Ghef wudem-im a Tilelli de Khelidja Benkerrou : L’épopée de la résistance algérienne ressuscitée en langue tamazight
Avec son roman Ghef wudem-im a Tilelli (Pour toi, ô Liberté), l’auteure algérienne Khelidja Benkerrou offre à la littérature amazighe un récit poignant sur la lutte anticoloniale. Publié en 2025 aux éditions Thinhinane, ce premier roman de 141 pages vient d’être distingué par le prix « Mon premier livre » dans la catégorie du meilleur roman en langue amazighe lors de la 28e édition du Salon international du livre d’Alger. Une reconnaissance qui consacre une œuvre à forte dimension historique et mémorielle, écrite dans un style fluide et accessible. Le roman plonge le lecteur au cœur de la Guerre de libération nationale algérienne, racontant l’histoire d’une famille dont l’engagement contre le colonialisme français se transmet comme un héritage sacré. Au centre du récit, Belkacem incarne cette mémoire familiale devenue devoir moral. Le personnage principal se sent investi de la mission de poursuivre le combat de ses deux frères tombés en martyrs et de son père Ahmed, lui-même victime de la violence de l’armée coloniale. À travers son parcours, Benkerrou dépeint sans concession le quotidien des Algériens sous la domination française, marqué par la répression, la misère, les maladies et la faim chronique. L’auteure ne ménage pas sa plume pour révéler ce qu’elle considère comme le véritable visage du système colonial. Le récit expose des populations abandonnées à la malnutrition et privées d’accès aux soins médicaux. Cette réalité tragique prend corps dans le destin de Kaissa, l’épouse de Belkacem, qui décède faute de prise en charge médicale, suivie de près par l’un de leurs enfants emporté par la peste. Malgré ces drames successifs, le roman démontre comment les Algériens ont affronté simultanément la guerre, la famine et les épidémies avec un objectif unique, selon Benkerrou, celui de survivre tout en préservant leur dignité face à l’oppression.
La place des femmes dans la résistance occupe une position centrale dans l’œuvre. Le personnage de Tassaadit, mère de Belkacem et de martyrs, illustre cette contribution féminine à la lutte de libération. Malgré la douleur des pertes successives, elle continue, selon l’auteure, à incarner l’espoir et la vie, symbolisant la force morale des femmes algériennes durant la période coloniale. Son parcours témoigne des sacrifices immenses consentis par les femmes, que Benkerrou présente comme de véritables piliers de la résistance et de la cohésion sociale dans un contexte de violence extrême.
Cette galerie de figures féminines se complète avec N’a Djouhra, doyenne du village, qui représente la mémoire collective et la sagesse populaire. Gardienne de la communauté, elle partage les joies et les peines des villageois, incarnant la continuité culturelle face aux épreuves. À travers ces personnages féminins forts, Khelidja Benkerrou revendique une vision sans détour de ce qu’elle décrit comme la cruauté et la monstruosité du système colonial, tout en célébrant la résilience et l’humanité du peuple algérien. Le choix de la langue tamazight pour porter ce récit mémoriel constitue en soi un acte de reconnaissance culturelle, ancrant dans la littérature amazighe contemporaine un pan essentiel de l’histoire nationale algérienne.
M.S.

