Résurgence des traditions ancestrales à Tizi-Ouzou : Plus de partage et plus de joie pour l’Aïd
A l’approche de l’Aïd, beaucoup de villageois de la wilaya de Tizi-Ouzou préfèrent partager la joie entre les membres de toutle village au lieu de se restreindre à la seule famille.
Dans un très grand nombre de localité, les familles n’égorgent pas le mouton. Ils ont renoncé à ce moment de joie entre membres de la famille pour un moment de partage plus large touchant tous les villageois. Le sacrifice du mouton est ainsi remplacé par le sacrifice d’un bœuf acheté par les cotisations des villageois à l’exception des plus démunis qui se voient ainsi dispensés mais qui gardent leur part de viande gratuitement.
Comment se prépare ce rituel et qui sont en charge de préparer les conditions le jour de l’Aïd ?Ce sont autant de questions que nous avons posées à des villageois de plusieurs communes.L’idée en soi n’est pas nouvelle. Elle remonte à très longtemps, selon les personnes âgées qui s’en souviennent encore. « Je me souviens encore. Quand j’étais enfant, mon grand-père m’emmenait dans la place du village, la matinée de l’Aïd. Après la prière à la mosquée du village. Les familles se rencontraient pour se demander pardon pour des erreurs et des malentendus cumulés durant l’année. Tout de suite après, la place du village se remplissait. Enfants vieux et jeunes sortaient tous pour accomplir le rituel de l’abattage du bœuf »,raconte un vieil homme du village Agouni Oufekous. Aujourd’hui, c’est à peu près la même chose. La cherté de la vie comme la misère d’antan, est conjurée par la solidarité agissante des villageois.
A Agouni Hamiche, dans la commune de Makouda, le village a coutume d’organiser Timechret à l’occasion des deux Aïds.« La joie, mon fils, ça n’a pas de prix. Plus elle est partagée plus elle est grande »,ajoute un vieil homme qui nous a expliqué que les villageois riches payent à la place des plus pauvres. «A la fin, on se retrouve avec tous les villageois qui ont des parts égales de viandes et du coup on est tranquille de savoir qu’aucune famille ne passe l’Aïd sans viande. La joie dans les visages des enfants, c’est une chose sacrée pour nos ancêtres »,explique-t-il.
Aussi, quelques jours avant l’Aïd, les responsables du comité de village annoncent à Tajmaït qu’une cotisation est lancée pour l’achat d’un bœuf. Ce qui n’annule cependant pas le rituel de l’abattage du mouton pour les familles qui désirent le faire. La cotisation n’est non plus pas obligatoire. « Une fois l’annonce faite, un comité est vite constitué pour recevoir les cotisations avant de donner l’argent à un autre groupe chargé de l’achat du bœuf. Les deux comités se retrouvent à la veille de l’Aïd à la place du village pour livrer les comptes. Le jour de l’Aïd au matin, bien souvent, on annonce que la cotisation est annulée car un donneur a payé la totalité de la somme », affirme un citoyen d’Aghribs.
Année après année, la pratique se propage travers les villages qui sont de plus en plus nombreux à y recourir. « Cette année, on va célébrer l’Aïd avec un bœuf pour tout le village », fait savoir un villageois d’Ifouzar dans la commune d’Aït Aïssa Mimoun, heureux d’être soulagé de la dépense du mouton qui pèse sur sa bourse. « Moi, je trouve que la pratique est très bonne. Elle allège les bourses et elle donne plus de joie aux villageois qui se retrouvent ainsi à la même place et mangent la même chose le même jour », ajoute un autre villageois.
Enfin, il est à rappeler que les villageois ont vite clos la polémique soulevé sur la prétendue non-conformité de cette pratique avec les préceptes de l’Islam. Dans ces villages où la religion est sacrée, ces questions sont laissées aux sages et à l’Imam du village. « Nous ne sommes pas plus intelligents que nos ancêtres. Ils ont vu que la pratique est conforme aux préceptes religieux qui incitent au partage et à l’entre-aide alors ils n’ont pas cherché midi à quatorze heures », répond un vieil homme de Boudjima. Un Imam que nous avons interrogé, Cheikh Hacène, a d’ailleurs confirmé que la pratique est conforme. Bien mieux encore, « elle garantit un précepte fondamental de l’Islam qui est le partage et la prise en charge des pauvres ». La pratique est aussi un signe de grande intelligence collective qui fait que les villages s’adaptent rapidement à toutes les situations et restant viscéralement attachés aux origines.
Kamel Naït Ameur