Privatisation, démonopolisation et partenariat Public- Privé : Trois processus complémentaires pour la relance économique
Par Abderrahmane Mebtoul
Il y a actuellement une importante confusion entre privatisation partielle ou totale, la démonopolisation et le partenariat public privé, chaque opération répondant à des actions spécifiques. La privatisation est une cession d’actifs soit par appel avis d’offres ou via la bourse avec un rôle stratégique de l’Etat régulateur, des privatisations pouvant existant sans transfert de propriété. Dans le cadre d’un PPP, l’Etat verse une somme au secteur privé en contrepartie de l’offre de service et de la prise en charge éventuelle de la construction et de la gestion des infrastructures, l’Etat gardant la main, un contrat de gestion étant temporaire avec le secteur privé. En encourageant le développement du secteur privé nouveau dans la transition vers l’économie de marché, certains pays de l’ex-bloc communiste n’ont pas privatisé mais encouragé la démonopolisation dans l’affectation des ressources financières.
Quels modèles de privatisation
Les privatisations peuvent prendre plusieurs formes. Il y a d’abord les privatisations qui reposent sur le transfert de propriété. On peut recenser sept méthodes de privatisation et cela ne constitue pas une liste exhaustive, car dans la pratique les privatisations connaissent des combinaisons par des études au cas par cas :
- l’offre publique de vente d’actions mais qui se heurte à une difficulté: l’absence de marché de capitaux ;
- vente privée d’actions;
- l’apport d’investisseurs privés dans une entreprise publique après apurement du passif;
- découpage, segmentation ou restructuration de l’entreprise en plusieurs de ses composantes qui sont vendues séparément ;
- distribution de bons vendus à l’ensemble de la société permettant la création de fonds d’investissement: la méthode de vente de bons d’échange, chaque citoyen recevant des bons de privatisation d’une certaine valeur moyennant une redevance d’enregistrement permet l’adhésion populaire sous réserve de bien organiser ces fonds d’investissement par des comités de surveillance;
- une toute autre solution de privatisation avec transfert de propriété est la privatisation de l’entreprise par voie de reprise totale par les salariés. Elle est satisfaisante théoriquement plus que pratiquement. Ces entreprises manquent de fonds propres et auront des problèmes d’augmentation de capital. En outre, on connaît les difficultés managériales des entreprises publiques en Algérie. Il y aura peu de chance qu’elles puissent trouver en leur sein des équipes de gestionnaires capables d’affronter un marché concurrentiel. Cette technique paraît en revanche adaptée au secteur des petites entreprises de services, comme il y aura lieu de prévoir la formule de cession aux cadres mais qui suppose la création d’une banque à risque pour les accompagner transitoirement;
- enfin, sous réserve d’un programme de privatisation clair, une autre technique est la reconversion de la dette extérieure en prises de participation. Pour les techniques d’évaluation des entreprises publiques, nous avons l’approche patrimoniale, le goodwill- les approches prospectives, donnent des résultats douteux d’où la nécessité de tenir compte des variations imputables tant à la situation politique et sociale interne qu’aux paramètres internationaux.
L’enseignement majeur que l’on peut tirer est qu’il n’y a pas de modèle universel. (Abderrahmane Mebtoul 2 volumes 500 pages réformes et privatisation – Office des publications universitaires OPU 1983- reproduit dans Amazon Paris 2018 et le programme de l’Association Nationale de Développement de l’Economie de Marché ADEM en arabe-anglais- français, en 1992, période où je présentais avec de nombreux amis de toutes les régions du pays, de profondes réformes, l’encouragement des véritables producteurs de richesses qu’ils soient dans le secteur public ou le secteur privé, et non des prédateurs, période d’alors où hommes politiques et bon nombre d’universitaires chantaient le dirigisme étatique bureaucratique).
