La révolte qui fait trembler le Makhzen
Des morts et des dizaines de blessés parmi les manifestants, des arrestations massives incluant des mineurs, et une répression brutale exercée par les forces de sécurité contre des citoyens réclamant pacifiquement une vie digne : le Maroc connaît depuis quatre jours consécutifs une vague de contestation populaire d’une ampleur inédite qui ébranle les fondements du pouvoir monarchique et révèle l’échec retentissant des politiques menées par le gouvernement d’Aziz Akhannouch.
Dans les principales villes du royaume, de Rabat à Casablanca en passant par Oujda, Tanger, Marrakech, Agadir, Inzegane, la Hoceima, Khénifra et Aït Amira, des milliers de jeunes défient quotidiennement les interdictions et affrontent la machine répressive du Makhzen pour exiger des réformes radicales dans les secteurs vitaux de la santé et de l’éducation, dénoncer la corruption endémique qui gangrène le pays et revendiquer leur droit élémentaire à l’emploi et à une existence décente. Cette mobilisation spectaculaire, coordonnée via les réseaux sociaux par le collectif GenZ 212, traduit une fracture profonde entre une jeunesse désabusée qui ne croit plus aux promesses creuses d’un régime corrompu et une monarchie arc-boutée sur des méthodes sécuritaires d’un autre âge, incapable d’apporter des réponses concrètes à l’effondrement des services publics et à la paupérisation croissante de larges segments de la population marocaine confrontée à une inflation galopante et à un chômage structurel massif.
Véhicules meurtriers et balles dans le dos
La brutalité sans précédent déployée par l’appareil répressif marocain a franchi mardi soir un seuil critique qui a décuplé l’indignation populaire et provoqué une onde de choc dans tout le royaume. Des vidéos largement diffusées sur les plateformes numériques montrent de manière irréfutable des véhicules blindés de la Gendarmerie royale fonçant délibérément sur des groupes de manifestants désarmés dans les villes d’Oujda et d’Aït Amira, renversant plusieurs personnes et causant des morts ainsi que de nombreux blessés graves parmi des citoyens qui scandaient pacifiquement « silmia, silmia » pour souligner le caractère non-violent de leur mobilisation. Ces images insoutenables capturent également des scènes d’agressions physiques caractérisées perpétrées par les forces de l’ordre contre des contestataires dans plusieurs localités, révélant l’ampleur d’une stratégie délibérée de terreur visant à étouffer dans le sang toute expression légitime du mécontentement social. À Rabat, Casablanca, Tanger et dans d’autres agglomérations, les affrontements brutaux entre policiers et manifestants se sont multipliés, donnant lieu à des rafles massives qui ont conduit à l’interpellation de plusieurs centaines de personnes, dont une soixantaine rien qu’à Rabat selon des sources concordantes, un chiffre probablement largement dépassé dans la capitale économique où la répression s’est avérée particulièrement féroce. Parmi les détenus figure le rappeur populaire Raid, arrêté pour la troisième fois depuis samedi, témoignant de l’acharnement du régime contre les voix critiques. Plus choquant encore, les forces de sécurité n’ont pas hésité à appréhender des enfants mineurs participant aux rassemblements, une pratique qui a suscité l’indignation des organisations de défense des droits humains qui exigent leur libération immédiate et dénoncent le caractère inconstitutionnel de ces arrestations arbitraires. L’Association marocaine des droits humains, la Ligue marocaine pour la citoyenneté et les droits de l’homme ainsi que la Ligue marocaine pour la défense des droits humains ont publié des communiqués virulents condamnant sans ambiguïté l’usage disproportionné de la force contre des manifestations pacifiques portant des revendications sociales et économiques parfaitement légitimes, tenant le gouvernement pour directement responsable de la dégradation catastrophique des conditions de vie et des violations flagrantes des droits constitutionnels. Ces organisations ont réclamé l’ouverture immédiate d’enquêtes approfondies sur les exactions commises et exigé la libération sans délai de tous les détenus. Même depuis sa cellule de la prison de Tanger, l’activiste emblématique du mouvement du Rif, Nasser Zefzafi, a vertement critiqué la gestion calamiteuse de cette crise par les autorités, estimant que le choix de la répression brutale et des arrestations massives plutôt que celui du dialogue constructif et de la satisfaction des aspirations populaires reflète une politique du pire de type « Après moi le déluge » qui ne peut qu’entraîner le pays vers des catastrophes prévisibles dans un avenir rapproché.
Un gouvernement dépassé et sourd aux cris de détresse du peuple
Face à l’embrasement généralisé qui consume progressivement le royaume, le gouvernement d’Aziz Akhannouch se distingue par une incapacité pathologique à comprendre la nature profonde de la colère sociale qui déferle sur le Maroc et par un vide sidéral de propositions susceptibles d’apaiser une jeunesse qui a perdu toute confiance dans les institutions monarchiques. L’absence criante de réponse politique cohérente de la part de l’exécutif face à une crise d’une telle gravité illustre cruellement l’échec total d’une équipe gouvernementale qui avait multiplié les promesses démagogiques lors de son arrivée au pouvoir mais qui s’avère aujourd’hui complètement démunie devant l’ampleur du désastre économique et social qu’elle a contribué à aggraver par des années de mauvaise gestion, de corruption tolérée et de politiques néolibérales dévastatrices pour les classes populaires et moyennes. La réunion d’urgence convoquée mardi par la majorité gouvernementale, loin d’apporter des solutions concrètes, a au contraire révélé toute l’étendue du désarroi et de la déconnexion d’un pouvoir fossilisé qui préfère se réfugier derrière des communiqués officiels creux et aseptisés plutôt que d’affronter la réalité d’un pays au bord de l’explosion sociale. Le bilan publié à l’issue de cette rencontre a été unanimement qualifié par les observateurs de glacial et dénué de toute substance, rédigé dans une langue administrative terne et bureaucratique qui témoigne d’une rupture totale entre des dirigeants prisonniers de leurs palais et une population qui étouffe quotidiennement sous le poids de privations insupportables. Aucune mesure concrète, aucun plan d’urgence crédible, aucune reconnaissance même des erreurs accumulées : le gouvernement Akhannouch s’est contenté d’une rhétorique convenue qui a achevé de le discréditer aux yeux d’une opinion publique qui réclame désormais sa démission ou sa révocation pure et simple, considérant qu’il fait désormais partie intégrante du problème plutôt que de la solution. Les manifestants ne cessent de marteler que les Marocains en ont terminé avec les discours creux et les promesses jamais tenues, exigeant des actes tangibles qui redonnent vie à l’école publique abandonnée, à l’hôpital public déserté par les moyens et mettent un terme définitif à l’hémorragie du népotisme et de la captation des richesses par une oligarchie parasitaire. Le refus obstiné des autorités d’ouvrir des canaux de dialogue authentique avec les citoyens, préférant saturer l’espace public avec leurs forces de répression plutôt qu’écouter les doléances légitimes d’une génération sacrifiée, ne fait qu’attiser davantage les braises d’une révolte qui puise sa force dans l’injustice sociale chronique, le sentiment d’humiliation collective et l’absence totale de perspectives d’avenir pour des millions de jeunes diplômés condamnés au chômage et à l’émigration clandestine. Les slogans scandés lors des rassemblements sont révélateurs de cette rupture consumée : « Le peuple veut faire tomber la corruption », « Liberté, dignité, justice sociale », et surtout « Pas de Coupe du Monde, la santé d’abord », formule cinglante qui fustige l’allocation de ressources colossales à des projets de prestige international comme l’organisation du Mondial 2030 alors que les citoyens ordinaires meurent faute de soins dans des hôpitaux délabrés et que les enfants végètent dans des écoles dépourvues des infrastructures les plus élémentaires. Cette contestation multiforme qui embrasse désormais l’ensemble du territoire marocain témoigne de l’étendue géographique et sociologique d’une crise systémique que le régime monarchique ne peut plus masquer derrière ses façades modernistes. Les appels à manifester se multiplient pour les jours à venir dans toutes les grandes villes du royaume, portés par une détermination décuplée après les violences meurtrières subies. Le pouvoir monarchique, habitué à régner sans partage sur un peuple résigné, découvre avec stupeur qu’une nouvelle génération connectée, informée et consciente de ses droits refuse désormais de courber l’échine et entend imposer par sa présence physique dans la rue une transformation radicale d’un modèle politique et économique à bout de souffle qui produit chaque jour davantage d’exclusion, de pauvreté et de désespoir.
Lyes Saïdi