Pr. Mohamed Belhadj, professeur d’histoire à l’université d’Oran et chercheur au Crasc : « La recherche historique est un chantier ouvert à long terme »
Dans cet entretien, le professeur en histoire à l’Université d’Oran et chercheur au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc), Mohamed Belhadj, souligne toute la symbolique de la célébration du 5-Juillet, notamment dans le contexte actuel.
La Sentinelle : L’Algérie célèbre le soixantenaire de son indépendance. Quelle symbolique revêt la date du 5 juillet pour les Algériens
Mohamed Belhadj : La journée du 5 juillet est revêt aujourd’hui une dimension historique et symbolique. Le 5 juillet est le symbole de l’indépendance et de la libération. Celui du recouvrement de la souveraineté nationale et le point de la fin de la période sombre du colonialisme français. Le choix du 5 juillet 1962 pour la proclamation officielle de l’indépendance après le référendum tenu au 1er juillet est d’une symbolique forte.
Car avant cette date, le 5 juillet était associée à la chute d’Alger et le début d’une période sombre de l’Histoire. Ilreprésentait d’abord la perte de souveraineté nationale et le début d’un colonialisme marquant la division des Algériens, leur appauvrissement, leur transformation en khemas et serviteurs des colons. Le 05 juillet 1962 est un couronnement d’un militantisme des générations et non pas seulement le militantisme de la génération de novembre. Ce repère historique représente aussi les multiples sacrifices des Algériens à partir du 5 juillet 1830. Et bien avant cette date, il y a eu une résistance féroce politique, et même armée. Le 05juillet 1962 a rayé cette image noire, sachant qu’en 1930 les colonialistes ont célébré le centenaire du colonialisme et dans lequel ils ont essayé vainement de prouver les colons ne quitteraient pas l’Algerie. Quand on aborde le 5 juillet 1962, on aborde ces célébrations et cette fierté de notre appartenance à ce pays, de son drapeau hissé dans les villes, les villages et les montagnes. Dans la ville d’Oran, le 5 juillet 1962 porte un sentiment particulier. Lorsque la langue des armes a cessé un peu partout en Algerie en application des Accords d’Evian et le cessez-le-feu entré en vigueur le 19 mars 1962, la ville d’Oran est rentré dans un cercle infernal et plongé dans un bain de sang et vécu une période sanguinaire de son histoire des suite des crimes exécutés par l’Organisation armée secrète et dont laquelle Oran a constitué l’un des fiefs en Algérie. Une période marquée par des tueries collectives et les exécutions menées par l’organisation terroriste. Le 5 juillet est dans ce sens une symbolique forte, car la fin de l’infamie colonialiste a été actée. Notre joie est aujourd’hui double. Et quand on évoque le 5 juillet, on doit nécessairement aborder la mémoire des hommes qui ont marqué ce repère important de l’histoire. D’ailleurs, nous organisont aujourd’hui, une rencontre, dans le cadre d’un partenariat entre l’université d’Oran et le Crasc, qui évoquera la vie de l’un des héros qui ont contribué au processus de libération. Il s’agit du capitaine Djelloul Bakhti Nemiche qui a été chargé par la direction de l’Armée de libération nationale deveiller à la mise en œuvre du cessez le feu à Oran et affronter l’OAS.
La célébration du 5-Juillet revêt aujourd’hui une importance particulière avec des festivités qui dureront une année. Quelle dimension revêt aujourd’hui cette date clé dans l’Histoire de notre pays ?
Il ya l’indépendance et la libération. L’indépendance est une démarche dans la libération. Et l’indépendance passe surtout par le recouvrement de la souveraineté. Et c’est en ce sens que les accords d’Évian ont suscité le débat et un désaccord sur certain points entre le GPRA et l’Etat major de l’ALN. Si ces accords ont permis de hisser le drapeau national et le recouvrement de la souveraineté nationale, le processus s’est poursuivi par d’autres démarches pour garantir le recouvrement de l’indépendance dans d’autres domaines. La politique des nationalisations menée par le gouvernement algérien, la nationalisation des aéroports, les hydrocarbures, par exemples entraient dans le cadre de cette démarche. La récupération de Mers El Kebir en 1968 l’algerianisation de l’enseignement, pour garantir une indépendance culturelle, sont aussi les symboles de ce processus.
L’indépendance nationale est tributaire de la liberté de la décision. Celle ci est à son tour tributaire de la force économique. L’auto-suffisance dans le domaine alimentaire est aussi une libération. Nous avons des d’importantes potentialités et d’importants moyens nous permettant d’alimenter l’Afrique et l’Europe. Cependant, nous sommes restés, trop longtemps figés dans les mêmes pratiques liées à la propriété, le soutien du fellah etc. Nous avons besoins de procédures audacieuses à imposer par une volonté politique.
Il faut une réflexion sur notre sécurité alimentaire. Nous sommes en face d’un grand défi d’autant qu’en plus du pétrole et du gaz, l’Algérie dispose d’importantes richesses, en plus de ses potentialités humaines.
La question de la mémoire est une préoccupation centrale des plus hautes autorités du pays. Quels sont les chantiers qui méritent d’être lancés à l’heure actuelle ?
Le champ de recherche historique est un chantier ouvert à long terme. J’animais une émission d’histoire à la radio d’Oran. Au départ, je suis allé sur 02 mois. Au final, je me retrouvé à parler de la guerre de libération pendant 5 ans.J’ai conclu que le travail est à poursuivre et le chantier est toujours ouvert de manière permanente. Nous avons beaucoup de figures oubliés par l’histoire algérienne.
Il faut qu’on parle des leaders, de ces personnalité et de ces soldats qui ont servi la cause nationale. Nous remarquons des gens qui se placent en tant que détenteurs exclusifs de l’histoire de la guerre de libération nationale, des laboratoires de recherches excluent d’autres. Au lieu de converger et de collaborer, l’on a versé dans la concurrence déloyale dans certains cas. En tant que chercheurs, nous sommes appelés à se serrer les coudes. La cause de l’histoire est commune, elle ne concerne par uniquement les chercheurs. Elle concerne également l’université, les organisations populaires qui doivent sortir de la typologie revendicatrice pour valoriser nos ancêtres. Le secteur des affaires religieuses, la jeunesse et les sports, la formation professionnelle, les médias sont appelés à ancrer cette mémoire nationale.
Entretien réalisé par Amar Malki