Le conflit ukrainien signe le début d’une reconfiguration géostratégique : Quel ordre mondial demain ?
L’offensive russe sur l’Ukraine tient le monde en haleine depuis jeudi. Le conflit bénéficie d’une surexposition médiatique qui se confond avec la propagande déployée par les deux camps, qui donne une autre dimension à cette nouvelle guerre froide entre Moscou et l’Otan.
Au-delà des évènements immédiats, le conflit ukrainien est le produit d’un processus entamé il y a plusieurs mois déjà qui rebat les cartes sur l’échiquier géopolitique et qui traduit les luttes entre les puissances qui ont dominé, trois décennies durant, un monde unipolaire aux puissances émergentes, ou plutôt sur le retour, d’un nouvel ordre mondial qui émerge. Des luttes qui mettent à nu les limites d’un système multilatéral qui se paralyse dès que l’on touche les intérêts des grandes puissances et qui ne soumet pas l’ensemble des acteurs aux mêmes règles du jeu.
Il faut dire que le conflit ukrainien intervient dans un contexte de montée constante des tensions et risque d’être suivi par l’ouverture d’autres fronts dans d’autres régions. Il intervient dans le sillage de la multiplication des offensives de l’Otan afin d’élargir son champ d’influence et endiguer les puissances émergentes.
Comme le souligne l’expert en questions géopolitiques, Hassan Kacimi, l’Otan n’a pas respecté un engagement écrit datant de 1991, celui de ne pas s’élargir à l’Est. Et c’est justement l’intention de l’Otan de s’adjoindre l’Ukraine qui est actuellement au cœur du conflit avec Moscou. Cela s’inscrit dans un processus de longue date qui a permis à l’Otan d’intégrer une dizaine de pays du défunt pacte de Varsovie. À cela, il faut ajouter les multiples manœuvres destinées à endiguer la Russie via le conflit en Tchétchénie, puis la Géorgie et l’Abkhazie dont les multiples provocations ont induit le conflit en Ossétie du Sud, et plus récemment ce sont les attaques contre la Biélorussie et son président, dernier rempart de Moscou, contre cette vague bleue qui confirme cette volonté d’endiguement atlantiste.
Vers un conflit planétaire ?
Il faut également noter que cette montée des tensions inaugurées avec l’investiture de Joe Biden et avec lui le retour en force des faucons de la Maison-Blanche ne se limite pas à l’Europe de l’Est. C’est la même politique d’endiguement qui cible actuellement la Chine. L’alliance menée par Washington et qui associe Londres et Canberra pour le déploiement de sous-marins nucléaires dans le Pacifique sous l’argument de « la nécessité de contrer l’expansionnisme chinois » est aussi l’une des figures de cette politique. Un endiguement qui s’accompagne bien entendu du même type de provocations utilisées avec Moscou. C’est ainsi qu’un navire militaire américain a franchi hier pour la deuxième fois depuis le début de l’année le détroit de Taïwan qui sépare l’île de la Chine continentale. Des tensions entretenues par Washington et qui risquent d’induire un autre conflit en mer de Chine, d’autant que Pékin n’a jamais reconnu Taïwan et revendique sa souveraineté sur cet atoll. Des éléments qui, associés à la multiplication des foyers des tensions au Moyen-Orient et en Afrique, font craindre un conflit planétaire. Une hypothèse qui a d’ailleurs été mise en avant par l’Union africaine.
Le contexte est favorable aux tensions, mais aussi à l’émergence de nouvelles alliances. Et face au redéploiement atlantiste, c’est un nouveau bloc qui se forme à l’Est avec le rapprochement entre Moscou et Pékin. Un rapprochement militaire d’abord dès l’été dernier. Un rapproche diplomatique et stratégique ensuite. Au début du mois de février en cours, Vladimir Poutine et Xi Jinping ont dénoncé l’influence américaine et le rôle déstabilisateur des alliances militaires occidentales. Une alliance qui a pris tout son sens après l’offensive russe en Ukraine, Pékin ayant dit comprendre l’action russe et ayant contribué par son abstention, aux côtés du veto de Moscou, à faire échec à la résolution du Conseil de sécurité sur l’Ukraine. Une alliance qui peut aussi s’avérer être un atout sur le plan économique dans le contexte de menaces de sanctions brandies par l’Occident.
Sanctions économiques : Quel impact et quelles conséquences ?
Il faut dire aussi que le conflit en Ukraine a également mis à nu les limites des politiques menées par l’Otan. Face à la fermeté du président russe, Vladimir Poutine, qui a clairement mis en avant le fait que Moscou n’hésitera pas à opter pour l’escalade militaire et a insinué qu’il n’hésiterait pas à transférer le conflit sur le territoire des pays de l’Otan, une ligne rouge que ces derniers ne sont pas prêts à transgresser, l’alliance atlantiste s’est trouvée dès lors dans un dilemme et a signé un début de désengagement sur le plan militaire en poussant Kiev à se battre pour elle au lieu de se battre avec elle. Dès lors et au-delà des « soutiens » apportés à Kiev, les pays de l’Otan optent pour les sanctions économiques. Des sanctions à l’impact limité. Disons-le, le gel des actifs de quelques hommes d’affaires russes n’est pas pour affecter la Russie. L’exclusion de la Russie des marchés financiers n’a pas non plus beaucoup d’effet en raison de l’importance des dépôts de sa banque centrale et de réserves de plus de 600 milliards de dollars et de la présence d’un Fonds souverain doté de plus de 180 milliards de dollars qui lui permettent de bénéficier d’une dette amenée à zéro sur le plan comptable. Le président ukrainien appelle l’Occident à prendre des mesures plus fortes à l’image d’un embargo sur le pétrole et le gaz russes et l’exclusion de la Russie du système des paiements internationaux Swift. Cependant, Américains et Européens ne semblent pas pressés de prendre ce genre de mesures en raison des conséquences à en attendre. Joe Biden a tranché, un embargo sur le pétrole pousserait les prix énergétiques vers le haut et augmenterait une inflation qui affecte déjà assez les ménages américains. Quant à l’exclusion du système Swift, on semble aujourd’hui s’orienter vers une limitation de l’accès de la Russie. Car en plus d’être illégale, une exclusion aura un effet limité d’autant que Moscou dispose déjà d’une alternative. Pis, de telles mesures pourraient pousser Moscou encore plus vers Pékin et donner des arguments pour la mise en place d’alternatives au système actuel assis sur le dollar.
Samira Ghrib