Et c’est parti pour la croissance verte !
Par Paul Gruenwald
Les études scientifiques sur le thème de la croissance économique font autorité depuis longtemps. Mais depuis la récente entrée en scène de la durabilité dans le débat, ce champ de recherche sort enfin de sa longue torpeur.
En particulier, un rapport sur l’économie de la biodiversité, commandé par le gouvernement britannique et dirigé par Partha Dasgupta de l’Université de Cambridge, représente un changement radical des modèles de pensée, plutôt qu’une simple extension logique des modèles de croissance précédents. Si certaines personnes risquent d’être perturbées par ce changement, ce dernier a pourtant le mérite de proposer d’utiliser la puissance des données et des analyses pour mettre la croissance et le financement sur une voie plus durable.
En un mot, la nouvelle économie de la croissance ne considère plus l’environnement comme extérieur à l’économie. Au contraire, l’économie est ancrée dans l’environnement et ne peut prospérer et croître durablement qu’à condition de gérer la nature de manière avisée. Bien qu’une certaine « exploitation » de l’environnement soit possible, il existe un point de non-retour au-delà duquel la nature ne peut jamais se reconstruire.
Il y a donc un nouvel objectif pour penser la croissance. Il ne s’agit plus de faire toujours plus fort : à présent, il est préférable d’aller dans le sens du plus durable. Les modèles de croissance précédents considéraient l’accumulation du capital humain et physique – par l’éducation et la formation, ainsi que les investissements dans les usines, le matériel et les infrastructures – comme une bonne chose, parce qu’ils faisaient croître l’économie. La combinaison de ces facteurs de manière plus efficace par l’innovation technologique était tenue pour bénéfique pour la même raison. Le problème est que ces modèles n’ont jamais explicitement pris en compte l’environnement, ni le capital naturel.
Une comptabilité basique met en évidence les conséquences négatives de cette approche. Selon le rapport Dasgupta, au niveau mondial entre 1992 et 2014, le capital physique par habitant a pratiquement doublé, tandis que le capital humain par habitant a augmenté de 13 %. Mais le capital naturel par habitant a diminué de 40 %. Cette politique n’est évidemment pas durable, en particulier si l’environnement est confronté à un point de non-retour irréversible.
La croissance est devenue non durable principalement parce que les prix du marché n’ont pas pris en compte les externalités environnementales négatives de l’activité économique. L’allocation de ressources qui a suivi ces signaux-prix a donc conduit à la dégradation de l’environnement. En outre, les mesures conventionnelles du PIB ont enregistré les augmentations de la production par habitant comme une augmentation du niveau de vie. Bien que cela soit vrai au sens strict, un bilan pour l’environnement, ou un moyen d’ajuster les chiffres du PIB en fonction des dommages écologiques faisait défaut à cette approche. De nombreux économistes et décideurs politiques ont donc largement ignoré cette externalité négative.
La manière classique de créer une croissance plus durable consiste à taxer les éléments qui nuisent à l’environnement, l’instrument le plus simple étant une taxe carbone. Le montant de la taxe doit augmenter le coût privé de l’activité économique au niveau du coût social, ce qui inclut l’impact sur l’environnement. Ce signal de marché modifié contribuera alors à allouer les ressources de manière plus durable.
Mais le secteur privé peut faire mieux qu’être un simple preneur de prix dans la transition verte : il peut y jouer un rôle actif en internalisant l’externalité négative. Dès à présent, les fonds souverains, les fonds de dotation universitaires et les fonds d’assurance et de pension cherchent à investir leurs actifs de manière plus durable. Les indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et d’autres outils de financement écologiques sont de plus en plus disponibles pour orienter les investissements. Ce segment de marché a explosé au cours des dernières années, mais il reste beaucoup à faire pour harmoniser les définitions et assurer un suivi des résultats plus précis et plus cohérent.
La clé de la prospérité dans un monde durable va consister à favoriser la croissance économique tout en gérant le stock de capital naturel. La taille compte encore, mais à présent de manière négative. Par exemple, il n’y a pas de dividende démographique. Dans les modèles de croissance traditionnels, davantage de main-d’œuvre conduit à davantage de production. Mais dans un monde à croissance durable, une production plus élevée diminue le capital naturel. Le corollaire de cette situation est que le déclin de la population est bon, ce qui implique que le Japon et l’Europe n’ont pas de raison de désespérer.
Un modèle d’économie planifiée de répression financière pour financer des investissements et une croissance rapide ne semble pas non plus trop prometteur, à moins qu’il ne permette une mise à niveau vers un stock de capital plus propre, à l’empreinte environnementale plus douce.
La technologie pour elle-même ne fait plus partie de ce nouveau modèle de croissance non plus. Dans un monde durable, la technologie doit réduire l’impact environnemental de l’activité économique et il est peu probable que les innovations qui l’augmentent soient adoptées. Les pays auront encore besoin de changements technologiques pour stimuler la croissance, mais il faudra mettre l’accent sur l’efficacité environnementale.
Pour relever le défi de la croissance, il faut modifier les priorités et les politiques. Les pays auront encore des opportunités de croissance, d’échanges commerciaux, d’innovation et d’être promus en termes de chaîne de valeur pour assurer un avenir meilleur. Mais ils devront réaliser ces objectifs dans une économie qui se place sur un pied d’égalité avec la nature, et non pas externe à elle.
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Paul Gruenwald, économiste en chef mondial chez S&P Global Ratings.