Maroc, plaque tournante du trafic international de drogue
Une saisie spectaculaire vient une nouvelle fois de mettre en lumière le rôle central du Maroc dans les réseaux internationaux de trafic de drogue. Jeudi, la police fédérale brésilienne a intercepté une tonne de cocaïne au port d’Itapoã, situé dans l’État de Santa Catarina, alors que le navire battant pavillon libérien s’apprêtait à rejoindre le Royaume chérifien.
L’opération, fruit d’une surveillance maritime minutieuse menée par le Groupe Spécial de Police Maritime (GEPOM), révèle la sophistication des réseaux criminels internationaux et notamment au Maroc ainsi que ses interconnexions avec les cartels de la drogue en Amérique latine (les Narcos). Les enquêteurs ont d’abord détecté un mouvement suspect impliquant deux embarcations, dont l’une transférait une cargaison à bord du navire principal, éveillant immédiatement les soupçons. Des images capturées par le terminal portuaire sont venues corroborer ces observations inhabituelles. L’inspection du navire, qui a nécessité plus de deux jours en raison de sa taille imposante, a permis de localiser la drogue dissimulée dans un compartiment stratégique. Cinq personnes, originaires des Philippines et du Monténégro, ont été interpellées lors de cette opération. Les autorités brésiliennes soupçonnent que cette cocaïne, une fois acheminée au Maroc, devait être réexpédiée vers le marché européen, confirmant le rôle de plaque tournante du royaume de trafic de cocaïne destinée à l’Europe, au Maghreb et au Sahel. Ce n’est pas un cas isolé. Le mois précédent, les autorités brésiliennes avaient déjoué une tentative de trafic de 605 kilogrammes de cocaïne via le port de Santos, dans l’État de Sao Paulo. La drogue était dissimulée dans un conteneur de fruits d’açaï congelés, destiné dans un premier temps au port de Tanger Med, puis devant être réexpédié au Portugal. Ces événements s’inscrivent dans un contexte global décrit de manière alarmante par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) dans son rapport de 2023. L’organisation souligne que le développement des itinéraires de la cocaïne vers et à travers le Maroc a été facilité par les réseaux historiques de trafic de résine de cannabis vers l’Europe, notamment via l’Espagne. La production mondiale de cocaïne a connu une augmentation spectaculaire ces dernières années. Entre 2020 et 2021, la culture de la coca a grimpé de 35%, atteignant un niveau record – la plus forte progression annuelle depuis 2016. Cette hausse résulte à la fois de l’expansion des cultures et de l’optimisation des processus de transformation des feuilles de coca en chlorhydrate de cocaïne. Le rapport de l’ONUDC met en lumière un phénomène préoccupant : les chaînes d’approvisionnement traditionnellement utilisées pour le trafic de résine de cannabis du Maroc vers l’Europe, principalement les Pays-Bas via l’Espagne, ont été réadaptées pour le trafic de cocaïne. L’importance croissante du trafic maritime est particulièrement notable depuis 2016. Contrairement aux années précédentes où la drogue transitait par l’Afrique de l’Ouest, des quantités significatives de cocaïne arrivent désormais directement au Maroc par voie maritime. À l’échelle mondiale, la consommation de drogues ne cesse d’augmenter. En 2021, plus de 296 millions de personnes ont consommé des substances illicites, soit une hausse de 23% sur une décennie. Le cannabis reste la drogue la plus largement utilisée, et le Maroc se distingue comme un acteur majeur de ce trafic. En avril dernier, les autorités espagnoles ont saisi 25 tonnes de haschisch d’une valeur de 50 millions d’euros, dissimulées dans un camion en provenance du Maroc censé transporter des melons à destination de la France. Et un mois auparavant, la Garde Civile espagnole avait annoncé la saisie de plus de 4.400 kilos de haschisch en provenance du Maroc, dans le port de Motril à Grenade (sud).Le royaume est reconnu comme la principale source de résine de cannabis au Sahel, avec des destinations qui s’étendent aux pays d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et d’Europe. Son statut de premier producteur et exportateur mondial de cette drogue en fait un point névralgique du trafic international. Cette situation préoccupe les institutions internationales. Le département d’État américain a récemment exprimé ses inquiétudes concernant l’ampleur du blanchiment d’argent au Maroc, directement lié au trafic de cannabis et au transit de la cocaïne destinée au marché européen. La culture du cannabis est devenue une source économique significative pour le pays, représentant une part importante des devises étrangères destinées à financer les réseaux de corruption politique marocains, notamment en Europe et le trafic d’armes La saisie récente au Brésil illustre d’ailleurs la transformation du Maroc en plaque tournante du trafic international de drogue, un phénomène qui menace la stabilité et la sécurité régionales.
Lyes Saïdi