Culture

Les experts appellent à valoriser le patrimoine architectural: Quand le patrimoine bâti devient mémoire collective

Dans un contexte où l’urbanisation galopante menace l’identité architecturale du pays, la question de la sauvegarde du patrimoine bâti algérien résonne avec une acuité particulière.

Dimanche, au cœur de Dar Abdeltif, une rencontre professionnelle organisée dans le cadre de la manifestation « Talaqi » a rassemblé architectes, experts et acteurs culturels autour d’une préoccupation commune : comment préserver et valoriser un héritage architectural millénaire tout en l’adaptant aux défis contemporains. Cette initiative, portée conjointement par l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC), l’association culturelle « Patrimoine » et le collectif « Talaqi », témoigne d’une prise de conscience grandissante face à l’érosion progressive du patrimoine architectural national. Au-delà des discours convenus, les intervenants ont appelé à une mobilisation collective, plaçant le citoyen au centre d’une démarche de préservation qui ne peut plus se concevoir sans une participation active de la société civile.

L’architecte Akli Amrouche a livré une analyse particulièrement éclairante de la problématique urbaine contemporaine, soulignant la nécessité de « s’intéresser » aux nouvelles agglomérations qui essaiment à travers le territoire national. Sa vision dépasse la simple question technique pour embrasser une dimension culturelle et identitaire fondamentale. Selon lui, l’enjeu consiste à intégrer ces nouveaux espaces urbains « dans un système urbain qui répond à la culture du pays et reflète son identité », une approche qui pourrait créer une « dynamique sociale » permettant au citoyen de « participer de manière consciente et responsable » à la construction de son environnement.

Cette approche participative trouve un écho particulier dans les réflexions de l’architecte Maya Akkouche, qui a choisi de braquer les projecteurs sur un élément architectural emblématique et pourtant méconnu : les terrasses de la Casbah d’Alger. Son intervention révèle la richesse insoupçonnée de ces espaces aériens qui ont contribué à « enrichir l’imagination des habitants et des artistes, à l’instar de Mohamed Racim », référence incontournable de la miniature algérienne. Cette évocation du grand maître de l’enluminure illustre parfaitement la symbiose entre architecture et création artistique, rappelant combien l’espace bâti nourrit l’inspiration créatrice. L’analyse de Maya Akkouche révèle une vérité souvent occultée : la particularité de la Casbah ne réside pas seulement dans ses façades ou ses ruelles tortueuses, mais bien dans ses terrasses qui constituent un véritable « espace vital ». Ces plateformes suspendues, véritables extensions des habitations vers le ciel, incarnent une philosophie de l’habitat qui transcende la simple fonction résidentielle pour devenir lieu de sociabilité, d’échange et de contemplation. Malheureusement, l’experte déplore la « diminution » progressive de leur superficie, conséquence directe d’exploitations personnelles et illégales qui dénaturent progressivement ce patrimoine unique.

Cette problématique de la dégradation patrimoniale trouve cependant des réponses concrètes, comme l’illustre l’intervention de Hadj Kouider Mustapha, représentant de l’Agence nationale des secteurs sauvegardés (ANSS). Son témoignage sur la Casbah de Dellys démontre qu’une politique volontariste peut porter ses fruits. Le Plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur du secteur sauvegardé a, selon ses mots, « contribué à sauver la Casbah de Dellys de la disparition », offrant un modèle reproductible pour d’autres sites patrimoniaux menacés. Cette expérience de Dellys illustre parfaitement l’efficacité d’une approche méthodique et concertée de la sauvegarde patrimoniale. Elle prouve qu’au-delà des constats alarmistes, des solutions existent et peuvent être déployées à condition d’une volonté politique affirmée et d’une mobilisation des moyens appropriés. Le succès de cette opération de sauvetage architectural constitue un précédent encourageant pour l’ensemble du territoire national.

La manifestation « Talaqi », qui se poursuit jusqu’au 24 juillet, s’inscrit dans cette dynamique de sensibilisation et de mobilisation collective. En choisissant Dar Abdeltif comme écrin de ces échanges, les organisateurs ont voulu symboliser cette alliance nécessaire entre patrimoine et modernité, entre tradition et innovation. Ce lieu chargé d’histoire devient ainsi le théâtre d’une réflexion prospective sur l’avenir architectural du pays.

L’appel lancé par ces experts dépasse le cadre strictement professionnel pour interpeller l’ensemble de la société algérienne. Il s’agit de comprendre que la valorisation du patrimoine architectural ne constitue pas seulement un enjeu culturel, mais bien un défi civilisationnel qui engage l’avenir des générations futures et la préservation d’une identité nationale unique au monde.

Mohand Seghir

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