Il faut mettre fin à l’échec systémique de la politique climatique
par Dennis J. Snower
La COP26, la Conférence de l’ONU sur le climat qui s’est tenue à Glasgow le mois dernier, s’est soldée par un échec. Or le plus grand dysfonctionnement de la COP26 semble avoir échappé à pratiquement tous les participants : le système mondial de lutte contre le réchauffement climatique (une constellation de dispositions économiques, politiques et sociales) ne répond pas à son objectif.
Pour comprendre cet échec systémique, faisons une analogie : supposons qu’un grave incendie menace tout un quartier dans une ville. Pour le protéger, il faut mobiliser les services de lutte contre l’incendie, de nombreux services d’urgence, ainsi que les entreprises et les habitants des alentours. Mais ces différentes entités ne se coordonnent pas entre elles. Des citoyens accourent avec des seaux d’eau, des entreprises fournissent des extincteurs, une partie de la population manifeste contre l’ordre d’évacuation et des responsables locaux tiennent un meeting à la mairie pour demander à toutes ces entités de s’engager, alors qu’elles n’y sont pas tenues. Pourtant l’engagement de tous laisse espérer qu’il sera possible de protéger le quartier.
C’est exactement le point où nous en sommes en ce qui concerne le réchauffement climatique. Notre système n’est pas conçu pour parvenir à l’objectif fixé par l’accord de Paris sur le climat de 2015 : limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à son niveau préindustriel. Si (un grand Si), les engagements du Pacte de Glasgow pour le climat sont tenus, le réchauffement climatique sera compris entre 2,5 et 2,7°C d’ici la fin du siècle. Ce serait un désastre.
Le système économique vise à obtenir le PIB le plus élevé possible, les entreprises veulent que le bénéfice de leurs actionnaires soit le plus élevé possible et les politiciens cherchent à rassembler le plus de voix possible lors des élections. Les sociétés sont bousculées par le consumérisme, le nationalisme, le populisme et l’environnementalisme. Dans ce contexte, la prospérité économique et le succès politique sont découplés de la stabilité sociale et de l’environnement.
Face à un tel échec systémique, les exemples d’entreprises vertes prospères et d’investisseurs qui décarbonent leurs portefeuilles ne sont pas vraiment encourageants. Si les Etats n’exigeant pas de toutes les entreprises qu’elles prennent leur responsabilité en matière d’environnement, les activités vertes de certaines d’entre elles permettront à d’autres d’agir de manière non responsable. La lutte contre le changement climatique nécessite une collaboration délibérée entre les entreprises et les pouvoirs publics.
Heureusement, nous savons ce qu’il faut faire pour obtenir la mobilisation collective voulue pour sortir de l’impasse actuelle. Les dirigeants devraient suivre les principes de conception fondamentaux de la regrettée Elinor Ostrom, lauréate du prix Nobel, pour gérer efficacement les biens communs.
1) Le sentiment d’appartenance à une même humanité et un objectif commun sont essentiels. Limiter le réchauffement climatique est un objectif intrinsèquement mondial : les gaz à effet de serre, où qu’ils soient émis, affectent le reste du monde. D’où que nous soyons, nous devons donc partager cet objectif. Or les négociations de la COP26 ont été structurées de manière à opposer les intérêts nationaux entre eux, plutôt que de promouvoir un sentiment d’appartenance commune à une humanité s’efforçant de protéger notre planète.
2) Les avantages et les inconvénients de la politique climatique doivent être répartis de manière à ce que toutes les parties soient gagnantes. La plupart des experts s’accordent à dire qu’une décarbonisation efficace nécessite de fixer un prix mondial du carbone qui soit conforme aux objectifs de l’accord de Paris. Une tonne de CO2 cause les mêmes dommages à l’environnement, quel que soit l’endroit où elle est émise. Il semble donc logique que le prix du carbone soit le même pour tous. Cela permettrait d’éviter le problème de la « fuite de carbone » qui se produit lorsqu’une réduction des émissions de CO2 dans un pays entraîne une augmentation des émissions dans un autre pays où le prix du carbone est moins élevé. Il en est de même pour les entreprises.
Mais la mise en œuvre d’un prix mondial du carbone (par exemple au moyen d’une taxe sur le carbone ou d’échanges de droits d’émission) pourrait être socialement problématique. Les pauvres et les classes moyennes pourraient avoir du mal à payer un prix plus élevé pour les biens et services à forte intensité de carbone, tandis que le déclin de l’emploi qui en résulterait dans les secteurs à forte intensité de carbone mettrait au chômage nombre de travailleurs et priverait certaines régions de leur base économique. La COP26 n’a pas été conçue pour fournir les conditions sociales préalables à une politique climatique efficace.
3) Une politique climatique réussie exige une prise de décision équitable, incluant toutes les parties impliquées. De nombreuses voix se sont élevées pour souligner que les négociations de la COP26 ont exclu les personnes qui seront les plus touchées par la catastrophe climatique imminente – tandis que les personnes en position de pouvoir (souvent des Blancs âgés) ont tout intérêt à ce que la situation reste inchangée.
Cette approche déresponsabilise les personnes les plus touchées par le réchauffement climatique – généralement les jeunes des pays en développement ou appartenant à des cultures marginalisées. Or ce sont souvent eux qui possèdent la perspicacité, les connaissances locales et surtout le sentiment d’urgence lié à la perspective d’être bientôt confronté au aux conséquences les plus immédiates du changement climatique.
Plusieurs autres principes sont essentiels pour lutter efficacement contre le réchauffement de la planète. La mesure des progrès accomplis et la transparence à ce sujet devrait permettre de surveiller l’application des mesures décidées. Il faudra également prévoir un système de récompenses et de sanctions graduelles, respectivement pour les actions utiles au climat et celles qui lui sont nuisibles.
En outre, la politique climatique nécessite des mécanismes rapides et équitables de résolution des conflits, avec des médiateurs impartiaux de confiance. Via le principe de subsidiarité, le pouvoir d’auto-gouvernance doit être reconnu au niveau supranational dans toutes les organisations et forums internationaux pertinents.
Enfin, il faut une gouvernance polycentrique. Les organes de gouvernance internationaux, nationaux, régionaux et locaux doivent interagir pour conclure et appliquer des accords de manière cohérente.
La COP26 n’a pratiquement rien fait pour répondre à ces exigences. Les Etats ne sont pas parvenus à un accord sur la manière de mesurer les émissions de gaz à effet de serre et il n’existe aucun mécanisme de mesure reconnu sur le plan international. Les recommandations de la COP26 ne sont pas contraignantes. De ce fait, il n’existe ni sanction ni récompense à l’égard des Etats en fonction de leurs résultats pour limiter ces émissions. De même, il n’existe pas de mécanisme rapide et impartial pour résoudre les conflits en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Et bien que la souveraineté des Etats soit reconnue, l’absence d’un système de gouvernance polycentrique fait que du niveau local au niveau international, la politique climatique est négligée et incohérente. Certes, répondre à ces exigences exige des mesures d’envergure qui ne peuvent être prises du jour au lendemain. Nous avons un devoir à l’égard de la prochaine génération : essayer d’établir les conditions sociales, économiques et politiques d’une action climatique efficace.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
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