Réchauffement climatique : Quels enjeux pour la sécurité mondiale
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international, ancien Directeur des études au ministère Énergie et au ministère de l’Industrie, Président de la commission transition énergétique des 5+5+ Allemagne/FMI/Banque mondiale juin 2019.
Après plusieurs réunions des COP avec des impacts mitigés, la prochaine COP est prévue aux Émirats arabes unis du 30 novembre au 12 décembre 2023. En prévision de l’événement un sommet a réuni à Paris les 22 et 23 juin dernier une centaine de chefs d’Etat et de gouvernement -l’Algérie a été représentée par le ministre des Finances- d’importantes institutions financières internationales, FMI, Banque Mondiale, des représentants de la commission européenne et de l’OCDE, , de la société civile , d’importantes fondations et de grandes sociétés, pour débattre du financement climatique et surtout apporter des solutions au changement climatique autour de six axes :
-premièrement, comment faire évoluer le modèle des banques multilatérales de développement pour répondre aux défis du XXIe siècle ;
-deuxièmement , mettre en place une nouvelle méthode pour le développement durable ;
– troisièmement favoriser les partenariats pour une croissance verte ;
-quatrièmement imaginer d’autres instruments et des financements innovants face aux nouveaux enjeux de vulnérabilité ;
-cinquièmement garantir des informations et des données plus fiables et comparables ;
-sixièmement créer un environnement propice au secteur privé (infrastructures durables, financement des PME).
D’une manière générale , le monde est appelé à changer de modèle de consommation pour aller vers une économie de l’énergie fossile classique et des biens consommables et surtout de l’eau qui sera un enjeu stratégique au XXIème siècle. Lors d’une conférence de bailleurs de fonds à New York le 24 mai 2023, le secrétaire général de l’ONU a annoncé que l’Afrique aura besoin de 7 milliards de dollars pour palier à la menace qui pèse sur des millions de personnes dans la Corne de l’Afrique durement touchée par les impacts du réchauffement climatique.
1.-Nous assistons en ce début du XXIème siècle, à des disparités de niveau de vie criantes qui font de notre planète un monde cruel et dangereusement déséquilibré. Depuis 1850, notre planète s’est réchauffée en moyenne de 1,1°C et selon le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le réchauffement planétaire en cours pourrait atteindre 1,5°C à 4,4°C d’ici 2100. Les experts du Giec indiquent que le réchauffement climatique devrait être contenu à +1,5°C au maximum d’ici 2100 pour éviter que notre climat ne s’emballe. Cette limitation sera hors de portée à moins de réductions immédiates, rapides et massives des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2050.C’est dans ce cadre mondial que l’abondance et l’opulence y côtoient d’une manière absolument insupportable la pauvreté et le dénuement. La lutte contre le réchauffement climatique engage la sécurité du monde où les rapports de l’ONU prévoient une sécheresse sans pareille entre 2025/2030 avec une pénurie d’eau douce et donc une crise alimentaire. Fondamentalement, si nous échouons à passer à un monde à faible émission de carbone, c’est l’intégrité globale de l’économie mondiale qui sera menacée, et en premier lieu l’Afrique, car le climat mondial est un vaste système interconnecté. Selon la Banque mondiale, l’Afrique n’est responsable que de 3,8 % des émissions totales de gaz à effet de serre dans le monde et pourtant, du Sahel à la corne de l’Afrique, et jusqu’au sud du continent, les pays africains subissent de plein fouet les effets dévastateurs de sécheresses et d’inondations de plus en plus sévères avec des conséquences dramatiques sur l’agriculture et son soubassement l’eau douce, sur la production de nourriture où l’agriculture est le moyen de subsistance de 80 % de la population du continent. (voir le débat Pr Abderrahmane Mebtoul Radio Beur/Fm Paris le 30/10/2022 17h sur les enjeux géostratégiques et TV- LCP chaîne parlementaire sur le réchauffement climatique et la sécurité mondiale 31 octobre 2022 Paris France en présence de plusieurs experts disponible sur YouTube). Par conséquent, on ne peut ignorer le lien évident entre l’agriculture et la sécurité alimentaire lorsqu’on évoque le changement climatique. D’une manière générale, le monde connaît un bouleversement inégal depuis des siècles, d’un côté pluies diluviennes, inondations de l’autre côté, sécheresse et incendies. Pour réduire les coûts, impossible à supporter par un seul Etat, Il s’agira d’accélérer la coopération internationale et la transition énergétique (l’efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert). Il devient impératif pour les pays développés et pour l’intérêt de l’humanité qu’à une vision strictement marchande se substitue un co-développement pour une richesse partagée. L’enjeu du XXIe siècle est celui d’une véritable politique écologique tenant compte de la protection de l’environnement et du cadre de vie, impliquant une réorientation de la politique agricole, industrielle et énergétique. Le dialogue des civilisations et la tolérance sont des éléments plus que jamais nécessaires à la cohabitation entre les peuples et les nations. D’une manière générale, pour les pays en voie de développement qui aspirent au bien-être des stratégies d’adaptation avec l’aide des techniques nouvelles des pays développés, devant adapter une stratégie progressive pour ne pas freiner leur développement, pouvant tolérer un minimum. Si l’Afrique, l’Asie dont la Chine et l’Inde plus de 4 milliards d’habitants sur les 8 milliards avaient le même modèle de consommation énergétique que l’Europe et les USA, qui accaparent en 2022 plus de 40% du PIB mondial estimé à plus de 100.000 milliards de dollars pour moins d’un milliard d’habitants.
