Sahel, Sahara occidental, partenariats: Tebboune fait le Point… sur la politique internationale
Le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune a accordé une interview, parue le 3 juin au magazine français « Le Point », à deux journalistes algériens vivant en France. Bien que ce ne soit pas la première fois que le Président Tebboune se prête au jeu des questions-réponses, les auteurs ont rapporté que cette fois-ci, le dispositif était « différent ». Une interview de plusieurs heures, avec un staff réduit au maximum et à laquelle Tebboune s’est volontiers prêté : « debout, assis, marchant, souriant ou conversant de façon détendue » face au photographe. Lors de cet entretien, le président de la République algérienne a su se montrer aussi ferme que subtile notamment au sujet de la politique internationale menée par l’Algérie. Le chef de l’État qui compte bien consolider la souveraineté de l’Algérie et assoir son influence tant sur le plan régional que continental, a estimé que « le G5 pourrait être plus efficace s’il avait plus de moyens. Or le G5 n’en a pas, il a été créé pour contrer le Cemoc qui était mieux doté ». Le Cemoc étant le dispositif opérationnel mis en place à l’initiative de l’Algérie et qui a incité la France à mettre en place de son côté, le G5 Sahel pour tenter de torpiller le redéploiement de notre pays en Afrique. Pour rappel, le Cemoc regroupe l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger. Quant au G5 Sahel, il regroupe le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger ainsi que le Tchad. Évoquant le dossier malien, Abdelmadjid Tebboune affirme que « certains s’opposent aux avancées de l’Algérie » et qu’« il existe une volonté de saboter les accords d’Alger » pour la paix et la réconciliation au Mali de 2015. Par « certains », le Président algérien insinuait le Maroc qui, sous protectorat français, agit, par procuration, pour les intérêts de la France. Tebboune dira que « (je) crois aussi que le G5 ou Barkhane sont des solutions partielles. Le Sahel est composé de pays que l’Algérie a l’obligation d’aider dans la reconstruction de leurs États. Il ne s’agit pas uniquement d’un programme de lutte antiterroriste » et ne dévie pas de la ligne de conduite de l’Algérie qui a, de tout temps, plaidé pour des solutions africaines aux problèmes africains.
La solution n’est pas militaire
Interrogé sur une éventuelle intervention militaire algérienne à l’extérieur du pays, le chef de l’État répondra que « la Constitution algérienne autorise désormais ce type d’intervention, mais la solution n’est pas là ». Il réitéra son engagement à faire régner la paix sur le plus vieux continent du monde en affirmant que « l’Algérie ne laissera jamais le nord du Mali devenir un sanctuaire pour les terroristes, ni ne permettra une partition du pays ». Selon Tebboune, pour régler le problème au nord du Mali, « il faut y redéployer l’État ». « Via les accords d’Alger, nous sommes là pour aider Bamako, ce que nous faisons déjà̀ avec la formation des militaires maliens » déclare-t-il. Sur un autre plan, toujours international, Abdelmadjid Tebboune a commenté l’offensive turque au Maghreb. « Cela ne nous dérange pas. Le litige entre la Turquie et certains pays arabes est principalement lié au dossier des Frères musulmans », affirme le chef de l’État. Il indiquera que « l’Algérie a d’excellents rapports avec les Turcs, qui ont investi près de 5 milliards de dollars en Algérie sans aucune exigence politique en contrepartie ». Le Président Tebboune qui a su se montrer subtil tout au long de la rencontre a déclaré que « maintenant, ceux que cette relation dérange n’ont qu’à venir investir chez nous ! ». Il convient de rappeler qu’au cours du 16e siècle, c’est grâce à l’axe Alger-Istanbul que l’empire ottoman a pu assoir sa dominance sur le bassin méditerranéen. Il est donc évident que les forces occidentales craignent une alliance algéro-turque pour tout ce que celle-ci représente historiquement, et la France plus particulièrement, puisqu’une telle alliance aurait pour mérite de contenir l’influence française en Afrique.
Le Makhzen a toujours été l’agresseur
de cet entretien, le président de la République algérienne est également revenu sur les tensions qui pèsent entre le Maroc et l’Algérie et a affirmé que, « dans cette relation, le rôle honorable revient à l’Algérie ». Tebboune affirmera également que « la rupture avec le Maroc remonte à tellement longtemps qu’elle s’est banalisée ». Néanmoins, le Président Tebboune a tenu à faire le distinguo entre la monarchie, désignée dans le langage courant au Maroc par « Makhzen », un terme qui fait référence à la fois au pouvoir marocain et à un système de népotisme et de privilèges de grandes familles reposant sur leur proximité avec ce pouvoir, et le peuple marocain : « je parle de la monarchie, pas du peuple marocain, que nous estimons », précise Tebboune. La réelle fissure entre le peuple marocain et ses dirigeants est encore une fois mise en avant lorsque le Président algérien évoque la problématique sahraouie et notamment le refus des autorités marocaines de l’autodétermination. Selon Tebboune « ils (les autorités marocaines, NDLR) ont procédé à un changement ethnique qui a ses conséquences : les Sahraouis à l’intérieur du Sahara occidental sont aujourd’hui minoritaires par rapport aux Marocains qui s’y sont installés ». Il poursuit et prédit qu’« en cas de vote pour l’autodétermination, les Marocains installés sur le territoire sahraoui vont voter pour l’indépendance parce qu’ils ne voudront plus être les sujets du roi. Il est paradoxal d’avoir une majorité marocaine et de refuser le vote d’autodétermination ». Cet entretien fut également l’occasion pour le dirigeant du plus grand pays d’Afrique de réitérer le soutien indéfectible à la cause sahraouie et de partager sa position sur la reconnaissance de la prétendue « marocanité » du Sahara occidental par Trump. Abdelmadjid Tebboune s’interroge : « comment peut-on penser offrir à un monarque un territoire entier, avec toute sa population ? Où est le respect des peuples ? » Selon lui, « cette reconnaissance ne veut rien dire. Toutes les résolutions du Conseil de sécurité concernant le Sahara occidental sont présentées par les États-Unis. On ne peut pas revenir, verbalement, sur tout ce qui a été fait par Washington pour faire plaisir à un roi ». Le chef de l’État rappellera que « le Maroc a toujours été l’agresseur » et que « nous n’agresserons jamais notre voisin. Nous riposterons si nous sommes attaqués ». Tebboune esquisse une mise en garde et dit qu’il « doute que le Maroc s’y essaie, les rapports de force étant ce qu’ils sont ». En ce qui est d’une éventuelle réouverture des frontières avec le Maroc, le président Tebboune affirme que celles-ci resteront fermées car « on ne peut pas ouvrir les frontières avec un vis-à-vis qui vous agresse quotidiennement ». Quant à la normalisation avec l’entité sioniste, le Président Tebboune estime que « chaque pays est libre de normaliser ses relations avec Israël, mais l’Algérie ne le fera pas tant qu’il n’y aura pas d’État palestinien ».
Ryma Ouchait