18e Festival national du théâtre professionnel : Quand le théâtre ravive les mémoires de la résistance
Le 18e Festival national du théâtre professionnel (FNTP), qui se poursuit jusqu’au 1er janvier 2026 sous l’intitulé « Le théâtre réduit les distances », met à l’honneur le théâtre de mémoire avec deux spectacles marquants : « Palestine trahie » du Théâtre régional de Tizi Ouzou et « Ghadbat El Bey » du Théâtre régional de Biskra, deux œuvres qui tissent des liens puissants entre les luttes de libération passées et présentes.
Présentée samedi soir à Alger, la pièce « Palestine trahie » du Théâtre régional de Tizi Ouzou plonge le spectateur au cœur de la barbarie commise par l’entité sioniste contre le peuple palestinien. Mise en scène par Ahmed Rezzak et inspirée de textes de l’écrivain et dramaturge Kateb Yacine, notamment « Le cadavre encerclé » et « Palestine trahie », cette création théâtrale propose une vision résolument contemporaine de la tragédie palestinienne. La pièce, interprétée par une pléiade de comédiens, retrace avec force les crimes de l’occupation sioniste, la spoliation des terres et des maisons des Palestiniens, ainsi que leur privation du droit fondamental à la vie. La mise en scène intègre des chorégraphies expressives signées par la poétesse Khadidja Guemiri, qui viennent amplifier l’intensité émotionnelle du propos et donner une dimension corporelle à la souffrance du peuple palestinien. Mais loin de se limiter à un constat accablant, le spectacle célèbre également la résistance d’un peuple qui refuse de se laisser écraser. Dans une construction dramaturgique particulièrement évocatrice, la pièce établit un dialogue permanent entre la cause palestinienne et la Révolution algérienne, comme si les deux luttes de libération se répondaient à travers le temps et l’espace. Les personnages reviennent régulièrement se ressourcer de la résilience du peuple algérien, notamment à travers un retour interférant vers les massacres du 8 mai 1945, cette date tragique de l’histoire algérienne qui préfigurait la guerre de libération. Cette mise en perspective historique confère à l’œuvre une profondeur supplémentaire, inscrivant la résistance palestinienne dans une continuité des luttes anticoloniales qui ont marqué le XXe siècle.
Le Théâtre régional de Biskra a également fait son entrée en compétition samedi soir avec « Ghadbat El Bey » (La colère du Bey), une œuvre théâtrale épique qui retrace une période charnière de l’histoire algérienne à travers la résistance anticoloniale d’Ahmed Bey à Constantine. Mis en scène par Karim Boudechiche sur un texte de Hamid Allaoui et un traitement dramaturgique de Said Boulmerka, le spectacle reconstitue la résistance armée menée par Ahmed Bey en 1836 à Constantine, avant la chute de cette ville de l’est algérien aux mains des forces coloniales françaises un an plus tard. Servi par une dizaine de comédiens issus pour la plupart du Théâtre régional de Biskra, ce spectacle inscrit dans le registre du théâtre de mémoire établit un lien explicite entre la résistance populaire menée par Ahmed Bey, personnage incarné avec conviction par Tarek Louiz, et le déclenchement de la Révolution de novembre 1954. Investis pleinement dans leurs rôles, les comédiens, notamment Saïd Djenane, Hamza Diab et Baya Mohamedi, ont porté avec brio un texte dense qui suit une chronologie historique rigoureuse, permettant de recréer le conflit et les confrontations verbales entre Ahmed Bey et les autorités coloniales. À travers l’exécution de plusieurs tableaux renvoyant aux différentes situations de résistance, le spectacle revient sur la victoire d’Ahmed Bey en 1836, avant son repli stratégique avec ses troupes dans les Aurès pour mieux s’organiser aux côtés d’autres résistants de la région. Face au blocus imposé par l’armée coloniale dans les Aurès, Ahmed Bey se rend à Biskra pour une pause tactique afin de réorganiser son armée, une séquence qui permet au spectacle de déployer toute sa dimension stratégique et militaire.
Sur le plan esthétique, Karim Boudechiche a fait le choix audacieux d’emprunter au langage cinématographique en adoptant une fusion des codes du septième art et du théâtre. Il utilise ainsi un découpage technique inspiré du cinéma, incluant des notions de format et de cadrage. La mise en scène privilégie l’atmosphère et dégage deux espaces scéniques distincts, le palais et le maquis, grâce à une scénographie minimaliste et statique dont l’arrière-plan suggère, par des arcades, un palais d’époque. Le metteur en scène explique que sa vision scénique permet des chevauchements de temps et d’espace ainsi que des effets de distanciation, offrant aux comédiens une fluidité de mouvement dans l’ensemble de l’espace dominé par une arcade centrale. Soutenu par une bande son signée Abdelkrim Khomri, qui illustre brillamment les atmosphères tragiques et les fortes émotions de la trame avec des chants patriotiques réarrangés, le spectacle bénéficie également d’un éclairage feutré et sombre qui participe à recréer les différentes situations dramatiques.
Ouvert le 22 décembre, le 18e FNTP propose au total 18 pièces en compétition et 8 autres hors compétition, en plus de conférences, master classes et spectacles de rue.
Mohand Seghir

