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Rome et Tripoli signent un accord gazier : L’Italie confirme ses ambitions méditerranéennes

Présenté comme extrêmement important pour Rome, le voyage de la Présidente du Conseil des ministres italien, Giorgia Meloni, et du numéro un d’Eni, Claudio Descalzi, à Tripoli le 28 janvier, aura été tenu secret jusqu’à la dernière minute pour des raisons évidentes de sécurité. Important car le déplacement a permis au groupe énergétique italien de revenir en force dans l’ex-Jamahiriya libyenne, dont il est le premier opérateur. En réalité, Eni n’a jamais vraiment cessé d’opérer en Libye, y compris durant les années de forte instabilité politique qui ont suivi le renversement par les Occidentaux de Mouammar El Gueddafi en 2011.L’annonce officielle du voyage de Giorgia Meloni est arrivée samedi à 14 heures par le biais d’une dépêche triomphaliste qui révèle des éléments sur la teneur de l’accord gazier historique signé par Eni avec la NOC, la société libyenne des hydrocarbures. « Le PDG d’Eni, Claudio Descalzi, et le PDG de la National Oil Corporation (Noc), Farhat Bengdara, ont signé aujourd’hui (samedi, Ndlr) un accord pour démarrer le développement de « A&E Structures ». L’accord a été signé en présence de la Présidente du Conseil des ministres italien, Giorgia Meloni, et du Premier ministre du gouvernement d’union nationale libyen, Abdul Hamid Al-Dbeibah », indique la même source. « La signature de l’accord entre Eni et NOC est une étape historique », a commenté Giorgia Meloni. « L’accord, déclare-t-elle, qui était accompagnée en Libye du ministre des Affaires étrangères Antonio Tajani et du ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi, relancera une série d’initiatives visant à diversifier les sources d’énergie, à travailler sur la durabilité, à garantir l’énergie aux Libyens et à augmenter les flux vers l’Europe », et s’inscrit dans la stratégie de faire de l’Italie «une plaque tournante de l’approvisionnement énergétique pour toute l’Europe».

La presse italienne estime aussi que cette visite est une étape importante dans la perspective de  diversification des sources d’énergie qui intervient peu après la visite de Meloni en Algérie. «La Libye, a ajouté Mme Meloni, est un partenaire fondamental et sait qu’elle peut compter sur l’Italie dans le processus de stabilisation politique, pour le soutien à l’économie, pour les investissements dans les infrastructures. Une coopération à 360 degrés entre deux nations qui ont toujours été amies ». Selon le PDG Descalzi, « l’accord permettra de réaliser d’importants investissements dans le secteur de l’énergie en Libye, contribuant au développement et à la création d’emplois dans le pays, et renforçant la position d’Eni en tant que premier opérateur en Libye ».

L’accord conclu entre les deux pays prévoit en effet un investissement de 8 milliards de dollars par Eni pour développer des gisements de gaz naturel afin d’augmenter la production de gaz, satisfaire le marché intérieur libyen, dont les besoins augmentent, et garantir l’exportation de volumes en Europe. Il s’agit du premier grand projet à être développé dans le pays depuis le début de l’année 2000 (Eni opère en Libye depuis 1959) et implique deux puits de gaz offshore, appelés respectivement « Structure A » et « Structure E », situés au large de la côte de la Libye à environ 140 kilomètres au nord-ouest de Tripoli et découvert à la fin des années 1970. L’accord en question marque donc le retour d’Eni avec un investissement important en Libye.

