Le ministère de la Défense nationale ouvre le débat sur les terres rares : Quelle place géopolitique pour l’Algérie ?
Les terres rares vont définir les équilibres géopolitiques futurs. Avec 20% des réserves mondiales de terres rares, l’Algérie doit dès aujourd’hui se pencher sur son potentiel, le valoriser et fixer des politiques susceptibles de lui permettre d’avoir le plein pouvoir sur ses ressources afin de renforcer ses positions géopolitiques.
La maîtrise des ressources énergétiques a, depuis l’aube de l’Humanité, été au cœur des grands conflits. Si le 20e siècle a été marqué par les plus grosses confrontations de l’histoire pour la maîtrise des sources d’hydrocarbures, le 21e siècle, celui de la transition et de la rupture énergétique et numérique, sera défini par le contrôle d’un nouveau type de ressources : les terres rares.
Acteur majeur sur les marchés hydrocarbures, l’Algérie avec les 20% de réserves mondiales de terres rares devra assurément jouer un rôle majeur. Une opportunité, certes, sur laquelle il faudra impérativement capitaliser afin de consolider le poids géopolitique de l’Algérie pour peser sur la transition au lieu de la subir avec tous les risques que cela peut charrier. C’est justement dans ce contexte que le ministère de la Défense nationale a organisé hier au Cercle de l’Armée à Alger une table ronde sur le thème de la « Géopolitique des terres rares ».
Lors de l’ouverture de l’événement, le directeur de l’Institut militaire de documentation, d’évaluation et de prospective, le Général Hamid Kalaa souligné « le souci du haut commandement de l’ANP d’organiser ce type d’activités scientifiques abordant des questions stratégiques d’actualité, à travers une approche prospective et scientifique permettant d’analyser les enjeux majeurs des différentes questions sur le double plan national et international », avant de laisser la place au débat sur la place des terres rares et leurs enjeux futurs. Les interventions ont porté sur les terres rares en faisant des analyses sur les différents enjeux géopolitiques et stratégiques ainsi que les grandes mutations que connait le monde dans un contexte international marqué par les changements climatiques, l’évolution rapide vers les énergies renouvelables et la concurrence féroce entre les pays pour développer les nouvelles technologies et les industries de précision.La place de l’Algérie en la matière et les perspectives de ce secteur étaient également au cœur des débats où les participants ont mis l’accent sur l’importance stratégique que revêt le secteur, les opportunités offertes et les efforts de l’Algérie pour la valorisation et l’exploitation de ses richesses naturelles et minerais.
Minéraux indispensables
Il est vrai que les terres rares sont appelées à être au cœur de confrontations majeurs, notamment au regard du processus de démondialisation, de relocalisation et de reconfiguration des blocs géopolitiques. L’éclatement des chaînes d’approvisionnements et la promotion du concept de « friend-shoring » ou relocalisation dans les pays amis pour les industries liées aux énergies renouvelables, les industries de pointe et les semi-conducteurs au cœur d’une véritable bataille rangée entre les géants américain et chinois, va certainement conduire à une augmentation rapide de la demande sur les minéraux rares. La hausse des cours constatée actuellement sur les marchés des métaux et que l’on a attribué dans un premier temps à la guerre en Ukraine, n’est au final qu’un signe avant-coureur d’une évolution majeure du marché qui conduira certainement à une exacerbation de la concurrence pour le contrôle des sources d’approvisionnement en métaux tels que le cobalt, le lithium, le silicium, cuivre, la baryte, le phosphate, le nickel, le zinc, le tungstène, pour ne citer que ces minéraux, car la liste des minéraux critiques est encore longue !
Une concurrence qui s’exacerbe, d’autant que la Chine qui extrait 50% des minéraux rares nécessaires à l’Industrie mondiale contrôle 90% des terres rares. C’est cette configuration qui explique d’ailleurs l’offensive des grandes puissances et des puissances sous régionales sur l’Afrique, continent riche en minéraux rares. Il est vrai que l’offensive de la Chine sur les terres rares africaines ne date pas d’aujourd’hui et a fait souvent débat en Occident. Mais depuis quelques mois, l’on assiste à une véritable guerre d’influence sur le continent. Au-delà de la Turquie qui cherche à consolider ses positions et de la France qui peine et désespère de conserver ses chasses gardées en Afrique, l’on assite à des offensives russes et américaines en Afrique. Le récent rapprochement diplomatique que Moscou entreprend avec l’Afrique et le projet américain d’organiser prochaine un sommet USA-Afrique afin de reprendre ses bases sur un continent qu’ils longtemps ignoré voire méprisé en est la parfaite illustration.
Un rôle central pour l’Algérie
Dans ce nouveau contexte, l’Algérie est appelée à jouer un rôle central. Le pays abrite 20% des réserves mondiales de terres rares et notamment de minéraux critiques, essentiels à la transition énergétique et aux industries de pointe. Un potentiel qui a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses études au sein de la Sonatrach, et mis en avant depuis plusieurs années par NacereddineKaziTani, géologue de la Sonatrach. Que ce soit en termes de silicium, de baryte, de zinc, de cuivre, de zinc, de phosphate, de fer, d’or, de pierre et métaux précieux, de manganèse, de lithium ou de bentonite, pour ne citer que ces métaux, l’Algérie dispose d’un potentiel immense. Ce qui lui vaut aujourd’hui d’être ardemment courtisée par ses partenaires. Il est vrai que l’Algérie a lancé un vaste programme de développement minier pour diversifier ses ressources, mais aussi fournir des intrants pour son industrie. Il est vrai aussi que les partenaires chinois ont déjà bien avancé sur le partenariat avec l’Algérie dans le domaine minier. Ils sont ainsi placés en tant que partenaire sur le développement du Projet phosphate intégré à l’Est du pays, et sur le développement des mines de fer de Ghar Djebilet qui intègre également une contribution du partenaire russe. L’Algérie mise également sur le développement de ses mines de Zinc et de cuivre de Béjaïa en partenariat avec l’Australien Terramin. Toutefois le potentiel algérien attise les convoitises d’autres partenaires. C’est dans ce sens qu’à l’occasion de la visite du président français Emmanuel Macron à Alger à la fin du mois d’août dernier, Paris a mené une véritable offensive sur les terres rares algériennes. Une offensive que le quotidien français « L’Opinion » a clairement explicité affirmant que parmi les axes sur lesquels l’Algérie et la France « entendent favoriser une relance de leurs échanges économiques »figurent les métaux rares, en bonne place. Et d’ajouter qu’un membre de la délégation française ayant accompagné Emmanuel Macron a indiqué que : « Nos partenaires algériens sont demandeurs de propositions françaises en matière minière ». Chose qu’a confirmée le directeur général du Medef, Philippe Gautier, qui a indiqué que « Les groupes français s’intéressent aux métaux rares en Algérie. »
Pour l’heure l’Algérie travaille sur la refonte de sa législation minière et l’établissement d’une cartographie des terres rares pour sous-tendre le développement du secteur auquel elle aspire. Cependant, le plus grand défi auquel notre pays est confronté c’est de capitaliser sur son potentiel et de l’attrait qu’il suscite pour dépasser son statut de fournisseur de ressources critiques pour l’économie mondiale (pétrole, gaz, minéraux rares) et devenir acteur industriel et énergétique tirant bénéfice du contrôle de ses ressources et intrants critiques à la pointe de l’innovation pour embrasser pleinement le statut de pays émergent qui est d’ailleurs à sa portée et consolider son poids géopolitique sur des bases solides et durables.
Melissa Roumadi