SILA 2025 : Les médias et la culture, remparts contre les guerres cognitives
Dans un contexte de désinformation massive et de manipulation numérique, intellectuels et acteurs culturels algériens plaident pour une reconquête de la pensée critique par la culture et l’éducation aux médias.
Comment résister aux guerres cognitives qui façonnent les opinions et altèrent les perceptions collectives ? La question était au cœur d’une rencontre organisée ce dimanche à Alger sur la sécurité culturelle, dans le cadre du 28e Salon international du livre d’Alger (SILA). Face à la prolifération des « biais cognitifs » et à l’emprise croissante des technologies de manipulation de l’information, les intervenants ont unanimement désigné la culture et les médias comme des outils essentiels de résistance intellectuelle.
L’universitaire Ahmed Bensaada a ouvert le débat en soulignant les menaces qui pèsent sur la sécurité culturelle, concept qu’il définit comme une « ressource essentielle pour renforcer l’identité et la cohésion nationale ». Selon lui, les conflits du 21e siècle se sont définitivement déplacés du champ militaire vers celui de la réflexion, un terrain où la culture et les médias jouent un rôle stratégique. « La culture, dans sa richesse et ses diverses expressions linguistiques et artistiques, demeure une réponse éclatante à ces guerres cognitives malveillantes et malsaines », a-t-il affirmé, appelant à un renouvellement des schémas de pensée imposés de l’extérieur. Cette guerre des perceptions ne se livre pas à découvert. Elle repose, explique Bensaada, sur la construction de « narratifs appropriés » élaborés à partir d’une connaissance approfondie des sociétés ciblées. L’objectif : faire face à ces guerres cognitives et à leurs techniques documentées de manipulation, regroupées sous l’appellation de « biais cognitifs ». Ces biais transforment les individus en consommateurs vulnérables, dépourvus d’esprit critique. La journaliste Lamia Mahmouda a prolongé cette réflexion en insistant sur le rôle cardinal des médias et du tourisme dans la consolidation du capital culturel. « La sécurité culturelle découle aussi de réseaux sociaux sont devenus des concurrents potentiels aux médias traditionnels, notamment la télévision et la radio », a-t-elle souligné, avant de dénoncer un phénomène inquiétant : la « neutralisation de ces guerres cognitives » par une forme de complaisance médiatique. L’universitaire et consultant international sénégalais Mactar Silla a adopté un ton plus offensif encore. Pour lui, les médias africains doivent cesser de relayer passivement des contenus occidentaux « malintentionnés » provenant de « fermes à contenus ». Il dénonce une « stratégie concertée » visant à créer des contenus africains positifs en apparence, mais conçus en réalité comme des outils de « désinformation sournoises », destinés à manipuler les esprits et à imposer de « nouvelles formes de domination ». L’intervenant a martelé l’urgence de déconstruire les « stéréotypes de pensée » qui alimentent ces « attitudes politiquement correctes » et de traverser les réalités plutôt que de les subir. Auteur d’un ouvrage sur le pluralisme télévisuel en Afrique de l’Ouest, Mactar Silla a plaidé pour la reconnaissance et la valorisation des auteurs africains, insistant sur la nécessité de promouvoir et transmettre leur histoire, leur culture et leur patrimoine de référents identitaires. Il a rappelé le rôle crucial du Palais des expositions des Pins-Maritimes, qui accueillait cette édition du SILA avec un programme ambitieux de rencontres et conférences sur la littérature, l’histoire et l’identité, ainsi que des thématiques liées aux causes de libération. La présence de 1254 éditeurs venus de 49 pays, dont la Mauritanie, invitée d’honneur, témoigne de ce dynamisme culturel que les intervenants appellent à protéger et à amplifier.
Au-delà du diagnostic, c’est bien une bataille pour l’autonomie intellectuelle qui se dessine. Les guerres cognitives ne se combattent pas seulement par la vigilance, mais par la construction active d’une culture forte, diverse et consciente d’elle-même. Dans un monde saturé d’informations et de manipulations, la reconquête de la pensée critique passe par l’éducation, la création et la diffusion d’un imaginaire propre, ancré dans les réalités locales et débarrassé des carcans narratifs imposés de l’extérieur.
Mohand Seghir