Les effets du réchauffement climatique
Le réchauffement climatique a sept effets négatifs qui menacent la sécurité mondiale.
Premièrement, pour la hausse du niveau des mers, le constat est la hausse moyenne des températures qui provoque une fonte des glaces continentales (glaciers, icebergs, etc.). Le volume de glace fondue vient s’ajouter à celui de l’océan, ce qui entraîne une élévation du niveau des mers. Près de 30% de cette élévation est due à la dilatation causée par l’augmentation de la température de l’eau. Le taux moyen d’élévation du niveau marin s’accélère, était de près d’1,3 mm par an entre 1901 et 1971, d’environ d’1,9 mm par an entre 1971 et 2006, et il atteint près de 3,7 mm par an entre 2006 et 2020, le GIEC estimant que le niveau des mers pourrait augmenter de 1,1 m d’ici 2100. Comme impact, les zones côtières seront confrontées à des inondations dans les zones de faible altitude plus fréquentes et plus violentes et à l’augmentation de l’érosion du littoral. Deuxièmement, la modification des océans qui absorbent naturellement du gaz carbonique, en excès dans les océans, acidifie le milieu sous-marin, ce qui provoque la disparition de certaines espèces, notamment des végétaux et des animaux tels que les huîtres ou les coraux. En plus de son acidification, la modification des océans entraîne une baisse de sa teneur en oxygène, réchauffement et augmentation de la fréquence des vagues de chaleur, affectant les écosystèmes marins et les populations qui en dépendent. Troisièmement, l’amplification des phénomènes météorologiques extrêmes provoque l’évaporation de l’eau, ce qui modifie le régime des pluies plus intenses, avec les inondations qui les accompagnent dans certaines régions, et des sécheresses plus intenses et plus fréquentes dans de nombreuses autres régions. En effet, lors de pluies violentes, les sols ne peuvent pas fixer l’eau, s’écoulant alors directement vers les cours d’eau plutôt que de s’infiltrer, les nappes d’eau souterraines ne pouvant se reconstituer. Le réchauffement planétaire entraîne le dérèglement des saisons et le déplacement des masses d’air qui pourraient, à long terme, accroître le nombre d’événements climatiques extrêmes: tempêtes, ouragans, cyclones, inondations, vagues de chaleur, sécheresses, incendies. Quatrièmement, le réchauffement climatique est une menace sur les plantes et les animaux car les cycles de croissance des végétaux sauvages et cultivés sont modifiés: gelées tardives, fruits précoces, chute des feuilles tardives, etc. Beaucoup d’espèces ne supporteront pas les nouvelles conditions climatiques et l’agriculture devra s’adapter en choisissant des espèces précoces.. Les comportements de nombreuses espèces animales sont perturbés et devront migrer ou s’adapter sous menace d’extinction. Cinquièmement, l’impact du réchauffement climatique bouleverse les conditions de vie humaine. Certains de ces effets sont irréversibles où selon le rapport du Giec, environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des habitats très vulnérables au changement climatique. Si le niveau des mers augmente d’1,1 m d’ici 2100, près de 100 millions de personnes seront contraintes de changer de lieu d’habitation, et certaines terres côtières ne seront plus cultivables et en plus , le changement climatique accroît les risques sanitaires: vagues de chaleur, cyclones, inondations, sécheresses, propagation facilitée de maladies. Sixièmement, les dérèglements climatiques perturbent la distribution des ressources naturelles, leur quantité et leur qualité. De plus, les rendements agricoles et des activités de pêche sont impactés. Les rendements agricoles pourraient baisser d’environ 2% tous les 10 ans tout au long du XXIe siècle, avec des fluctuations chaque année. Septièmement, les impacts sur les coûts. Ainsi, l’AIE les engagements gouvernementaux actuels ne permettraient d’atteindre que 20% des réductions d’émissions d’ici 2030 et devant investir chaque année jusqu’à 4000 milliards de dollars /an au cours de la prochaine décennie. La priorité est de diriger la majorité de ces investissements vers les économies en voie développement, et vers de nouveaux investissements : les véhicules électriques, l’hydrogène, le captage / stockage du carbone et biocarburants,, sur l’efficacité énergétique dont le transport de l’énergie, le Btph, l’industrie sans compter d’autres secteurs comme la santé , l’agriculture et les loisirs avec un nouveau mode du tourisme ce qui nécessite la réforme du système financier mondial du fait que les obligations vertes représentent en 2021 seulement 2% de la valeur du marché obligataire mondial. Sans changement de trajectoire, les prévisions du Nges, qui s’appuient sur la simple mise en place des politiques actuelles, envisagent une perte de production équivalant à environ 5% du PIB mondial d’ici 2050, et jusqu’à 13% d’ici 2100.
