Débats

La chasse antitrust en Italie néglige les intérêts des clients

Par Alberto Mingardi

Alberto Mingardi, professeur d’histoire de la pensée politique à l’Université IULM, directeur général de l’Istituto Bruno Leoni à Milan. 

Dans cette nouvelle ère antitrust, la place du consommateur semble être totalement négligée.

Ce mois-ci, le régulateur antitrust italien, l’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (AGCM), a condamné Amazon à une amende de 1,13 milliards d’euros (1,28 milliards de dollars) pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché et avoir contraint les vendeurs tiers à utiliser son service logistique interne. La pénalité est particulièrement importante, même pour une entreprise aussi énorme qu’Amazon, qui a eu un chiffre d’affaires global de 386 milliards de dollars en 2020 mais un revenu net de 21,3 milliards de dollars.

La décision de l’AGCM est vouée à être populaire, étant donné un large consensus selon lequel il faut faire quelque chose concernant l’exploitation par les sociétés Big Tech des données privées et leur pouvoir concomitant d’effacer d’autres modèles d’affaires. Depuis la guerre des navigateurs des années 1990, les implications des nouvelles technologies sur le marché sont considérées comme une question antitrust. Sous la présidence de Bill Clinton, les autorités antitrust ont ciblé Microsoft au motif que Microsoft tentait de tirer parti de sa position de fournisseur dominant de systèmes d’exploitation de postes de travail pour sécuriser la domination de son navigateur Internet Explorer. En fait, nous savons aujourd’hui que, bien que le navigateur Netscape n’ait pas survécu, la domination de Microsoft était sur le point de péricliter – juste au moment où les régulateurs et le public le craignaient le plus.

À l’époque, les partisans zélés de l’antitrust s’opposaient aux économistes et aux chercheurs en droit de l’Ecole de Chicago, qui prétendaient que les régulateurs antitrust devaient être guidés par le concept de bien-être des consommateurs, plutôt que par un calcul abstrait du nombre optimal de concurrents dans un secteur d’activité. Mais les considérations sur bien-être des consommateurs sont absentes de la récente décision italienne.

Amazon est à la fois un détaillant et une plateforme, car il fournit un marché où les consommateurs peuvent comparer les options et acheter n’importe quel produit qu’ils préfèrent – et où les petites entreprises peuvent toucher plus de consommateurs que jamais auparavant. L’AGCM a condamné Amazon à une amende en tant que marché numérique, au motif qu’Amazon exige des vendeurs qui souhaitent bénéficier de son service Prime qu’ils s’inscrivent également à son propre service logistique, Fulfillment by Amazon (FBA). Comme les abonnés Prime reçoivent gratuitement des expéditions et une livraison rapide des colis pour certains produits, de nombreux commerçants paieront Amazon pour s’assurer que leurs produits entrent dans cette catégorie (notamment lors de promotions comme Black Friday, Cyber Monday et Prime Day).

Il n’est pas surprenant qu’Amazon associe ces deux services l’un à l’autre. Pour tenir sa promesse aux abonnés du service Prime, Amazon doit assurer des livraisons en temps opportun et la meilleure façon d’y parvenir consiste à avoir le contrôle direct de la logistique. Cette approche n’est pas réservée à l’économie numérique ni aux grandes entreprises du secteur technologique. Amazon est aux prises avec un problème fondamental de la distribution commerciale. Une entreprise peut vous promettre une livraison express seulement dans la mesure où elle pense qu’elle peut tenir cette promesse. Sinon son modèle commercial serait à la merci de variables indépendantes de son contrôle, comme la fiabilité des vendeurs ou l’efficacité du service postal.

Étonnamment, l’AGCM a condamné Amazon à une amende précisément parce que la société comprend ce problème. Le succès d’un marché dépend de sa réputation et Amazon a misé sur la fiabilité de sa plateforme. Un record de fiabilité prend beaucoup de temps à se construire et place inévitablement la barre plus haut pour les nouveaux entrants sur le marché. En déclarant que la relation entre le service Prime d’Amazon et son infrastructure logistique est un abus, les champions italiens de l’antitrust impliquent que les deux peuvent être dissociés. La théorie selon laquelle Amazon tue la concurrence des coursiers indépendants (mais probablement moins fiables), elle a ordonné à la société d’autoriser les commerçants à accéder au service Prime sans leur demander de s’inscrire au service FBA.

Une grande partie de la décision de 250 pages est un aperçu du fonctionnement d’Amazon. Les auteurs contestent le fait que le détaillant Amazon propose « une solution unique de stockage, d’expédition et de service à la clientèle » au sein « d’un écosystème fermé et complet ». Pourtant les acheteurs et les vendeurs semblent apprécier la commodité du système Amazon. Après tout, la part des offres totales des vendeurs tiers a augmenté régulièrement au fil des ans, en passant de 40 % en 2013 à 56 % en 2021.

Les marchés numériques Amazon ont créé de nouveaux débouchés pour les vendeurs de niche en leur permettant d’atteindre des clients dans le monde entier. Dans des entretiens avec les organismes de réglementation antitrust italiens, des détaillants tiers ont confirmé que leur liste Prime aide leurs produits. La décision de l’AGCM constate également que les abonnés Prime en Italie ont tendance à dépenser au moins deux fois plus sur la plateforme que les non-abonnés. L’AGCM remarque que si d’autres marchés numériques ont investi de manière substantielle pour amener leurs services à un niveau comparable à celui d’Amazon, ils ne sont toujours pas en mesure d’atteindre son envergure. Les marchés numériques bénéficient d’un avantage substantiel sur les sites Web propriétaires et en tant que marché numérique le plus visité, Amazon bénéficie du plus grand avantage. Par conséquent, l’AGCM conclut qu’il doit être sanctionné.

La décision sera accueillie favorablement comme une option possible pour négocier avec les grandes entreprises technologiques, ce qui pourrait ouvrir la porte à des actions antitrust similaires ailleurs dans le monde. Mais le point de vue du consommateur n’est considéré que dans la mesure où il « se reflète dans les préférences des détaillants », c’est-à-dire dans le choix des vendeurs de se prévaloir des marchés de consommation auxquels Amazon donne accès.

Qu’en est-il alors du principe du bien-être des consommateurs ? L’amende donnera-t-elle plus de choix aux gens et des prix plus bas ? Ces questions restent sans réponse, parce qu’elles n’ont même pas été posées. L’AGCM a adressé un compliment très cher à la branche logistique d’Amazon. Dans cette nouvelle ère antitrust, la place du consommateur semble être totalement négligée.

Copyright: Project Syndicate, 2021.

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