Privatisation et mise en gestion
Nous avons la privatisation sans transfert de propriété, pour les grandes entreprises où l’Etat confie au secteur privé national, étranger ou mixte, la gestion de ces entreprises, mais renonce dans l’immédiat à en céder la propriété. La mise en gérance de l’entreprise publique est envisageable. Un contrat est passé avec la société gérante qui pourra être étrangère, nationale ou de préférence mixte. Cela laisse ouvert toute une gamme de possibilités: la gérance rémunérée par l’EPE, rémunération dégressive ou non, variable ou non selon le chiffre d’affaires, à durée déterminée ou non, avec des pouvoirs de gestion plus ou moins larges, sans garantie ou avec garantie du passif par l’Etat et /ou garantie d’un chiffre d’affaires minimum par l’Etat ou par le gérant. Tout dépendra de l’état de l’entreprise et des espoirs des deux partenaires dans sa réhabilitation et sa rentabilisation plus ou moins prochaine. Si les espérances du candidat gérant sont suffisamment grandes, une gérance payante sera négociée: le contrat réglera, dans ce cas, des modalités analogues à celles précitées. Dans cette hypothèse, l’Etat aura la perspective d’une meilleure gestion en raison de l’engagement financier du gérant et de son intéressement direct aux résultats. Une autre technique sera la location-vente qui permettra au locataire, qui paiera un loyer déterminé, d’acquérir à terme la propriété de l’entreprise, avec un droit de préemption à l’arrivée du terme. La technique du leasing au crédit-bail, sera plus intéressante pour le preneur à bail puisqu’il négocie d’entrée de jeu le prix de l’entreprise avant qu’il ne l’ait valorisée, qu’il aura l’option « in fine » et pourra plus facilement obtenir des crédits bancaires pour la réhabilitation et le développement de l’entreprise. Tous ces contrats pourront être modulés selon l’objet de l’entreprise, car l’opération ne pourra être conçue de la même manière pour la reprise d’un établissement financier, d’une entreprise industrielle ou commerciale. Dans tous les cas où il s’agira d’entreprises à activités multiples, les possibilités de restructuration par cession ou vente partielle d’actifs devront être prévus, ainsi que la négociation de ces contrats à l’occasion de ces opérations. Cela supposera nécessairement une clause de renégociation et une institution de type arbitral.
Du partenariat public-privé
Pour le partenariat public/privé, nous avons dans la terminologie anglo-saxonne trois types de partenariats: les partenariats institutionnels (création de sociétés à capitaux publics et privés telles que les sociétés d’économie mixte ou joint-ventures), les partenariats dans lesquels les entreprises privées conseillent les personnes publiques pour la valorisation de leurs biens et les contrats de Private Finance Initiative (PFI) qui sont la forme la plus répandue. Il s’agit de la différencier des délégations de service public qui sont des contrats par lesquels une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service. Le co-contractant perçoit une rémunération mixte constituée d’une redevance fixe et d’un intéressement qui est fonction de l’amélioration de la qualité du service, du niveau des économies réalisées et du résultat financier de l’exploitation. Précisément le contrat de partenariat est un contrat à long terme (de 10 à 35 ans ou plus) par lequel une personne publique attribue à une entreprise une mission globale de conception, réalisation, financement ainsi que d’entretien, maintenance et/ou d’exploitation de l’ouvrage. Le cocontractant est rémunéré par un paiement de la personne publique pendant toute la durée du contrat, pouvant être liée à des objectifs de performance et intégrant l’amortissement des investissements initiaux. Le contrat de partenariat diffère de la concession dans la mesure où le cocontractant est uniquement chargé de l’exploitation et non de la gestion des ouvrages étant fondé sur une répartition optimale des risques: le risque de trafic incombe à la personne publique, le cocontractant prenant en charge le risque de construction et de performance. La Banque mondiale soutient l’émergence d’un modèle basé, entre autres, sur l’adoption de Partenariats Public-Privé (PPP). Mais afin d’éviter les dépassements, de s’assurer que le partenaire privé livre et à exploiter les actifs du projet dans les délais, cela suppose la maîtrise des coûts et la bonne gouvernance. Cette réduction du coût des risques constitue le principal moyen d’optimiser le rapport coûts-résultats du secteur public et, dans le cadre de PPP réussis, elle compense généralement toute augmentation de coût résultant d’un financement par emprunts privés et non par emprunts publics. En d’autres termes, le secteur public doit être en mesure de s’assurer que le prix qu’il paie au partenaire privé au titre des investissements et des risques liés au projet, correspond à un bon usage de l’argent des contribuables. Cela renvoie aux dispositions légales et réglementaires qui doivent être prises pour permettre un développement de ces opérations, dans le respect des spécificités des marchés publics régissant le PPP.
