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Annulation de la fête du trône, absence prolongée de Mohamed VI et guerre de succession / Maroc : crise politique au sommet

L’annulation, vendredi, de la fête du trône prévue pour le 30 juillet de chaque année s’inscrit dans un contexte politique, économique et social caractérisé par les risques d’une implosion. 

Le Palais royal marocain a annoncé l’annulation des festivités de la fête du trône qui devaient avoir lieu samedi prochain. Un report que la chancellerie a tenté de justifier par des « mesures préventives imposées par l’évolution de la situation sanitaire due à la pandémie de Covid-19 ». Un argument qui peine à convaincre d’autant que cette annulation intervient au moment où l’absence prolongée du roi de la sphère publique suscite beaucoup d’interrogations et a du mal à dissimuler les tiraillements en coulisses sur fond de guerre de succession qui affecte le Makhzen.

Le dernier communiqué du palais royal, largement relayé par les médias marocains, illustre d’ailleurs la faillite qui affecte aujourd’hui le régime marocain. Une banqueroute qui se traduit par un embarras sur le plan communicationnel. 

La vidéo du protocole de la célébration de l’Aïd el Adha colportée par les réseaux du régime du Makhzen pour présenter une image d’un roi en bonne santé avait déjà de quoi titiller l’amour-propre des Marocains. La publication de fake et d’informations sans aucune véracité ni fondement qui s’en suivirent, ainsi que cette dernière entourloupe communicationnelle ont fini par excéder les sujets de sa Majesté.  D’ailleurs, la faiblesse de l’argutie présentée par les thuriféraires du Palais royal n’a pas réussi à convaincre grand monde, car il est aisé de se remémorer que l’année précédente le Palais royal célébrait la fête de trône en dépit de la crise pandémique qui faisait rage au Maroc enregistrant une importante propagation et des contaminations record par rapport à cette année. Le royaume chérifien qui était en 2021 en urgence sanitaire avait enregistré quelque 11000 cas quotidiens du variant Delta de covid-19 durant l’été dernier. Une situation qui met en défi une communication mal-assurée qui peine à dissimuler la réalité politique du Palais royal et la guerre fébrile qui s’est déclenchée entre les partisans du prince Moulay Rachid et ceux qui prêtent allégeance au prince héritier Moulay Hassan à propos de la succession au trône. Un embarras qui a complètement discrédité la communication des médias officiels du régime du Makhzen à propos de l’état de santé du roi Mohamed VI. Face au blackout, les Marocains s’interrogent d’ailleurs à propos de leur monarque : qu’est-il advenu du roi et que lui est-il arrivé ? Certaines informations parlent même du décès de Mohamed VI et justifient ce silence par l’importance de l’enjeu de la succession qui n’a pas été tranchée et les divergences qui impactent la démarche dans un climat délétère qui imprime les institutions du Makhzen où les rivalités et la course pour le trône ont divisé les hauts responsables des forces armées royales, celui des services de renseignements et le conseiller personnel du roi, André Azoulay.

Cette situation a poussé les concernés par la guerre de succession à réfléchir à un « compromis » qui évitera au moins au Makhzen de se disloquer. Le souci n’est pas en rapport avec l’état de santé du roi Mohamed VI, bien au contraire, les responsables du sérail ont surtout peur d’une révolution qui risque d’emporter la monarchie à cause des dernières décisions qui ont enflammé la rue marocaine, à savoir la normalisation avec l’entité sioniste et la dernière visite de chef de l’armée sioniste à Rabat, en sus de l’aggravation de la situation économique et sociale, ainsi que la corruption assumée par les pontes du régime.

