Culture

Festival national du théâtre professionnel d’Alger : « El Haribate » ou une quête existentielle 

La pièce tunisienne « El Haribate » (les fugitives), mise en scène par Wafa Taboubi, a été présentée lundi soir au Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi d’Alger en présence de la ministre de la Culture et des Arts, Malika Bendouda. Ce spectacle de 75 minutes, exploration subtile du doute, de l’attente et de l’espoir face aux angoisses existentielles, témoigne de la vitalité des échanges culturels maghrébins et de la volonté de faire dialoguer les scènes théâtrales de la région.  « El Haribate » explore les territoires anxiogènes de l’existence humaine à travers une distribution triée sur le volet composée de cinq talentueuses comédiennes tunisiennes et d’un de leurs compatriotes artiste, tous professionnels des planches. Fatma Bensaïdane, Mounira Zakraoui, Lobna Naamane, Oumaïma Bahri, Sabrine Omar et Oussama El Henaïni ont tenu en haleine le public algérois, portant avec une intensité remarquable un texte dense qui interroge l’incertitude et questionne le sens de nos existences tourmentées. La metteuse en scène Wafa Taboubi, qui signe également la scénographie, a fait le choix audacieux de l’épure. L’absence de décor traditionnel est compensée par la richesse du texte, la grande compétence des comédiennes, une bande sonore et un éclairage subtils qui créent des atmosphères sombres et glaciales. Elle a préféré miser sur « l’intensité de la performance de l’ensemble des prestataires » plutôt que de mettre en avant des personnages laissés délibérément sans nom pour les identifier. Cette option dramaturgique renforce l’universalité du propos et permet à chaque spectateur de s’identifier aux angoisses représentées. La scénographie de Wafa Taboubi témoigne d’une grande maîtrise des codes théâtraux contemporains. Elle s’est « aidée de plaques de signalisation routière pour annoncer les intitulés de certains des tableaux » et a recommandé aux comédiennes de « déclamer les dialogues en criant pour maintenir l’attention des spectateurs », s’inscrivant ainsi dans la lignée du théâtre de la cruauté préconisé par Antonin Artaud. Cette approche audacieuse témoigne d’une fusion judicieuse de courants théâtraux et d’une belle chimie des écoles, convoquant le théâtre épique de l’absurde, le théâtre didactique et le théâtre de la cruauté dans une synthèse originale et puissante. Véritables éléments dramaturgiques, la lumière et la musique, œuvre de Hani Belhammadi, entretenaient discrètement le climat de psychose régnant. L’éclairage, tantôt feutré tantôt vif, latéral, vertical ou en diagonales, suggérait la provenance et l’origine de la détresse, de l’angoisse et de la douleur. La progression et l’imminence de ces émotions étaient annoncées par des boucles de cadences rythmiques et de corpus musicaux saccadés qui amplifiaient la tension dramatique. Sur scène, dans des dialogues empreints de violence et de colère, les artistes tunisiens en détresse absolue allaient dans tous les sens, s’accusant, se chamaillant, se bousculant, gesticulant, courant et vociférant, tous en quête d’un sens qui apaiserait leurs angoisses et leurs tourments. Cette performance physique hautement exigeante, aux échanges ascendants et soutenus déclamés avec vocifération, a démontré la densité du propos et l’engagement total des interprètes. Quelques moments comiques dans le propos ou dans le jeu des comédiennes ont néanmoins agrémenté le spectacle et fait rire les spectateurs, restés généralement recueillis et attentifs durant tout le déroulement de la représentation. Auparavant, la ministre de la Culture et des Arts, Malika Bendouda, accompagnée du commissaire du 18e Festival national du théâtre professionnel et directeur du Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi, Mohamed Yahiaoui, avait remis un trophée honorifique à l’acteur et comédien jordanien Zuhaïr Al Nobani, en hommage à l’ensemble de sa carrière prolifique, confirmant ainsi la dimension maghrébine et arabe de cette édition du festival.

Organisé depuis le 22 décembre au Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi et dédié au comédien, dramaturge et metteur en scène Abdellah Hamlaoui, le 18e Festival national du théâtre professionnel se déroule cette année sous l’intitulé « Le théâtre réduit les distances ». Avec 18 pièces en compétition et huit autres programmées en off, auxquelles s’ajoutent conférences, master classes et spectacles de rue, le festival algérien s’affirme jusqu’au 2 janvier 2026 comme un rendez-vous majeur du théâtre maghrébin.

M.S.

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