Hommage à Abdelhafid Ihaddadene : Le génie nucléaire qui défiait les services secrets français
Il avait tout pour réussir : un cerveau d’exception, un diplôme d’ingénieur en génie nucléaire unique en Afrique, et un avenir prometteur dans la recherche scientifique. Pourtant, Abdelhafid Ihaddadene a choisi de tout sacrifier pour l’indépendance de l’Algérie. Soixante-quatre ans après sa mort tragique, Bejaia lui rend un hommage particulier qui révèle l’ampleur de son sacrifice et l’étrangeté des circonstances de sa disparition. Le 11 juillet 1961, cet homme de 29 ans tentait de rallier Bamako depuis Prague quand son avion explosa mystérieusement en plein vol, emportant avec lui huit autres étudiants. Une coïncidence troublante que certains attribuent directement aux services secrets français, conscients de la menace que représentait ce brillant scientifique pour leurs intérêts. Lors d’une conférence organisée mardi à Toudja, son village natal, le professeur Djamil Aissani, président du groupe d’études sur l’histoire des mathématiques à Bejaïa, a levé le voile sur les activités secrètes de cet ingénieur hors du commun. Loin de se contenter de ses recherches académiques, Ihaddadene orchestrait depuis l’Europe de l’Est un vaste réseau de collecte d’armes au profit de l’Armée de libération nationale, tout en organisant l’admission des grands blessés de la Guerre de libération. Le défunt universitaire et journaliste Zahir Ihaddadene, frère du chahid, ainsi que Daho Ould Kablia, ancien responsable du ministère de l’Armement et des Liaisons générales, ont confirmé que « l’illustre martyr a payé le prix de son engagement en faveur de la Révolution nationale, mais aussi de ses promesses pour l’avenir, une fois l’indépendance recouvrée ». Cette double casquette de scientifique et d’agent secret faisait de lui une cible prioritaire. Quelques jours avant sa mort, il était encore en contact avec feu Redha Malek, dirigeant historique du Front de libération nationale venu à Prague s’enquérir de l’état des blessés algériens, révèle le professeur Aissani. Un détail qui souligne l’importance stratégique de ses missions. Le parcours de cet homme remarquable commence en mars 1932 à Toudja, où il naît dans une famille instruite. Son père exerçait comme jurisconsulte dans la région voisine de Sidi-Aich, où grandit le futur ingénieur. Élève brillant, il poursuit ses études à Taher entre 1938 et 1944, puis à Bejaïa et enfin à Sétif, où il décroche son baccalauréat avec mention. Cette réussite académique lui ouvre les portes de l’École supérieure des arts et métiers en France avant de rejoindre l’Université technique de Prague. C’est là qu’il devient le premier ingénieur en génie nucléaire d’Algérie et d’Afrique, une prouesse scientifique qui aurait pu lui assurer une carrière internationale prestigieuse. Sa mort prématurée prive l’Algérie naissante d’un talent exceptionnel qui aurait probablement révolutionné le développement technologique du pays. Conscient de cette perte immense, le président Abdelmadjid Tebboune lui a rendu hommage en 2024 en baptisant le Pôle scientifique et technologique de la nouvelle ville de Sidi Abdellah de son nom. À Sidi-Aich, un collège d’enseignement moyen perpétue également sa mémoire. Ces reconnaissances témoignent de l’importance d’un homme qui a préféré l’engagement patriotique à la gloire personnelle, payant de sa vie son dévouement à la cause nationale.
Salim Amokrane