Le cinéma palestinien en route vers les Oscars
Le film documentaire « From Ground Zero », actuellement sélectionné pour représenter la Palestine aux Oscars 2025 dans les catégories « Meilleur film international » et « Meilleur documentaire », s’apprête à faire son entrée dans les salles françaises ce mercredi.
Cette œuvre collective, composée de vingt-deux courts métrages réalisés à Ghaza, s’inscrit dans un contexte historique et cinématographique particulier, marquant un tournant significatif dans la représentation du conflit au Proche-Orient à travers le septième art. L’initiative de ce projet ambitieux revient à Rashid Masharawi, figure majeure du cinéma palestinien, qui a lancé le « Masharawi Fund for Ghaza Films and Filmmakers » en réponse aux événements d’octobre 2023. Face à ce qu’il percevait comme un manque crucial de représentation des voix Ghazaouies dans le paysage médiatique international, le réalisateur a souhaité mettre en place une plateforme permettant aux cinéastes locaux de documenter leur quotidien avec leurs propres regards et sensibilités.
Le parcours du film jusqu’aux écrans n’a pas été sans obstacles. En juillet 2024, alors que le Festival de Cannes lui refusait l’accès à sa sélection officielle « sous prétexte de garantir un festival sans polémique », Masharawi a choisi une approche alternative en organisant une projection dans une tente à l’extérieur de l’enceinte du festival. Cette initiative non conventionnelle a généré un important mouvement de soutien, soulignant la capacité du cinéma à transcender les barrières institutionnelles pour porter des voix essentielles. Le film a par la suite connu une trajectoire remarquable, avec une avant-première mondiale lors du 5e Festival international du film d’Amman en Jordanie, suivie d’une programmation au prestigieux Festival international du film de Toronto pour sa 49e édition.
La force de « From Ground Zero » réside dans sa capacité à dépasser le simple cadre du témoignage pour atteindre une dimension artistique et humaine profonde. Les vingt-deux courts métrages qui le composent offrent un kaléidoscope de perspectives sur la vie quotidienne à Ghaza, mêlant différents genres cinématographiques. Cette diversité d’approches – de la fiction au documentaire, en passant par le docu-fiction, l’animation et l’expérimental – permet de tisser un portrait complexe et nuancé de la réalité sur place. Le projet se distingue par sa volonté de laisser « libre court à la multiplicité des points de vue », tout en garantissant la faisabilité des tournages dans un contexte extrêmement contraint.
La démarche de Masharawi s’inscrit dans une double perspective : d’une part, la préservation de la mémoire collective à travers la documentation des événements vécus, et d’autre part, l’affirmation de la créativité comme forme de résilience. En permettant aux cinéastes Ghazaouis d’exprimer leur créativité et leur imagination, le film devient un espace où « tisser et raconter le réel avec poésie et lucidité ». Cette approche témoigne de la conviction profonde que l’art peut jouer un rôle essentiel dans la conservation et la transmission de l’histoire, particulièrement dans des contextes où les récits risquent d’être effacés ou réinterprétés.
Parallèlement à sa trajectoire internationale, le film poursuit un important travail de diffusion locale avec des projections organisées dans dix villes palestiniennes. Cette dimension du projet souligne son ancrage dans la communauté et son rôle de miroir pour les populations locales, leur permettant de voir leur réalité reflétée sur grand écran. La nomination aux Oscars représente une étape historique pour le cinéma palestinien, offrant une plateforme internationale sans précédent à des voix souvent marginalisées dans le paysage cinématographique mondial.
Au-delà de sa portée politique et sociale, « From Ground Zero » se distingue comme une œuvre d’art collective née de l’urgence et de la nécessité de témoigner. Les jeunes réalisateurs participants ont su capturer des moments de vie qui, assemblés, composent un tableau saisissant de la résilience humaine face à l’adversité. Chaque segment du film ouvre une fenêtre sur l’intimité des Ghazaouis, leurs craintes, leurs espoirs et leur quotidien bouleversé, transformant ainsi des statistiques anonymes en récits profondément humains.
Alors que le film poursuit son parcours vers les Oscars et sa distribution internationale, il porte en lui une mission qui dépasse le cadre de la compétition cinématographique. Il incarne la capacité de l’art à transcender les frontières, à créer des ponts de compréhension et à transformer la douleur en expression créative. « From Ground Zero » n’est pas uniquement un témoignage sur Ghaza ; il représente un hymne universel à la résilience humaine et à la puissance transformatrice de l’art, démontrant que même dans les conditions les plus extrêmes, la créativité et l’expression artistique peuvent non seulement survivre mais aussi fleurir, portant avec elles l’espoir d’un changement dans la perception et la compréhension des réalités humaines complexes.
Mohand Seghir