Yasmina Khadra à Oran : « La littérature est un pilier de la conscience collective »
L’écrivain a animé lundi au CRASC une rencontre organisée par l’Ordre des avocats d’Oran, plaidant pour le livre comme « produit de première nécessité » et appelant à initier précocement les jeunes à la lecture pour forger des générations éclairées face à l’uniformisation des idées.
La salle du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle d’Oran affichait complet lundi après-midi. Avocats, intellectuels et passionnés de littérature s’étaient donné rendez-vous pour écouter Yasmina Khadra, figure majeure de la littérature algérienne contemporaine, venu échanger sur le rôle vital de la littérature dans la construction des sociétés. À l’initiative de l’Ordre des avocats du barreau d’Oran, cette rencontre a permis un dialogue nourri sur les enjeux de la lecture et de la transmission culturelle à l’heure du tout numérique. D’emblée, l’auteur des « Hirondelles de Kaboul » et de « Ce que le jour doit à la nuit » a posé les termes du débat avec une conviction sans faille. « La littérature constitue un socle fondamental pour élever le niveau de conscience des peuples, préserver la mémoire collective et forger l’esprit critique », a-t-il affirmé, rappelant que le livre n’est pas un simple objet culturel mais bien « un produit de première nécessité ». Cette formule, qui pourrait surprendre dans un monde où les besoins primaires semblent ailleurs, traduit chez Khadra une vision profonde du rôle de la culture comme fondement de toute société qui aspire à l’émancipation et au progrès.
L’écrivain a longuement insisté sur la nécessité d’initier très tôt les enfants et les jeunes à la lecture, condition sine qua non pour « bâtir des générations éclairées, capables de discernement et de réflexion ». Dans un contexte où la consommation culturelle tend vers l’instantané et le superficiel, Yasmina Khadra voit dans la lecture un rempart contre « la médiocrité et l’uniformisation des idées ». Mais cette mission, prévient-il, ne peut reposer uniquement sur l’école ou les institutions. Elle « incombe avant tout aux parents, appelés à jouer un rôle central dans l’ancrage de la culture du livre au sein de la famille ». La transmission familiale apparaît ainsi comme le premier maillon d’une chaîne qui permettra de former des citoyens éclairés, armés intellectuellement pour affronter la complexité du monde contemporain.
La question des réseaux sociaux, incontournable dans tout débat sur la lecture aujourd’hui, a également été abordée. Contrairement aux discours alarmistes qui voient dans le numérique la mort annoncée du livre, Yasmina Khadra a adopté une position nuancée. « Les réseaux sociaux ne constituent pas en soi une menace », a-t-il estimé, relativisant leur impact. Selon lui, « dans toute société, il y a toujours des individus qui choisissent des chemins différents de ceux de la consommation facile et du superficiel, privilégiant la profondeur intellectuelle et la quête du sens ». Cette confiance en la capacité de résistance d’une partie de la société face aux sirènes de la facilité numérique témoigne d’un optimisme mesuré : si le livre est menacé, il n’est pas condamné, pour peu que les médiateurs culturels sachent transmettre le goût de la lecture aux nouvelles générations.
Le bâtonnier Omar Bergham, organisateur et co-animateur de la rencontre, a d’ailleurs rebondi sur cette question en soulignant le « potentiel des réseaux sociaux comme outils de promotion de la lecture et de la littérature ». Pour lui, ces plateformes « peuvent être mises au service de la diffusion du livre et du rapprochement entre les écrivains et le public, à condition d’en faire un usage réfléchi et responsable ».
Mohand Seghir