La production de gaz commencera en 2026 pour la structure A et l’année suivante pour la structure E. En 2027, la production sera pleinement opérationnelle avec 750 millions de mètres cubes de gaz standard par jour, dont au moins les deux tiers sont destinés à répondre aux besoins intérieurs, tandis que le reste peut être exporté vers l’Italie via le gazoduc Green Stream qui atteint Gela, en Sicile. La production sera assurée par deux plates-formes principales reliées aux stations d’épuration existantes du complexe de Mellitah. La construction d’une installation de capture et de stockage du carbone (CSC) est également prévue à Mellitah. L’accord a un impact à long terme sur la diversification des approvisionnements énergétiques et renforce la position d’Eni en tant que premier opérateur en Libye. Les spécialistes définissent ensuite l’impact attendu de l’investissement comme « significatif » « sur l’industrie et sa chaîne d’approvisionnement, apportant une contribution significative à l’économie libyenne ».

La décision de Rome de consentir un investissement aussi important en Libye s’explique, selon la presse italienne, par deux facteurs : la demande croissante de gaz en Europe, après la crise avec la Russie due à la guerre en Ukraine, et les conditions sur le terrain. Eni estime en effet que le territoire libyen est moins risqué, bien que la Libye soit toujours politiquement divisée en deux centres de pouvoir. Le gaz et le pétrole sont cependant gérés par une seule société d’État, la National Oil Corporation, qui approvisionne tout le pays, ce qui réduirait les risques.

Le « Plan Mattei » et l’enjeu maghrébin

Le voyage Giorgia Meloni en Libye intervient dans un contexte de redéploiement de l’Italie en Méditerranée. La présidente du conseil des ministres italien a entrepris dès son arrivée au pouvoir à renforcer les relations de son pays avec l’Algérie et la Libye, deux grands producteurs d’hydrocarbures. Elle a également entrepris une approche avec l’Egypte. Son objectif est de faire progresser le « Plan Mattei », qui prévoit en plus de la transformation de l’Italie, et en particulier du sud, en une plaque tournante de l’énergie au cœur de la Méditerranée pour toute l’Europe, la coopération économique, la stabilité en Méditerranée, en particulier en Libye, afin de lutter contre l’immigration clandestine.

Lors d’un discours prononcé, début décembre 2022, à la séance de clôture de la 8ème édition du Forum du dialogue méditerranéen MED, organisé à Rome par le ministère italien des Affaires étrangères et l’Institut pour les études politiques internationales, Giorgia Meloni avait révélé les grands axes du « Plan Mattei » pour l’Afrique et appelé à  instaurer une « collaboration vertueuse » entre les pays des deux rives de la Méditerranée. « Nous comprenons que la construction d’un espace partagé de richesse est le seul moyen de traiter efficacement des problèmes urgents tels que le changement climatique, la sécurité alimentaire et la santé », avait-elle indiqué, estimant que les pays de l’UE ne peuvent prospérer que si leurs voisins africains le sont.

Pour Giorgia Meloni, la Méditerranée divise mais unit aussi l’UE et l’Afrique. « La stabilité et la sécurité dans cette zone sont la condition préalable au développement économique et social des États européens et africains », avait-elle insisté. A ce propos, Mme Meloni indiquera que les priorités « les plus urgentes » du gouvernement italien en matière de politique étrangère et de sécurité nationale comprennent « la stabilisation complète et durable de la Libye » et l’adoption d’une position de premier plan dans la lutte contre la propagation du « radicalisme extrémiste » dans la région subsaharienne. « L’Italie peut-être (…) une charnière naturelle et un pont énergétique entre la Méditerranée et l’Europe », avait conclu la responsable italienne. La présidente du conseil italien avait expliqué en outre que « l’Italie peut servir de conduit d’énergie (hub énergétique) entre la Méditerranée et l’Europe grâce à sa situation géographique, ses infrastructures, son esprit de coopération et le soutien de ses entreprises ». Dans ce contexte, elle avait décrit la relation entre l’Italie et l’Algérie comme «stratégique», reconnaissant que « c’est grâce à cette relation que l’Italie a pu sortir de la dépendance au gaz russe ». Plus largement, elle a appelé à resserrer les liens avec le Maghreb, une région de laquelle certains de ses concurrents ont tenté de l’éjecter en 2011.

Khider Larbi

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