L’Espagne annonce l’approvisionnement du Maroc en gaz via le GME : Alger-Madrid : La rupture !
Le gouvernement espagnol a annoncé hier son intention de rouvrir le gazoduc Maghreb-Europe pour approvisionner le Maroc en gaz en flux inverse. L’Algérie de son côté, a été claire : tout approvisionnement du Maroc en gaz algérien constituera un manquement aux engagements contractuels et induira une rupture des contrats de vente de gaz à l’Espagne.
Ce qui était une brouille diplomatique en Alger et Madrid vire à la crise et risque fort de se déplacer sur le champ gazier. La volonté affichée par le gouvernement de Pedro Sanchez d’opérer un rapprochement avec le Makhzen coûte que coûte menace aujourd’hui les approvisionnements de l’Espagne en gaz, Madrid ayant décidé de rouvrir le gazoduc Maghreb-Europe de son côté, pour fournir du gaz au Maroc en flux inverse. Ce qui a immédiatement fait réagir Alger qui prévient : tout acheminement du gaz algérien en dehors des destinations prévues et spécifiées sur les contrats induira une rupture de ces derniers. Hier en fin de journée, un communiqué du ministère de l’Énergie et des Mines a indiqué que « le ministre de l’Energie et des mines, Mohamed Arkab, a été informé « ce jour (hier, NDLR) par message électronique, par son homologue espagnole, Mme Teresa Ribera, de la décision de I’Espagne d’autoriser le fonctionnement, en flux inverse, du Gazoduc Maghreb Europe (GME). Selon la ministre espagnole, cette opération interviendra ce jour ou demain.
A cet effet, ajoute le département de Mohamed Arkab, « le ministère de l’Énergie et des Mines tient à préciser que tout acheminement de quantités de gaz naturel algérien livrées à l’Espagne, dont la destination est autre que celle prévue dans les contrats, sera considéré comme un manquement aux engagements contractuels, et par conséquent, pourrait aboutir à la rupture du contrat liant la Sonatrach à ses clients espagnols ». La messe est donc dite. Toute action espagnole qui aurait pour conséquence de porter atteinte aux intérêts de l’Algérie induira une riposte. Il est vrai que cette nouvelle sortie du gouvernement de Pedro Sanchez est la dernière d’une série de décisions, justifiées par Sanchez par la volonté « d’ouvrir une nouvelle page » dans les relations avec le Maroc, mais qui sont vertement critiquées, non seulement en Algérie, au Sahara occidental et à l’ONU, mais plus encore en Espagne. Des décisions qui ont induit des tensions diplomatiques entre Alger et Madrid. Une brouille qui a commencé avec le revirement du gouvernement Sanchez sur la question du Sahara occidental, lequel s’est écarté de la position historique de neutralité de l’Espagne en s’alignant sur les thèses du Makhzen. Une décision qui a suscité l’incompréhension à Alger qui a décidé de rappeler son ambassadeur en Espagne à Alger pour consultations. Une réaction qui n’a pas permis de ramener le gouvernement Sanchez à la raison lequel s’est investi dans une campagne de désinformation aux côtés du Makhzen. Une attitude fermement condamnée par l’ONU qui ne cesse de faire des rappels à l’ordre en ce sens, mais aussi en Algérie. C’est dans ce contexte que le président de la République, Abdelmadjid Tebboune a indiqué samedi que le revirement de Madrid sur la question du Sahara occidental était « éthiquement et historiquement inadmissible ». Il a également regretté la nouvelle position du chef du gouvernement espagnol qui ne peut en aucun cas être celle du peuple espagnol, et encore moins celle du roi Felipe VI.
Provocation
L’occasion fut toute trouvée pour le gouvernement Sanchez d’ouvrir une guerre des mots afin de détourner l’attention des critiques qu’il subit en Espagne et le ministre espagnol les Affaires étrangères, José Manuel Albares, a répondu de manière peu cavalière. Une attitude inacceptable de l’avis d’Alger. Ainsi, l’Envoyé spécial au ministère des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger chargé de la question du Sahara occidental et du Maghreb, Amar Belani avait indiqué que les propos « désobligeants » tenus `par José Manuel Albares sont « inacceptables » et « ne contribueront certainement pas à un retour rapide à la normale dans les relations bilatérales ». « Le ministre espagnol devra en assumer les conséquences », a-t-il ajouté.
L’évolution de la situation ne va pas dans le sens de l’apaisement, d’autant que Madrid semble jouer la carte de la provocation sur la question du gaz dans un contexte où le marché est tendu. Ce qui laisse pantois. D’autant que le contexte actuel laisse présager un resserrement sur les voies d’approvisionnement du marché européen, et notamment espagnol en gaz. Si l’inversement du flux du GME était jusque-là considérée comme complexe sur le plan technique, une question se pose : où l’Espagne pourra-t-elle trouver assez de gaz pour couvrir ses besoins et approvisionner le Maroc en plus ? Une question qui se posera avec plus d’acuité en cas de rupture totale des livraisons de gaz algérien. Si l’Espagne semble jouer le jeu du chantage afin d’éviter une révision à la hausse des prix du gaz algérien, elle opte pour une stratégie dangereuse voire suicidaire. Car au-delà des tensions sur l’approvisionnement, le seul recours possible et limité aux marchés spots à un coût. Selon l’expert en stratégie énergétique, Mourad Preure, le monde vit aujourd’hui des chocs gaziers, avec des prix du gaz sur le marché spot qui augmenté de 600% en 2021.
Une telle perspective n’est pas pour calmer les critiques de la classe politique espagnole à l’égard du gouvernement Sanchez, laquelle pointe déjà du doigt l’impact des décisions du premier ministre espagnol sur les relations algéro-espagnoles et leurs conséquences sur l’approvisionnement gazier de l’Espagne. Des critiques qui se sont multipliées depuis le rapprochement stratégique gazier entre Alger et Rome et qui a dévoilé l’importance de l’opportunité ratée par l’Espagne. Et la classe politique espagnole ne décolère pas. Le Parlement espagnol a convoqué Sanchez pour s’expliquer sur ses décisions. Une nouvelle convocation qui risque d’avoir des conséquences pour le gouvernement Sanchez.
Chokri Hafed