Paupérisation continue

Malgré les chiffres enjolivés et présentés par le Makhzen, la gestion hasardeuse du covid-19, l’impact de la sécheresse sur les rendements agricoles et les conséquences de la guerre en Ukraine ont lourdement affecté l’économie marocaine avec une croissance à la baisse et une inflation qui monte crescendo et qui mettent à mal un pays qui affiche un endettement public de plus de 90 milliards de dollars et un déficit commercial qui dépasse les 11 milliards de dollars pour les 5 premiers mois de l’année. Une situation qui alourdit le fardeau sur une population déjà affectée par une paupérisation continue et des taux de chômage qui continuent de grimper, ainsi que des conditions sociales en constante dégradation. Ainsi, une interprétation des chiffres officiels sur les bénéficiaires de l’aide aux ménages vulnérables concédée lors de la pandémie permet de conclure que 20 % de la population est dans la pauvreté absolue, 40 % dans la pauvreté relative et 60 % est dans la précarité. Le taux de chômage est également insupportable. Ainsi, sur une population de 36 millions de personnes, seul un peu plus d’un million sont des salariés du secteur privé formel, selon les chiffres du Haut-Commissariat marocain au plan. Un autre million est employé par le secteur public, dont la moitié dans l’armée et les services de police ou assimilés. Le reste de la population active est dans l’informel ou travaille en tant que vendeurs à la sauvette. Pire encore, l’économie marocaine n’est capable de générer annuellement que moins de 100 000 emplois additionnels alors que la population active croit d’environ 400 000 chaque année. La situation dans les secteurs de l’éducation et de la santé est déplorable. Le Maroc compte parmi les 5 derniers pays dans le classement des évaluations TIMSS3. Et au classement PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) mené par l’OCDE et qui évalue la compréhension de l’écrit, la culture mathématique et la culture scientifique, le Maroc se classe aussi parmi les 5 derniers pays, soit 75e sur 79. Le système de santé marocain est classé au 133e rang sur 195 pays évalués par une étude de The Lancet. Les inégalités ne font que croître au Maroc lequel s’illustre en ce sens. L’inégalité du revenu, estimée par l’indice de Gini est de 46,4 %, dépassant le seuil socialement tolérable de 42 %. Ce qui constitue le terreau de la contestation sociale. Le Makhzen est assiégé par le peuple marocain à cause des mesures antipopulaires et antisociales qui ont appauvri la majorité de la population et la situation économique et financière qui a mis le royaume dans la posture d’un pays en faillite. L’annulation, vendredi, de la fête du trône prévue pour le 30 juillet de chaque année s’inscrit dans un contexte politique, économique et social caractérisé par les risques d’une implosion. Le Maroc fait face à une situation inédite dans son histoire.  La guerre de succession n’est que la partie émergée de l’iceberg, mais l’enjeu qui fait peur au régime du makhzen c’est bien les contestations et les manifestations qui ne faiblissent pas et qui montent crescendo contre les mesures économiques et sociales adoptées par les tenants du régime marocain via son gouvernement qui symbolise la corruption, la rapine et le clientélisme. Une corruption que le gouvernement, dirigé par un oligarque qui a largement profité de la fermeture de la raffinerie Samir et de la libéralisation des prix du carburant, cristallise parfaitement. Crise économique, augmentation du chômage et appauvrissement de la population qui s’ajoutent à une politique de normalisation agressive avec l’entité sioniste et porte atteinte à la dignité des Marocains alimentent une colère qui grandit chaque jour. La répression qui se traduit par l’espionnage massif des Marocains par le logiciel Pegasus et la multiplication des procès à l’encontre des militants des droits des libertés et des droits de l’Homme sont la facette des tentatives vaines du régime marocain de mettre fin à la protesta. Une protesta qui ne fait que grandir depuis le mois d’octobre dernier et ouvre la voie à une nouvelle structuration politique. Selon le président de l’ONG Al-Amana, Fouad Abdelmoumni, « les prémices d’un éveil des consciences sont perceptibles, avec la multiplication des mouvements contestataires autonomes et la mise en place d’un front social regroupant les principales organisations syndicales et les forces politiques alliées, ainsi que le renforcement des espaces critiques dans les réseaux sociaux. Une percée particulièrement importante est à attendre du rapprochement en cours entre, par-delà leurs différences idéologiques, des forces contestataires aux référents divers ». La revendication sociale se mue en protestation politique, avec pour seul crédo le départ d’un régime qui aura démontré sa faillite. 

Rachid Nassouti

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