Le Premier ministre éthiopien a quitté hier Alger : Les enjeux d’une visite
La visite de deux jours à Alger du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed à Alger intervient à un moment où le dossier éthiopien préoccupe beaucoup les Nations Unies et l’Union africaine. Cette inquiétude découle du fait que ce pays qui abrite le siège de l’organisation panafricaine est confronté à une double crise. Les autorités éthiopiennes verraient certainement d’un bon œil que l’Algérie les aide à leur trouver des solutions. De nombreux observateurs estiment qu’Alger a l’expérience et l’influence suffisante pour aider l’Éthiopie à s’en extraire.
Parmi ces crises, il y a d’abord le conflit du Tigré (localité située dans le nord éthiopien) qui non seulement s’éternise mais commence aussi à provoquer une grave crise humanitaire. Deuxième nation la plus peuplée d’Afrique, l’Ethiopie connaît en effet depuis novembre 2020 une guerre dévastatrice entre les rebelles du FLPT et les forces de défense nationales éthiopiennes soutenues par leurs alliés. Le conflit a jeté des millions de personnes dans la misère. Près de la moitié des habitants de la région éthiopienne du Tigré manque gravement de nourriture. Après une trêve de 5 mois, les combats ont repris le 23 août avec une rare violence.
Devant l’évolution inquiétante de la situation, l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), un groupement de huit pays d’Afrique de l’Est, a d’ailleurs appelé mercredi dernier les belligérants à observer une cessation « immédiate » des hostilités. Son secrétaire général, Workneh Gebeyehu, s’est déclaré «particulièrement préoccupé» dans un communiqué des informations sur les combats dans la région du Tigré. Il a demandé aux parties au conflit de donner priorité au dialogue « afin de parvenir à une paix durable dans l’intérêt du peuple éthiopien et de toute la région». Jusque là, les appels à la désescalade sont restés vains.
Outre le dossier brûlant du dossier du Tigré, l’Ethiopie entretient des relations extrêmement tendues avec l’Egypte. Et cela depuis des années. La raison tient au fait que Addis-Abeba à construit un méga barrage sur le Nil pour produire de l’électricité. L’Egypte s’inquiète du rythme de remplissage du réservoir géant de l’infrastructure. S’il est rempli sur une période courte, l’écoulement de l’eau du Nil à travers l’Égypte pourrait fortement baisser, ce qui pourrait menacer l’agriculture et l’industrie égyptiennes. Le Caire voit donc dans ce projet une menace « existentielle », surtout si le gouvernement éthiopien ne donne pas de droit de regard au Caire sur sa gestion. Le Soudan a également mis en garde contre des « grands risques » pour la vie de millions de personnes.
Après neuf années de blocage dans les négociations, les Etats-Unis et la Banque mondiale ont parrainé à partir de novembre 2019 des discussions visant à trouver un accord, qui ont échoué. En juillet 2020, l’Ethiopie a annoncé avoir atteint un premier objectif de remplissage, à 4,9 milliards de mètres cubes, puis en juillet 2021 le succès d’une seconde phase de remplissage. La troisième phase de remplissage a eu lieu il y a quelques semaines. Entre-temps, l’Ethiopie a lancé la production d’électricité du barrage. En 2021, l’ONU a recommandé aux trois pays de poursuivre les pourparlers sous l’égide de l’UA, qui restent dans l’impasse. Une impasse qui pourrait aujourd’hui être à l’origine d’un conflit régional. Les observateurs craignent le déclenchement d’une guerre de l’eau.
Une telle perspective serait désastreuse pour toute l’Afrique de l’Est. Aussi, il est impossible que le Premier ministre éthiopien n’ait pas fait mention de ces crises lors de sa rencontre hier avec le président Abdelmadjid Tebboune, surtout que l’Algérie a été impliquée par le passé dans le règlement de nombreux conflits en Afrique. Abiy Ahmed a-t-il demandé la médiation de l’Algérie dans son différend avec le Caire et le conflit qui l’oppose aux rebelles du FLPT ? C’est fort possible. En plus d’être crédible, l’Algérie a une bonne connaissance de l’Afrique de l’Est où elle aide de façon discrète à combattre le terrorisme. N’est-ce d’ailleurs pas l’Algérie qui a négocié en 2000 la paix entre l’Ethiopie et l’Erythrée ? L’Algérie peut bien évidemment aider, par exemple, à régler la problématique posée par le méga-barrage éthiopien à la condition, bien sûr, que l’Egypte l’accepte. Dans tous les cas, les Ethiopiens ont beaucoup d’égards vis-à-vis de l’Algérie et il leur est souvent arrivé de la solliciter.
Khider Larbi