Financement occulte de la campagne électorale : Les dessous d’un scandale !
Le procès dans l’affaire du financement occulte de la campagne électorale du défunt président Bouteflika en 2019 et de la chaîne « Al Istimraria », impliquant Said Bouteflika et Ali Haddad, s’est finalement ouvert hier au Tribunal des Sidi M’hamed. Un procès qui a apporté son lot de révélations.
Le procès qui a été marqué par le refus d’Ali Haddad de réponde, une nouvelle fois, aux questions des juges sur des faits sur lesquels il a eu, dit-il, à s’exprimer de nombreuses fois et par les propos de Saïd Bouteflika concernant ses propriétés et ses avoirs.
Un procès qui a également été marqué par le lourd réquisitoire du procureur de la République près le Pôle économique et financier spécialisé du Tribunal de Sidi M’hamed. Le magistrat a requis une peine de 10 ans de prison ferme, 3 millions de dinars d’amende et la confiscation de tous les biens immobiliers et mobiliers contre Saïd Bouteflika, frère et ancien conseiller de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, et de l’homme d’affaires Ali Haddad, poursuivis pour le financement occulte de la campagne électorale, trafic d’influence, abus de fonction, blanchiment d’argent et non déclaration des biens. Dans son réquisitoire, le magistrat rappelle la genèse des faits et notamment celle de l’affaire de la chaîne de télévision « Al Istimraria » dont l’instruction a été lancée au mois de juin 2020. Il a mis en avant le rôle Saïd Bouteflika dans cette affaire, soulignant les « nombreux et multiples contacts entre Haddad et Saïd qui indiquent que cette relation a été exploitée pour passer de faux projets qui font l’objet d’affaires de corruption traités au tribunal de Sidi M’hamed », dans l’objectif d’alimenter « un financement occulte de la campagne électorale ». Il a également mis en avant le rôle des deux hommes dans l’affaire de la chaîne de télévision « Al Istimraria » dont la création devait servir la campagne électorale. Il est revenu sur l’importation des équipements destinés à cette chaine de télévision, estimant que « les équipements destinés à cette chaîne et qui ont été saisis provenaient des crimes de corruption ». Le Magistrat a également mis en avant les propriétés que Saïd Bouteflika, notamment, n’a pas déclaré, avant d’apporter certaines précisions concernant les commissions rogatoires lancées pour identifier les biens à l’étranger, assurant que la procédure est en cours et que celle-ci n’a pas abouti à un résultat négatif.
La supplique de Haddad
Les audiences de la matinée ont été consacrée à l’audition des deux principaux accusés et ont été marquées par la supplique d’Ali Haddad lequel a affiché sa lassitude après les multiples procédures judiciaires dont il fait l’objet. Il a d’abord tenu à nier toutes les accusations contre lui, avant de refuser de répondre aux questions spécifiques des magistrats, assurant qu’il a eu à répondre à toutes ces questions lors des procédures précédentes. Il est utile de rappeler dans ce contexte, que lors du premier procès sur le montage automobile Ali Haddad avait déclaré que Said Bouteflika lui avait demandé de récupérer des fonds pour le financement de la campagne au niveau du QG de campagne à Hydra et de les conserver au siège de l’ETRHB pour des raisons de sécurité. Lors de l’instruction de l’Affaire Al Istimraria, Ali Haddad a déclaré au juge d’instruction en charge de l’enquête judiciaire «avoir prêté le matériel importé à Saïd Bouteflika, à la demande de ce dernier. «Je n’ai aucun lien avec cette chaîne. Les équipements importés étaient destinés pour Dzair TV. «J’ai importé pour 220.000 euros de matériel moderne pour le direct», a-t-il ajouté. Et d’affirmer que «c’était une année avant la campagne». Toujours lors de l’instruction, Ali Haddad a déclaré que «le groupe Media Temps ambitionnait créer un studio semblable à celui de BeIN Sport qui a pour but la transmission du championnat et de la coupe». « Nous avions l’exclusivité pour huit matches de la Ligue 2 (…). Mais en 2018, il y a eu la crise faute de sponsors et de publicité », a-t-il expliqué, soulignant que «nous n’avions même pas de quoi payer les salaires». Hier, Ali Haddad a rappelé que «c’est la quatrième fois que je me présente pour cette question liée à la campagne électorale». Ayant évoqué les affaires dans lesquelles il est poursuivi devant la justice, dont l’affaire Mazouz et le groupe ETRHB, il a ajouté : « moi et Said, nous comparaissons pour la huitième fois devant la justice, et j’ai comparu 32 fois devant juges d’instruction, juges d’audience et procureurs, vous m’avez jugé pour la troisième fois dans cette affaire». Et d’ajouter que «vous avez toutes mes déclarations. Je suis fatigué, toutes les réponses sont là ». «Vous avez plus de 2 000 papiers dans cette affaire, 4 ans d’emprisonnement et la confiscation de tout mon argent et de mes biens », a-t-il enchainé. Et d’ajouter : «nous jeûnons tous les jours et nous demandons grâce aux autorités du pays. Je ne suis pas un juif. Laissez-moi tranquille».
Les propriétés de « l’Empereur » !
Appelé à la barre, Saïd Bouteflika a nié tout lien avec la chaîne Al Istimraria et le financement de la campagne électorale. Il a cependant été longuement interrogé par le juge de l’audience sur ses propriétés et ses avoirs. Il a en ce sens confirmé être propriétaire d’un appartement F5 d’une superficie de 249 mètres carrés situé à Ben Aknoun, acquis dans le cadre d’une promotion immobilière. Il a indiqué avoir hérité de son frère décédé, Mustapha Bouteflika, d’un appartement dans la commune d’Alger-Centre. Quant aux entrepôts, Said Bouteflika a indiqué qu’ils «appartiennent à sa mère». Le conseiller de l’ancien président n’a pas non plus nié être propriétaire d’un bien dans la municipalité d’Hydra dont il a également hérité. Il en est de même d’un terrain et d’un appartement à El Bachir El Ibrahimi, pour lequel il a indiqué l’«avoir hérité » de sa défunte mère. En réponse à la question du juge sur son compte bancaire, qui contient 10 millions de dinars et 36.000 euros, il a déclaré : « Ces sommes proviennent de mon travail, soit en tant que professeur à l’Université Bab Ezzouar durant 11 ans ou du poste de conseiller à la présidence de la République, pour lequel j’étais payé 30 millions de centimes par mois». Saïd Bouteflika assuré avoir acquis ces biens de manière légale, et qu’ils ne sont « entachés d’aucune corruption ». Usant, comme il en l’habitude, d’un ton acide, il lance : «Ce sont là tous les biens de Saïd Bouteflika, celui qu’on a surnommé l’Empereur !».
Salim Abdenour et Chokri Hafed