Attaf : « Il est temps de criminaliser le colonialisme »
Le ministre d’État algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf a affirmé dimanche que l’Afrique avait « tout le droit » de réclamer la reconnaissance officielle des crimes coloniaux et leur criminalisation au niveau international, lors de l’ouverture d’une conférence historique réunissant à Alger des représentants africains et de la diaspora pour exiger justice et réparations.
La Conférence internationale sur les crimes coloniaux en Afrique, s’est ouverte dimanche au Centre international de conférences Abdelatif-Rahal à Alger, et s’impose comme une étape décisive dans la quête de justice historique du continent africain. Placée sous le haut patronage du président de la République Abdelmadjid Tebboune et organisée en étroite coordination avec la Commission de l’Union africaine, cette rencontre fait suite à une initiative du chef de l’État lors du dernier sommet ordinaire de l’UA au début de l’année, proposition qui a été « saluée et plébiscitée à l’unanimité par ses frères africains », a souligné le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères, de la Communauté nationale à l’étranger et des Affaires africaines, Ahmed Attaf, à l’ouverture de l’évènement. Dans son allocution d’ouverture, le ministre d’État a posé les fondements d’une revendication africaine claire et sans ambiguïté. « Partant de l’expérience amère de l’Algérie contre la colonisation française, elle s’identifie totalement aux buts fondamentaux définis par l’Union africaine pour cette initiative de l’établissement de la justice historique », a-t-il déclaré, avant d’ajouter que « l’Afrique a le droit, tout le droit, de réclamer la reconnaissance officielle et explicite des crimes commis contre ses peuples durant la période coloniale ». Pour le ministre, cette reconnaissance constitue « la moindre des choses et le minimum que l’on puisse faire dans un premier pas indispensable pour préparer la voie au traitement des séquelles de cette période coloniale, dont les États et les peuples africains continuent encore de payer un lourd tribut du fait de l’exclusion, de la marginalisation et du sous-développement subis ».
Au-delà de la simple reconnaissance, Ahmed Attaf a appelé à franchir une étape supplémentaire en inscrivant le colonialisme lui-même dans le registre des crimes internationaux. « L’Afrique a le droit, tout le droit, de réclamer la criminalisation juridique internationale, sans équivoque, ni ambiguïté, du colonialisme », a-t-il martelé, invoquant les écrits de Frantz Fanon pour qualifier le colonialisme comme « la violence à l’état de nature ». Le ministre a établi un parallèle historique significatif en rappelant que « tout comme la communauté internationale qui a criminalisé, par le passé, l’esclavage et les pratiques assimilées, ainsi que la ségrégation raciale, il est temps aujourd’hui de criminaliser le colonialisme lui-même, au lieu de criminaliser certaines de ses pratiques et de ses séquelles ».
L’Afrique a droit aux réparations
La question des réparations a également occupé une place centrale dans le discours du ministre d’État. « L’Afrique a le droit, tout le droit, de réclamer une compensation juste, et la restitution des biens pillés, puisque la justice ne s’accomplit pas par des discours creux, des promesses vaines ou encore une bonne volonté romantique, et puisque la compensation n’est point une aumône ou une faveur, mais bien un droit légitime garanti par toutes les lois et coutumes internationales », a-t-il affirmé avec force. Ahmed Attaf a longuement évoqué le cas algérien comme « modèle rare et inégalé dans l’histoire » en raison de sa nature particulière. « La colonisation française en Algérie n’était pas ce qu’on peut appeler un colonialisme exploiteur, mais plutôt une colonisation de peuplement au sens propre du terme », a-t-il précisé, expliquant qu’elle « voulait annexer le pays d’autrui à sa mère patrie par l’invasion et l’agression, elle voulait implanter son peuple, en sacrifiant un autre peuple, et voulait également effacer toute une nation de l’existence, avec ses composantes, ses systèmes, ses institutions, son identité, sa culture, sa religion et même sa langue ». Le ministre a rappelé que cette entreprise coloniale, « la plus longue et la plus violente de l’histoire contemporaine », a coûté à l’Algérie « un million et demi de martyrs » durant la guerre de libération, ajoutant que « jusqu’à ce jour, le Sahara algérien porte dans ses grains de sable les cicatrices des essais nucléaires français, dont les séquelles entrainent toujours des répercussions dévastatrices à la fois sur l’homme et sur l’environnement ».
Le ministre d’État a également développé une réflexion sur la mémoire collective africaine, affirmant que « le pari de certains sur la disparition et l’effacement progressif de la mémoire collective africaine, au fil du temps et des générations successives, est un pari perdu d’avance ». Il a souligné le paradoxe historique selon lequel « le Siècle des Lumières qui a éclairé l’Europe au cours du XVIIIe siècle, a plongé l’Afrique dans une période sombre d’injustice, d’oppression et de tyrannie à travers le colonialisme », insistant sur le fait que « le colonialisme fut l’étincelle qui a provoqué l’exclusion de l’Afrique de toutes les révolutions politiques, économiques, technologiques, scientifiques et sociales ».
Appel à parachever la décolonisation
Appelant à « parachever la décolonisation », Ahmed Attaf a exprimé la solidarité de l’Algérie avec « nos frères dans la dernière colonie d’Afrique, le Sahara occidental » et « nos frères en Palestine », réaffirmant que « l’Afrique restera fidèle aux paroles de son défunt leader Nelson Mandela : Notre liberté, en tant qu’Africains, demeure incomplète sans la liberté de la Palestine ». D’autres voix se sont jointes à cet appel pour la justice historique. Chief Fortune Charumbira, président du Parlement panafricain, a insisté sur la dimension culturelle et éducative de cette lutte, estimant qu’un « effort particulier devrait être déployé dans les pays africains dans les domaines de la culture et de l’éducation » pour combattre les effets durables du colonialisme. « Il ne s’agit pas de parler des crimes coloniaux, mais d’agir en entreprenant des actions concrètes », a-t-il déclaré, plaidant notamment pour la récupération des biens culturels africains actuellement exposés dans des musées étrangers. Le président du Parlement panafricain a rendu hommage à l’Algérie, affirmant que « depuis son indépendance, ce pays a soutenu ceux qui luttaient pour leur indépendance ».
Bankole Adeoye, Commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité de l’Union africaine, a appelé à « renforcer l’unité des pays africains et impliquer la diaspora africaine » pour criminaliser le colonialisme, défendant « une position africaine commune » pour protéger les richesses et le patrimoine culturel du continent. Il a insisté sur le fait que « l’UA continuera à défendre l’intégrité territoriale des États et à militer pour restaurer la vérité historique sur le fait que le colonialisme représente un crime contre l’humanité ». Eric Phillips, représentant la région des Caraïbes, a rappelé que les Caraïbes figurent « parmi les régions ayant le plus subi le phénomène du colonialisme et les crimes coloniaux », comparant l’esclavage à « la première bombe nucléaire de l’histoire ». Il a demandé que les colonisateurs reconnaissent leurs crimes et que les pays de la région bénéficient d’un transfert de technologie et d’un effacement de dettes en guise de compensation.
Cette conférence d’Alger s’inscrit dans un mouvement continental visant à obtenir reconnaissance, justice et réparations pour les crimes coloniaux, marquant une nouvelle étape dans l’affirmation de l’Afrique sur la scène internationale.
Salim Amokrane