Une expérience mitigée
L’expérience algérienne, mitigée par le passé, s’explique par différents facteurs. D’abord sur le plan politique, l’absence de visions stratégiques, avec la neutralisation des rapports de forces, du fait d’un non consensus social avec des divergences profondes entre les conservateurs rentiers et les réformateurs. Cela explique les chevauchements entre différents acteurs qui se télescopent alors que s’impose pour les pays en transition qui ont réussi ce processus, une nette volonté politique de libéralisation et un organe unique de coordination. Ces facteurs s’expliquent aussi par la bureaucratie étouffante, principal obstacle, la dévaluation régulière du dinar alors que la stabilité du régime des changes est un critère fondamental pour les investisseurs afin d’éviter les fameux conflits des pertes de changes, le changement perpétuel du cadre juridique, la non délimitation du patrimoine, l’absence de titres de propriétés clairs, du fait de l’absence d’un cadastre actualisé, condition capitale pour attirer tant l’investissement national qu’international. Les filialisations se sont opérées d’une manière administrative, privilégiant l’offre inadaptée au nouveau contexte mondial, avec des comptabilités défectueuses (la plupart des entreprises n’ayant pas de comptabilités analytiques), et des créances importantes au niveau des organismes bancaires. La privatisation répond à de nombreux objectifs qui ne sont pas tous compatibles et qu’il convient de hiérarchiser dans la formulation d’un programme quantifié. Les objectifs peuvent varier et être adaptés en fonction de l’activité ou de l’entreprise où je recense plusieurs axes fondamentaux: parvenir à une grande efficience de l’économie; substituer des critères de gestion économiques à des critères politiques; éliminer les rigidités administratives; alléger les contraintes budgétaires: à moyen terme, elles peuvent permettre de réduire le poids de la dette publique et la contrainte de solvabilité de l’Etat si les recettes de privatisation sont affectées au désendettement et/ou aux dépenses d’investissement ; contribuer à la compétitivité et à la modernisation des places financières. Les privatisations, qu’elles soient totales ou partielles, menées dans une totale transparence, présentent l’avantage de renforcer la capitalisation boursière d’une place, d’augmenter considérablement le nombre des transactions et d’améliorer la liquidité du marché et, partant, la capacité d’attraction de l’épargne étrangère; favoriser la transparence des opérations et lutter contre les pratiques contraires à la déontologie; lutter contre les rigidités syndicales; développer l’actionnariat populaire et la participation des salariés au capital de leur entreprise, promouvoir des équipes de managers et développer une classe moyenne porteuse de dynamisme social.
En conclusion, processus éminemment politique, le président de la République dans son programme d’action, se propose de relancer l’économie nationale par la performance du secteur public, évitant ces assainissements répétées ( 25 milliards de dollars ces trente dernières années selon un rapport officiel du premier ministère et d‘importantes réévaluations du fait de la non maîtrise des projets), la démonopolisation, l‘encouragement du secteur privé productif et le partenariat public /privé, évitant tout monopole, qu’il soit public ou privé, impliquant une nouvelle gouvernance, une totale transparence et une large concertation sociale et politique. Chaque pays, en fonction de ses réalités et des contraintes, se doit de mettre en place les politiques économiques les plus adaptées. Ce qui est stratégique aujourd’hui ne peut pas l’être demain, devant être appréhendé, non en statique mais en dynamique en fonction des nouvelles mutations tant internes que mondiales avec un rôle stratégique de l’Etat régulateur, pour éviter les effets pervers du tout marché qui n’existe nulle part ailleurs. L’égalité n’est pas celle du modèle de 1963-2022 mais recouvre la nécessité d’une transformation entre 2023/2025, de l’Etat providence par la formulation d’un nouveau contrat social qui devra concilier les principes de l’efficacité économique et la cohésion sociale.
A.M.