Les modalités ont été fixées par arrêté: Le Trésor autorisé à émettre des Sukuk souverains
L’Algérie franchit une étape décisive dans le développement de la finance islamique avec l’adoption des sukuk souverains.
L’Algérie vient de franchir un nouveau cap dans sa stratégie de diversification des instruments financiers avec la publication au Journal officiel de l’arrêté fixant les modalités d’émission des sukuk souverains par le Trésor public. Cette décision, signée par le ministre des Finances Abdelkrim Bouzerd, s’inscrit dans une démarche plus large de développement de la finance islamique dans le pays, marquant l’aboutissement d’un processus entamé il y a cinq années avec l’introduction des guichets islamiques dans les banques en 2020 et le lancement de l’assurance takaful en 2021.
Contrairement aux obligations classiques basées sur les taux d’intérêt, ces instruments financiers respectent les préceptes de la Charia et offrent une alternative conforme aux principes islamiques pour le financement des infrastructures publiques. Mohamed Boujellal, membre du Haut Conseil Islamique et expert en finance islamique, souligne que cette innovation « vient compléter le dispositif de financement islamique et concrétiser la volonté de l’État de diversifier les ressources de financement au service de l’économie nationale ».
Le mécanisme des sukuk souverains algériens présente une particularité fondamentale : ils doivent obligatoirement être adossés à des actifs tangibles, des projets concrets, des droits de propriété ou des droits de jouissance, garantissant ainsi leur conformité aux principes de la finance islamique qui prohibe la spéculation pure. L’arrêté ministériel prévoit cinq formes principales d’émission, chacune correspondant à un modèle économique spécifique. Les Sukuk Ijara permettent aux porteurs de détenir des parts dans des actifs tangibles mis en location, générant une rémunération basée sur les loyers perçus. Les Sukuk Moucharaka fonctionnent selon un principe de partenariat avec partage équitable des profits et des pertes d’un projet commun. Les Sukuk Moudaraba offrent aux investisseurs une participation aux bénéfices et pertes résultant d’investissements gérés par une entité mandatée. Les Sukuk Istisnaa financent spécifiquement la construction ou la fabrication d’équipements et d’infrastructures, les porteurs bénéficiant du produit de leur vente. Enfin, les Sukuk Wakala permettent aux souscripteurs de mandater une entité pour gérer leurs fonds dans des investissements conformes.
Cette diversité d’instruments offre une flexibilité remarquable pour le financement des projets d’infrastructures publiques, secteur stratégique pour le développement économique du pays. L’autorisation légale donnée au Trésor public d’émettre ces sukuk à la Bourse d’Alger ouvre la participation au financement des équipements publics marchands de l’État tant aux personnes physiques qu’aux entreprises, démocratisant ainsi l’accès à ces investissements tout en mobilisant l’épargne nationale.
Le processus d’émission révèle la rigueur mise en place pour garantir la conformité religieuse de ces instruments. Chaque émission nécessite l’obtention préalable d’un certificat de conformité aux préceptes de la Charia délivré par le Haut Conseil Islamique, institution garante de la légitimité religieuse de ces opérations financières. Cette exigence renforce la crédibilité de ces instruments auprès des investisseurs soucieux de respecter leurs convictions religieuses tout en contribuant au développement économique national.
Yazid Benmohoub, directeur général de la Société de gestion de la Bourse des valeurs, met en perspective l’importance stratégique de cette innovation : « Cela permettra aux institutions financières algériennes d’investir les fonds déposés dans ce cadre au cours des dernières années à la Bourse d’Alger, via le mécanisme des sukuk souverains, pour participer au financement de projets d’infrastructure ». Cette déclaration souligne l’effet multiplicateur attendu de ces nouveaux instruments sur la mobilisation de l’épargne institutionnelle.
L’expert Mohamed Boujellal insiste particulièrement sur le rôle des sukuk dans la réalisation de l’inclusion financière, objectif majeur des politiques économiques contemporaines. En proposant des canaux de financement complémentaires aux instruments traditionnels, les sukuk souverains permettent d’attirer une clientèle jusqu’alors réticente à utiliser les produits financiers conventionnels pour des raisons religieuses. Cette approche inclusive contribue à élargir la base des investisseurs et à dynamiser le marché financier national.
La mise en œuvre de cette réforme s’appuie sur un travail préparatoire approfondi mené par un comité spécialisé constitué par le ministère des Finances. Selon les déclarations de Mohamed Boujellal, membre de ce comité, les travaux sont désormais achevés et leurs résultats seront annoncés prochainement, laissant présager un lancement imminent des premières émissions de sukuk souverains algériens.
Cette évolution majeure de l’écosystème financier algérien s’inscrit dans une tendance mondiale d’expansion de la finance islamique, secteur en croissance constante qui attire de plus en plus d’investisseurs, musulmans et non-musulmans, séduits par ses principes éthiques et sa stabilité. Pour l’Algérie, l’introduction des sukuk souverains représente une opportunité unique de mobiliser des ressources financières supplémentaires pour ses projets d’infrastructure et d’absorber l’épargne échappant encore aux circuits formels, consolidant ainsi sa position de pionnier de la finance islamique en Afrique du Nord.
Sabrina Aziouez