Sommet des chefs d’Etat de l’Organisation de coopération de Shanghai : Les prémices d’un nouveau monde !
Le Sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai marque un tournant dans l’histoire géopolitique. Bloc centré sur le renforcement de la coopération économique asiatique, l’OCS prend une dimension géopolitique, avec l’intégration de l’Iran aux côtés de la Russie, de la Chine, de l’Inde, du Pakistan et des Républiques d’Asie centrale. Elle se propose comme contrepoids de l’ordre hégémonique imposé par l’Otan et introduit l’alternative asiatique au système économique et financier des institutions créées pour accompagner le plan Marshall.
Les relations eurasiatiques se renforcent et aboutissent progressivement à la création d’un nouveau pôle de puissance. Jeudi et vendredi, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), créée en 2001 en tant que plateforme de coopération concurrente des organisations occidentales, s’est réunie en sommet à Samarcande, en Ouzbékistan, en présence de ses membres au grand complet. Cette année, deux invités de marque ont également été de la partie : les présidents turc, Recep Tayyip Erdogan, et azerbaïdjanais, Ilham Aliev, ce qui atteste des ambitions de cette organisation.
Ce sommet a été sans conteste un événement car l’OCS représente la plus grande alliance régionale du monde. L’importance de ce rendez-vous se vérifie d’ailleurs par la présence remarquée du président chinois. Il faut savoir qu’il s’agit du premier déplacement hors de la Chine de Xi Jinping, qui s’est rendu au Kazakhstan avant de rallier l’Ouzbékistan pour assister au sommet et y rencontrer notamment Vladimir Poutine. Apparus plus que jamais soudés, Xi Jinping et Vladimir Poutine se sont posés en contrepoids à l’influence occidentale.
Il faut dire que l’événement intervient au moment où Moscou et Pékin ont des relations extrêmement tendues avec Washington. Jamais la Russie, la Chine et les Etats-Unis n’ont été aussi proches d’une confrontation directe. Les présidents chinois et russe ont ainsi multiplié rencontres et déclarations pour défier la politique de provocations et d’endiguement (Containment) de l’Occident. Dans le cadre de l’OCS qui renferme 4 puissances nucléaires et dont l’ensemble des États représentent près de 40% de la population mondiale, ils ont voulu ainsi montrer à l’Ouest qu’ils n’étaient ni faibles et encore moins isolés sur la scène internationale.
Un ordre international plus juste
Le président chinois a appelé, à ce propos, vendredi à un ordre international «plus juste et rationnel». Les dirigeants doivent «travailler ensemble à la promotion d’un ordre international qui aille dans une direction plus juste et rationnelle», a-t-il souligné. Dans son discours intitulé « Suivre la tendance de notre époque et renforcer la solidarité et la coopération pour bâtir ensemble un meilleur avenir », le chef de l’Etat chinois a en outre appelé « à défendre l’esprit de Shanghai, à renforcer la solidarité et la coopération et à bâtir une communauté d’avenir partagé de l’OCS encore plus solide ». La veille, Xi Jinping avait assuré en Ouzbékistan à son homologue russe Vladimir Poutine que la Chine souhaitait assumer son rôle de «grande puissance» avec son voisin la Russie. Il convient «d’abandonner les jeux à somme nulle et la politique consistant à créer des blocs», a-t-il averti. Il n’a cité aucun pays, mais Pékin utilise généralement ce vocabulaire pour dénoncer les États-Unis et leurs proches alliés.
Le président russe, de son côté, s’est félicité du «rôle croissant des nouveaux centres de pouvoir» qui, selon lui, «devient de plus en plus évident». Vladimir Poutine a affirmé que la coopération entre les pays membres de l’OCS, à la différence des Occidentaux, se basait sur des principes « dénués d’égoïsme». «Les tentatives de créer un monde unipolaire ont récemment pris une forme absolument laide et sont totalement inacceptables», a-t-il encore martelé. Le ministre des Affaires étrangères ouzbek, Vladimir Norov, a quant à lui indiqué que «l’Organisation de coopération de Shanghai devient une organisation de plus en plus large et responsable, capable de faire des propositions sur les problèmes régionaux et globaux du moment». Le message adressé aux Occidentaux et en particuliers aux Américains est clair : Pas question de vous laisser imposer votre diktat au monde.
L’alternative asiatique
Au-delà du poids géopolitique, l’OCS propose surtout l’alternative asiatique à l’ordre économique mise en place au lendemain de la deuxième guerre mondiale et miné par les sanctions occidentales qui visent plusieurs pays comme c’est le cas de l’Iran et de la Russie. Même si cette alternative est encore en gestation elle commence à prendre forme. Création de nouveaux corridors économiques, le recours monnaies nationales notamment le rouble et le yuan dans les échanges commerciaux, développement de systèmes de paiement internationaux alternatifs et consolidation de la coopération énergétique et industrielle sont au cœur de la démarche. Visée depuis par de lourdes sanctions économiques occidentales, la Russie se tourne de plus en plus vers l’Asie pour chercher des soutiens économiques et diplomatiques. Et les Russes les y ont trouvés. Vladmir Poutine bénéficie en effet d’un soutien fort de la Chine et de l’Inde, deux pays où il a trouvé des débouchés pour ses hydrocarbures. La Chine a augmenté ses achats de pétrole russe, au point de faire de Moscou son principal fournisseur, devant l’Arabie saoudite. En quelques mois, Pékin a renforcé toutes ses importations d’hydrocarbures russes : 17 % de pétrole de plus que l’année dernière, mais aussi 50 % de gaz naturel liquéfié (GNL) et 6 % de charbon supplémentaire.
Moscou a également mis l’Inde à l’abri en matière d’approvisionnement en ressources énergétiques. En février, New Delhi ne faisait venir qu’1 % de son pétrole importé de Russie. Désormais, l’or noir russe représente 17 % de ses achats étrangers, elle qui dépend à 85 % des importations pour le pétrole. L’Inde a l’avantage, en outre, d’acheter le pétrole russe à prix d’amis. Moscou pratique des tarifs imbattables, à 30 dollars de moins par baril par rapport au cours actuel de l’or noir. Grâce à cette offre très attractive, la Russie est devenue le deuxième fournisseur de pétrole du pays, derrière l’Irak. Justement à propos d’hydrocarbures, le ministre russe de l’Energie, Alexandre Novak, a révélé en marge du sommet que le futur gazoduc Force de Sibérie 2 vers la Chine pourrait «remplacer» Nord Stream 2, qui devait relier la Russie à l’Europe avant d’être suspendu pour cause de la guerre en Ukraine. Quelque 50 milliards de mètres cubes de gaz annuels seraient ainsi réorientés de l’Occident vers les marchés chinois. Cette annonce additionnée aux résolutions du sommet de l’OCS fera certainement l’effet d’une bombe à la fois économique et géopolitique en Europe. A cela s’ajoute le nouveau corridor nommé International North–South Transport (INSTC) devrait donner la possibilité à l’Inde de recevoir toutes sortes de marchandises de la Russie, y compris du gaz, du pétrole et du blé.
Khider Larbi