L’Algérie face au changement climatique
Qu’en est-il de la politique de l’Algérie, pays semi-aride, contre les effets du réchauffement climatique ? d’autant plus que celui-ci conduira à des pénuries d’eau et une crise alimentaire qui peuvent conduire à des guerres dans différentes contrées du monde. Selon le rapport de la Banque africaine de développement, l’Algérie aurait besoin entre 2023/2030 d’un besoin de financement de 22 milliards de dollars entre 2023/2030 , devant mettre en place des actions opérationnelles se prémunir contre les catastrophés naturelles. L’Algérie a adopté un plan ambitieux contre le réchauffement climatique du fait qu’elle a connu, au cours du siècle dernier, une augmentation de température de 0,3°C par décennie ainsi qu’un déficit de pluie de 15%. L’Algérie fait face de fait à un stress hydrique et face auquel elle devra trouver des solutions. Certes elle dispose d’eaux souterraines. La nappe de l’Albien est la plus grande nappe d’eau souterraine au monde, environ 50.000 milliards de mètres cubes, étant à cheval sur trois pays, l’Algérie, la Libye et la Tunisie. 70% de la nappe se trouvant en territoire algérien au sud-est du pays. Mais selon les experts consultés, il faut des études de rentabilité sérieuses y compris la protection de l’environnement pour éviter de détruire l’éo-système, en tenant compte du non renouvellement de la nappe, du coût d’exploitation, à quel profondeur, la majeure partie étant de l’eau saumâtre nécessitant des unités de traitement. Cette réserve est aussi considérée comme étant stratégique par les autorités. L’Algérie a donc opté pour un programme ambitieux de réalisation d’unités de dessalement d’eau de mer qui est un choix stratégique afin de couvrir les besoins en eau douce à hauteur de 60% à l’horizon 2030. Les impacts principaux du changement climatique se traduisent par une pénurie des ressources hydriques, la dégradation de la qualité de l’eau, l’intrusion des eaux marines au niveau des nappes aquifères et la détérioration des infrastructures, causée principalement par les inondations. L’Algérie s’est engagée dans la lutte contre le changement climatique où en 2015, elle a ratifié l’accord de Paris sur le climat (COP21). Bien avant, en juin 1992, l’Algérie a signé la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et l’a ratifiée en juin 1993, ayant participé à la Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP25), qui s’est déroulée à Madrid les 12 et 13 décembre 2019. Dans le domaine du torchage du gaz, les efforts déployés ont permis de baisser les gaz brûlés de 500 millions de m3 durant l’année 2020-2021. Le Groupe pétro-gazier national, Sonatrach a rejoint l’initiative Zéro Routine Flaring by 2030, lancée en 2015 par le secrétaire général des Nations unies et le président du Groupe de la Banque mondiale et visant à mettre fin au torchage systématique de gaz d’ici 2030. Récemment, l’Algérie a mis en place un Plan national Climat 2020-2030 portant sur 155 projets pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’adaptation avec les impacts négatifs des changements climatiques et l’accompagnement de la gouvernance climatique.
En conclusion, le monde connaît un bouleversement inégal depuis des siècles, d’un côté pluies diluviennes, inondations, de l’autre côté, sécheresse et incendies. Or cela entraîne des coûts colossaux, impossibles à supporter par un seul État et une menace pour l’avenir de l’humanité, d’où l’urgence d’une action collective.
A.M.