Rabah Deriassa : L’âme de l’Algérie en chansons
Quatre ans après sa disparition, l’héritage du maître reste vivant.
Quatre années se sont écoulées depuis ce 8 octobre 2021, jour où s’est éteinte à Blida l’une des plus belles voix de l’Algérie. Rabah Deriassa, disparu à l’âge de 87 ans, laisse derrière lui bien plus qu’un répertoire musical : il lègue à la postérité une œuvre monumentale, un testament artistique qui continue de résonner dans le cœur des Algériens et au-delà des frontières du Maghreb. Né le 1er juillet 1934 à Blida, la ville des roses qu’il ne quittera jamais vraiment, Rabah Deriassa incarne cette génération d’artistes complets qui ont façonné l’identité culturelle algérienne. Avant de conquérir les cœurs par sa voix, il maniait déjà le pinceau et le calame, s’adonnant à la miniature et à la calligraphie. Cette sensibilité esthétique, cultivée dès son plus jeune âge, imprègnera toute son œuvre musicale d’une élégance et d’une précision rares. C’est dans les années 1950, à l’aube de la Révolution de Novembre, que Deriassa fait ses premiers pas dans le monde de la chanson. Sa voix, encore inconnue du grand public, porte déjà cette authenticité qui deviendra sa signature. « Nedjma Kotbia » (Étoile polaire), sa première chanson, lui ouvre les portes de la notoriété nationale et internationale. Le titre n’est pas anodin : comme l’étoile qui guide les voyageurs, Deriassa guidera des générations entières à travers les méandres de l’histoire algérienne.
La voix d’un peuple en quête de liberté
Rabah Deriassa n’a jamais été un simple chanteur. Il fut un artiste engagé, un porte-voix du peuple algérien dans ses aspirations les plus profondes. Auteur, compositeur et interprète de ses propres textes, il a su transformer la chanson populaire en véritable acte de résistance culturelle. Son répertoire, riche de plus d’un millier de titres enregistrés, aborde avec une égale pertinence les thèmes patriotiques, moraux et sociaux qui traversent la société algérienne. « Ya Mohamed », « El Momaridha » (L’infirmière), « Ya Chmalia », « El Djaoula El kbira » (Le grand voyage), « Yahiaou Ouled Bladi » (Que vivent les enfants de mon pays)… Autant de titres devenus des classiques intemporels, fredonnés de génération en génération. Ces chansons ne sont pas de simples mélodies : elles racontent l’Algérie, ses combats, ses espoirs, son âme. Elles célèbrent le travail, l’amour, la sincérité, ces valeurs fondamentales que Deriassa n’a cessé de défendre tout au long de sa carrière.
Le gardien de la tradition bédouine
Au-delà de son œuvre personnelle, Rabah Deriassa s’est distingué par son rôle crucial dans la préservation et la valorisation de la chanson bédouine, le fameux « El Ayaï ». En collaborant avec les grands maîtres du genre – Cheikh El-Ardjani, Cheikh El-Bedoui, Khelifi Ahmed –, il a contribué à maintenir vivante cette tradition ancestrale, tout en la renouvelant par son approche créative. Cette fidélité aux racines lui a valu le respect indéfectible du public algérien et le statut de pionnier du chant engagé. « Deriassa était un artiste complet qui écrivait, composait et interprétait ses propres textes », témoigne son neveu, l’artiste Nasreddine El-Blidi, pour qui l’oncle fut « un modèle et une source d’inspiration ». C’est d’ailleurs Rabah Deriassa qui composa le premier album de son neveu, « Katba » (Destinée), lui transmettant ainsi le flambeau de l’authenticité musicale.
La voix de Rabah Deriassa a franchi les montagnes et traversé les mers. Ses tournées l’ont mené en Irak, en Arabie Saoudite, au Koweït, aux Émirats arabes unis, au Liban, en Égypte et en Libye, faisant de lui un véritable ambassadeur de la chanson algérienne dans le monde arabe. Son secret ? L’usage d’un dialecte algérien raffiné, accessible aux publics arabophones, comme le souligne l’artiste et organisateur de spectacles Noureddine Benghali. Le comédien Abdelhamid Rabia salue en lui « un artiste complet alliant noblesse de caractère et fidélité à la chanson authentique ». Cette authenticité, Deriassa ne l’a jamais trahie, préférant la sincérité artistique à la recherche des projecteurs. Modeste et humble, il était convaincu que « l’art qui vient du cœur touche le cœur ». Une philosophie qui explique pourquoi ses chansons continuent de toucher des publics de tous âges, bien après sa disparition.
Un héritage impérissable
Aujourd’hui, la maison de l’Artiste de Blida porte fièrement le nom de Rabah Deriassa. Située non loin de son ancien domicile au centre-ville, elle témoigne de la reconnaissance d’une nation envers l’un de ses fils les plus illustres. C’est là, dans cette ville qu’il n’a jamais quittée, que son héritage continue de vivre et d’inspirer de nouvelles générations d’artistes.
Quatre ans après sa disparition, la voix de Rabah Deriassa résonne toujours avec la même intensité dans la mémoire collective algérienne. Elle rappelle à chacun que l’art véritable ne meurt jamais, qu’il transcende les époques et les modes passagères. Elle nous enseigne que la fidélité aux racines et l’engagement pour son peuple sont les fondations inébranlables d’une œuvre qui traverse le temps. Rabah Deriassa nous a quittés, mais son chant demeure, étoile polaire guidant les Algériens.
Mohand Seghir