Mahfoud Kaoubi, analyste des questions géoéconomiques et financières : « Les institutions de Bretton Woods devraient revoir leur charte et leurs instruments »
Le débat sur la refonte de l’architecture du système financier international et des institutions multilatérales s’amplifie. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, avait souligné, lors de l’ouverture de la cinquième Conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés (LDC5), qui s’est tenue à Doha du 5 au 9 mars dernier, la nécessité de réformer le système financier mondial à travers un nouveau moment de Bretton Woods. La tenue, cette semaine, des réunions de printemps de la Banque mondiale et du FMI relance le débat sur la question, même si l’appel du SG de l’ONU et des pays du Sud est ignoré par les institutions de Bretton Woods. Dans ce contexte, l’analyste spécialiste des questions géoéconomique et financière, Mahfoud Kaoubi a estimé hier que « les institutions monétaires héritées de la deuxième Guerre mondiale ont mis en place un ordre financier et économique, imprégné d’une logique impérialiste et libérale, et consolidée par la mondialisation, et qui se trouve aujourd’hui remis een cause, car le rapport de force sur le plan économique a changé, avec la Chine et les pays du Brics qui représentent la moitié de la population mondiale, près de 45% du PIB mondial et 35% du volume des transactions commerciales mondiales». Intervenant sur les ondes de la Radio algérienne, l’expert a estimé que les institutions dites, de Bretton Woods, « devraient revoir leur charte et leurs instruments pour plaider en faveur d’un ordre économique davantage équilibré et juste, autrement, d’autres institutions viendront intervenir sur ce champs », estimant qu’il existe aujourd’hui des alternatives proposées notamment par les BRICS. Il relève que « la Banque de développement des pays du BRICS commence déjà à avoir beaucoup plus de présence dans le monde du financement », ce qui augure, selon lui, de l’arrivée prochaine de nouveaux instruments, y compris sur le plan politique.
La fin de l’hégémonie du dollar
Un changement qui risque aussi d’avoir aussi sur l’ensemble du système financier qui repose sur l’hégémonie du dollar. Il estime ainsi que plusieurs facteurs sonnent la fin de l’hégémonie du Dollar comme monnaie d’échange dans le commerce international. Selon lui, « l’Europe et les Etats-Unis ont mal évalué les répercussions du conflit entre la Russie et l’Ukraine, et que cela entrainerait un mouvement de solidarité et de remise en cause de l’ordre économique et financier mondial. Ainsi, le Brics, qui était en situation de latence, a vu son rôle beaucoup plus manifeste depuis le début du conflit. » « Le conflit russo-ukrainien accélère le processus de recomposition de la carte géostratégique mondiale », constate Mahfoud Kaoubi. Un processus enclenché, rappelle l’expert, à partir de l’année 2010 avec la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. Mais aujourd’hui, le conflit entre la Russie et l’Ukraine enfonce le clou et plusieurs indicateurs montrent, selon l’expert, que l’on se dirige vers « le début du déclin du dollar comme monnaie de réserve mondiale, avec une recomposition de la carte économique et commerciale.» L’analyste évoque une cascade de décisions qui convergent vers la fin de la suprématie du Dollar. « D’abord, l’annonce de la Russie d’opérer ses transactions commerciales en Yuan, non seulement avec la Chine mais aussi avec ses différents partenaires économiques. » Pour Mahfoud Kaoubi , considérant le poids de la Russie, notamment dans le domaine pétrolier et gazier, cette décision a eu des répercussions sur le plan économique. « La Russie n’est pas la seule à prendre de telles décisions», rappelle l’expert, citant le cas de l’Amérique latine : « le Brésil et l’Argentine ont eux aussi annoncé leur volonté de créer une monnaie commune régionale pour les transactions de commerce extérieur ». Autre indicateur d’importance selon Mahfoud Kaoubi, « la décision de l’Arabie Saoudite de procéder à ses transactions commerciales avec la Chine en Yuan, et cela a déjà commencé ce mois-ci », précise-t-il, avant de citer encore le cas du Ghana qui a annoncé sa décision d’acheter son pétrole avec de l’Or, non pas en Dollar. « Toutes ces décisions annoncent un début du déclin du dollar comme monnaie de réserve », insiste le spécialiste.
Hocine Fadheli