Actualité

Une architecture africaine pour faire reconnaître les crimes coloniaux

Adoptée au terme de la Conférence internationale sur les crimes coloniaux en Afrique, la Déclaration d’Alger érige la mémoire, la vérité et la réparation en piliers d’un projet continental inédit. Le texte, rendu public à l’issue de deux jours de travaux à Alger, appelle notamment à la proclamation du 30 novembre comme « Journée africaine d’hommage aux martyrs et victimes de la traite transatlantique, de la colonisation et de l’apartheid », suivant la proposition du président de la République, Abdelmadjid Tebboune. Cette résolution constitue le socle d’une architecture africaine ambitieuse visant à reconnaître les crimes coloniaux, rétablir la justice et doter le continent d’outils pérennes pour écrire son propre récit historique. Les participants ont insisté sur la portée fondatrice de ce texte, présenté comme « une étape essentielle vers la reconnaissance des crimes du colonialisme », mais aussi comme « un moyen pratique pour doter l’Afrique d’instruments durables de mémoire, de vérité, de justice et de réparation ». Le choix du 30 novembre, jour d’ouverture de la conférence, s’inscrit dans cette volonté de construire une mémoire commune, partagée et institutionnalisée.

La Déclaration d’Alger articule plusieurs axes majeurs. D’abord, elle appelle les anciennes puissances coloniales à « assumer pleinement leurs responsabilités historiques à travers la reconnaissance publique et explicite des injustices commises ». Elle recommande la création d’« archives numériques panafricaines », la « redéfinition des curricula éducatifs » et la mise en place de « mémoriaux, musées et journées de commémoration ». Les États membres de l’Union africaine sont invités à instaurer des « Commissions nationales de vérité et réparations » et à renforcer les mécanismes juridiques capables de codifier la criminalisation du colonialisme dans le droit international, notamment à travers la restitution intégrale des archives et la responsabilisation morale et juridique des pays concernés.

Sur le plan institutionnel, la Déclaration préconise la création d’un « Comité panafricain de la Mémoire et de la Vérité historique », chargé d’harmoniser les approches, superviser la collecte documentaire, coordonner les centres de recherche et produire des analyses légitimes à l’échelle continentale. Cette démarche s’étend aux systèmes éducatifs africains, jugés prioritaires à réformer afin d’y intégrer pleinement « l’histoire précoloniale, coloniale et postcoloniale ». Les signataires encouragent les universités à créer des diplômes dédiés à la mémoire et aux réparations, et appellent à la mise en place d’une plateforme pour chercheurs et étudiants en histoire du colonialisme. La Déclaration s’attarde également sur l’impact écologique et économique de la domination coloniale. Elle souligne « la nécessité d’établir une évaluation continentale de l’impact écologique et climatique du colonialisme » et propose la création d’une plateforme africaine de justice environnementale. Les États historiquement responsables sont exhortés à assumer « leur responsabilité morale et politique », notamment en soutenant les efforts africains d’adaptation climatique. Sur le plan économique, les participants insistent sur l’importance d’un audit continental des impacts coloniaux en vue d’une stratégie de réparation incluant compensations, annulation de dettes et financement équitable du développement. Ils appellent à « la refonte de l’architecture financière internationale » afin de démanteler l’héritage colonial encore présent dans les institutions mondiales.

Ces orientations ont trouvé un écho particulier dans l’intervention de la secrétaire d’État chargée des Affaires africaines, Bakhta Selma Mansouri, qui a replacé le débat dans une perspective long terme. Selon elle, « la question des crimes coloniaux ne relève pas du passé, ses effets étant encore visibles aujourd’hui », tant dans les trajectoires de croissance que dans les rapports de force internationaux. Pour Mme Mansouri, le traitement de ces crimes doit dépasser la simple condamnation : « il doit se muer en un projet politique, juridique et économique intégré qui place l’Afrique dans une position d’initiative et non de réaction ». La secrétaire d’État a salué la vision du président Tebboune, estimant que la justice historique « n’est pas un dossier symbolique mais un levier de puissance », capable de remodeler les priorités du continent. Elle a insisté sur une idée centrale de la conférence : « l’Afrique ne permettra plus que son histoire soit réécrite en dehors de ses institutions », affirmant que la mémoire ne doit plus rester « un instrument entre les mains d’autrui ». Cette dynamique trouve un prolongement dans les convergences croissantes entre l’Afrique et la région des Caraïbes, une alliance qu’elle décrit non comme symbolique mais comme « capable d’opérer un changement réel dans les rapports de force aux Nations unies, dans les tribunaux internationaux et dans la gouvernance financière mondiale ».

Abordant les enjeux économiques, Mme Mansouri a rappelé que « l’avenir économique du continent ne peut être dissocié de la justice historique ». Les crises actuelles sont, selon elle, « la conséquence directe de politiques coloniales systématiques ». La bataille pour les réparations est donc aussi une bataille pour « redéfinir les conditions du développement » et briser les mécanismes de dépendance hérités du passé. Elle a plaidé pour « consolider la place de l’Union africaine en tant qu’acteur juridique et institutionnel », estimant que le continent dispose désormais de compétences et de mécanismes capables de formuler des argumentaires solides et d’agir dans les cadres internationaux.

La secrétaire d’État a enfin appelé à transformer la « dynamique intellectuelle » de la conférence en une « architecture institutionnelle durable », jugeant que la véritable portée de l’événement réside autant dans la Déclaration d’Alger que dans les étapes à venir : préparation du sommet de l’Union africaine de 2026, unification des positions africaines et construction d’un processus juridique à long terme.

Chokri Hafed

admin

admin

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *