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De nouveaux textes et une restructuration annoncés : Le secteur énergétique fait sa mue 

Nouveaux décrets exécutifs, circulaires interministérielles, redistribution des missions entre deux ministères désormais distincts : le secteur énergétique vit une recomposition institutionnelle majeure dont les textes réglementaires seront publiés « prochainement ». 

Annoncée samedi lors d’une rencontre réunissant les responsables des secteurs de l’Énergie, des Énergies renouvelables, des Hydrocarbures et des Mines, cette restructuration vise à clarifier les attributions, améliorer la gouvernance et accélérer la cadence de mise en œuvre des politiques publiques. L’enjeu dépasse la simple réorganisation administrative : il s’agit de doter l’Algérie d’une architecture institutionnelle capable de piloter simultanément la valorisation de ses hydrocarbures par la localisation technologique, la relance qualitative de son secteur minier et le déploiement massif des énergies renouvelables vers l’objectif de 15.000 mégawatts en 2035. Une triple ambition qui nécessite, selon les ministres Mohamed Arkab et Mourad Adjal, des compétences spécialisées et une coordination renforcée entre l’État central, les directions de wilaya et les géants publics Sonatrach, Sonelgaz et Sonarem.

Séparation institutionnelle 

La création du ministère de l’Énergie et des Énergies renouvelables, distinct du ministère des Hydrocarbures et des Mines, marque un tournant dans la gouvernance du secteur énergétique algérien. Mourad Adjal, qui dirige le nouveau département, a expliqué que cette séparation venait « concrétiser la volonté du président de la République d’accélérer la cadence de mise en œuvre du programme de transition énergétique ». Deux projets de décrets exécutifs sont en cours d’élaboration pour organiser l’administration centrale de chacun des deux ministères, « en vue de définir clairement les missions, d’améliorer la gouvernance et de renforcer les mécanismes de suivi ». Cette nouvelle architecture repose sur un principe fondamental que Mohamed Arkab, ministre d’État chargé des Hydrocarbures et des Mines, a résumé ainsi : « la spécialisation et la compétence ». Chaque ministère se concentrera sur ses domaines d’expertise. D’un côté, la gestion du secteur des hydrocarbures avec ses « complexités techniques, financières, commerciales et géopolitiques » qui « requiert une grande expertise et la capacité de s’adapter aux transformations mondiales sur les marchés du pétrole et du gaz, ainsi que la valorisation des ressources localement, à travers le raffinage, la pétrochimie, la transformation minière, et les services logistiques ». De l’autre, le pilotage de la transition énergétique qui exige rapidité de déploiement, innovation technologique et massification des infrastructures vertes.

Le secteur minier, désormais rattaché aux hydrocarbures, bénéficie lui aussi d’une attention particulière dans cette réorganisation. Arkab a affirmé que ce secteur vivait une période de « relance qualitative », « impliquant une gouvernance spécialisée capable de restructurer les activités, d’attirer les investissements, d’encadrer l’exploitation durable des ressources et de renforcer l’intégration de l’Algérie dans les chaînes de valeur mondiales des matières premières stratégiques ». Ce regroupement hydrocarbures-mines répond à une logique de gestion cohérente des ressources extractives et de leurs filières de transformation.

Pour assurer la mise en œuvre opérationnelle de cette nouvelle organisation, une circulaire interministérielle a été généralisée afin d’encadrer les relations de travail au niveau des directions de l’énergie et des mines dans les wilayas et des instances ministérielles. Ces directions de wilaya « demeurent la base de la mise en œuvre des politiques publiques et de l’application rigoureuse des législations et réglementations dans les domaines du stockage, de la distribution, de la sécurité industrielle et des projets miniers », a souligné le ministre d’État. Leurs missions englobent le suivi de l’application des réglementations relatives aux activités pétrolières, le contrôle de la qualité des services et de l’approvisionnement en produits pétroliers, la surveillance des activités minières et des programmes géologiques, ainsi que le contrôle de la sécurité industrielle et la prévention des risques majeurs.

Mohamed Arkab a d’ailleurs appelé les responsables à « accélérer le rythme de réalisation et à intensifier la coordination entre les directions de wilaya et les grandes entreprises comme Sonatrach, Sonelgaz et Sonarem, en vue de mettre en œuvre les politiques publiques, d’améliorer l’efficacité des performances et d’assurer un meilleur service aux citoyens et aux entreprises économiques ». Cette coordination renforcée constitue le maillon essentiel entre les décisions stratégiques prises au sommet et leur traduction concrète sur le terrain.

Hydrocarbures: cap sur la localisation technologique 

Une fois l’architecture institutionnelle clarifiée, les ambitions sectorielles peuvent se déployer pleinement. Pour les hydrocarbures, le cap est clairement fixé : après avoir enregistré des « résultats significatifs » en matière d’exploration, de production et de transformation grâce à « la politique clairvoyante du président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, qui a fait de la sécurité énergétique et de la souveraineté sur les ressources nationales l’une de ses priorités stratégiques », le secteur doit désormais monter en puissance technologique. Mohamed Arkab a insisté sur la nécessité « d’encourager l’investissement, de localiser les technologies et de développer l’industrie nationale des matériels et équipements pétroliers, en renforçant des partenariats efficaces avec les entreprises nationales et étrangères ». Cette orientation stratégique vise à réduire la dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers et à créer davantage de valeur ajoutée sur le territoire national. La transformation locale des hydrocarbures devient une priorité, avec le développement du raffinage, de la pétrochimie et des services logistiques. L’objectif est d’extraire le maximum de richesses de chaque baril de pétrole et de chaque mètre cube de gaz produits, plutôt que de se contenter d’exporter la matière brute. Cette ambition s’accompagne d’une révolution numérique que le ministre considère comme essentielle, soulignant « le rôle central que joue la numérisation dans la modernisation du secteur et l’amélioration de la gouvernance, en tant qu’outil essentiel de transparence, de précision et de rapidité dans le traitement des opérations ». Le secteur minier, longtemps relégué au second plan, bénéficie désormais d’une attention renouvelée. La nouvelle vision repose sur une exploitation « rationnelle et durable » des richesses, à travers une vaste prospection géologique destinée à mieux cartographier les ressources du pays, l’élargissement de la base d’investissement pour attirer des capitaux privés nationaux et étrangers, et le développement de chaînes de valeur nationales permettant de transformer localement les minerais extraits. Cette stratégie s’appuie sur un nouveau cadre législatif dont Mohamed Arkab a vanté les mérites. La nouvelle loi régissant les activités minières « consacre les principes de transparence, d’efficacité et de simplification des procédures, et ouvre la voie à des partenariats équilibrés garantissant le transfert des technologies, la formation et la valorisation des ressources ».

L’enjeu est considérable dans un contexte international marqué par une course mondiale aux matières premières critiques nécessaires à la transition énergétique, aux technologies numériques et aux industries de défense. L’Algérie dispose de gisements variés dont le potentiel reste à démontrer, et la nouvelle impulsion politique vise à faire du secteur minier un contributeur significatif à la diversification économique du pays.

Le dossier du dessalement de l’eau de mer illustre parfaitement les nouvelles ambitions industrielles du ministère des Hydrocarbures et des Mines. Devenu l’un des dossiers « prioritaires » en raison de « son rôle stratégique dans la réalisation de la sécurité hydrique et l’accompagnement du développement industriel et agricole », il s’inscrit dans la même logique de localisation technologique. Le ministre a affirmé la volonté d’assurer une « fabrication locale des équipements de dessalement et de développer les capacités nationales dans ce domaine, en partenariat avec des entreprises nationales et internationales spécialisées ».

Énergies renouvelables: un déploiement massif 

Sur le front de la transition énergétique, la restructuration institutionnelle vise à libérer les énergies et à accélérer la réalisation des objectifs ambitieux fixés par le président de la République. Le ministre Mourad Adjal a dressé un bilan des réalisations récentes qui témoignent d’une dynamique déjà enclenchée. Le taux de couverture en électricité a atteint 99% avec plus de 12,5 millions de clients, tandis que celui du gaz dépasse 72% avec plus de 8,2 millions d’abonnés. Ces performances placent l’Algérie parmi les pays les mieux électrifiés du continent africain. L’un des succès les plus tangibles concerne l’électrification du monde rural et agricole. Depuis 2020, en application des instructions présidentielles visant à assurer la sécurité alimentaire, « le groupe Sonelgaz a raccordé 100.432 exploitations agricoles au réseau électrique », a précisé Mourad Adjal. Cette massification de l’accès à l’énergie dans les zones agricoles permet d’améliorer les rendements grâce à l’irrigation électrique, tout en contribuant à fixer les populations dans les zones rurales en leur offrant des conditions de vie comparables à celles des centres urbains.

Le programme de développement des énergies renouvelables constitue le cœur de la stratégie de diversification énergétique. L’objectif est d’atteindre une production de 15.000 mégawatts à partir de sources renouvelables à l’horizon 2035, ce qui représenterait environ 40% de la capacité installée totale du pays. Mourad Adjal a annoncé « le lancement effectif de la réalisation de la première tranche de ce programme, d’une capacité de 3.200 MW répartis sur 14 wilayas ». Cette première vague de projets solaires et éoliens permettra de tester les mécanismes de financement, d’identifier les meilleures technologies adaptées au contexte algérien et de former les compétences locales nécessaires au déploiement massif des énergies vertes. Pour les zones les plus isolées, notamment dans les immensités sahariennes difficilement accessibles par les lignes électriques conventionnelles, le ministère prépare « le lancement d’un nouveau programme visant à alimenter en électricité les régions enclavées et éloignées du réseau, notamment dans le Sud du pays, par des dispositifs solaires individuels et des centrales photovoltaïques hors réseau off-grid ». Cette approche décentralisée présente l’avantage de fournir rapidement de l’électricité à des populations isolées sans attendre la construction d’infrastructures lourdes de transport et de distribution. La transition vers la mobilité électrique figure également au programme. Le ministre a annoncé que 1.000 points de recharge pour véhicules électriques ont été réalisés à travers le territoire national, y compris sur l’autoroute Est-Ouest, leur mise en service étant prévue « dès la finalisation du cadre réglementaire et juridique à l’étude ». Ce déploiement anticipé d’infrastructures de recharge démontre la volonté des autorités de préparer le terrain à l’arrivée massive de véhicules électriques, même si le parc automobile algérien reste pour l’instant dominé par les motorisations thermiques.

L’Algérie s’intéresse également aux technologies énergétiques de pointe. Concernant l’hydrogène, le ministre a souligné « les capacités et atouts importants dont dispose l’Algérie », relevant que la feuille de route nationale pour le développement de l’hydrogène est entrée dans sa deuxième phase, celle des projets pilotes, où « des études de faisabilité technique et économique ont été lancées pour déterminer les capacités et les spécifications en vue de projets plus performants et plus rentables ». L’hydrogène vert, produit à partir d’électricité renouvelable, pourrait à terme constituer un nouveau vecteur d’exportation énergétique pour un pays qui dispose d’un ensoleillement exceptionnel et de vastes espaces disponibles.

Dans le domaine du nucléaire civil, Mourad Adjal a expliqué que son ministère œuvrait à « orienter le Centre de recherche nucléaire vers la production des isotopes radioactifs et des radiopharmaceutiques nécessaires au diagnostic et au traitement des patients ». Cette orientation vers les applications médicales permettra, selon le ministre, « de réduire les radiations nucléaires, d’optimiser la gestion des déchets radioactifs, de limiter les importations dans ce domaine, d’améliorer la prise en charge des malades et de réduire les durées de traitement ». Sur le plan international, le ministre a souligné l’importance stratégique du projet d’interconnexion électrique entre le Nord et le Sud du bassin méditerranéen, qui « ouvre des perspectives prometteuses pour l’exportation de l’électricité propre, confortant ainsi la position de l’Algérie en tant que principal fournisseur d’énergie à l’Europe et en Afrique ». Ce projet pourrait transformer l’Algérie en hub énergétique méditerranéen, exportant à la fois des hydrocarbures et de l’électricité verte produite dans le Sahara vers les marchés européens en quête de décarbonation.

Samira Ghrib

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