames dangereux qui alimentent les tensions intercommunautaires et portent atteinte à la dignité de milliers de retraités qui n’aspirent qu’à jouir paisiblement des droits qu’ils ont légitimement acquis par leur travail.
Salim Amokrane