Jil Jadid organise une conférence sous le thème « Quelle modernité pour l’Algérie » : Définir le modèle voulue
« Quelle modernité pour l’Algérie ? », c’est le thème d’une conférence organisée, samedi à Alger, par le parti Jil Jadid, et animée par son président, Sofiane Djillali, le chercheur Nouredine Bekis, spécialiste en sociologie politique et le docteur Ghaleb Benchikh El Hocine.
La question est importante, l’Algérie étant « à la croisée des chemins », selon les propos de Sofiane Djillali, dans la mesure où le pays est dans une phase de « passage de la société traditionnelle vers quelque chose qui n’est pas encore défini ». Pour lui, « il est nécessaire de définir les contours de la modernité recherchée ». « Est-ce qu’on va adopter tous les aspects de la modernité », s’est-il demandé, mettant le doigt au passage sur ses travers, comme, l’a-t-il souligné, « la nucléarisation » de la famille, une logique imposée surtout par les Etats-Unis, « dans le but de pousser vers plus d’individualisme ». « La civilisation occidentale domine le monde et impose toutes les règles de jeu », a-t-il lancé. Selon le président de Jil Jadid, « la société devra accéder à la modernité mais avec des mécanismes qui lui permettent de se protéger ». Donc pour lui, « la modernité importée clé en main ne fonctionnera pas ». D’où, a-t-il insisté, la nécessité de débattre du modèle de modernité voulu. « Il faut décortiquer la question pour arriver à une modernité algérienne, comme l’a fait le Japon, la Chine…, avec leurs propres modèles », a-t-il déclaré. Sofiane Djillali estime que « la société est en train de muer », et c’est à l’élite « d’engager le pays vers une modernité qui lui sied », ceci, entre autres, en prenant « ce qu’il y a d’universel et avoir les moyens de filtrer ».
Et comme, à chaque fois qu’il est question de modernité, la problématique du poids de la religion ressurgit, Benchikh El Hocine a axé son intervention sur cet aspect en évoquant la nécessité de « refonder la théologie ». Celui-ci a commencé par dire que « la modernité n’est pas uniquement technologique et matérielle, mais surtout politique et intellectuelle ». A cet effet, l’islamologue a estimé que « les affaires de la cité sont une affaire proprement humaine » et que « la loi commune est faite par les hommes pour les hommes et ces derniers peuvent la changer s’ils ne sont pas satisfaits ». Selon lui, « la loi reste une émanation rationnelle et c’est la raison humaine qui la fabrique en faisant confiance à la sagesse du législateur pour peu que celui-ci soit formé ». « Dans l’aspect d’une religiosité aliénante il y a lieu de déculpabiliser les consciences, d’en finir avec une obsession névrotique de la norme canonique et de comprendre les choses dans une élévation spirituelle pour faire le bien ». C’est cela, ajoute-t-il, « la tradition religieuse vivante », contrairement « à l’aliénation religieuse que nous connaissons ». Et pour y arriver, enchaîne-t-il, « il faut refonder la pensée théologique ». Ainsi, Ghaleb Benchikh El Hocine, estime qu’il faut passer par trois chantiers « titanesques » pour arriver à la refondation théologique. Il s’agit de « celui des libertés fondamentales notamment la liberté de conscience, d’opinion, d’expression », « d’une égalité ontologique et juridique entre les êtres humains, par-delà leur genre et orientation spirituelle et philosophique » ainsi que de celui relatif à la lutte contre l’idée de « l’efficacité de la violence ». Le docteur a avancé d’autres chantiers à l’instar de « l’autonomisation du champ du savoir et de la connaissance par rapport à celui de la révélation et de la croyance » et « l’émancipation du sujet et sa liberté par rapport au poids de la communauté ». Mais au-delà de tout cela, Ghaleb Benchikh a cité deux défis auxquels fait face l’Algérie, à savoir la gouvernance, à travers entre autres, l’ « adhésion aux respects des lois que l’on se donne, les lois communes » et l’éducation et l’acquisition du savoir. « S’il y a eu d’investir, c’est pour la préparation des générations futures par une éducation assainie, par une école vivante », a-t-il lancé.
Nourredine Bekis, lui, a estimé que le poids de la société traditionnelle est toujours présent. Et c’est le cas même dans la vie citadine. Il a tenu à rappeler, à cet effet, que « chaque civilisation a sa modernité » et qu’ « aujourd’hui, c’est la civilisation occidentale qui domine ». Pour lui, « la modernité a libéré les gens du système de castes qui existait auparavant ». Désormais, « chaque personne est considérée selon la plus-value qu’elle peut apporter », et non pas « selon la tribu à laquelle elle appartient ou son rang dans la société ». « Il y a eu de nouveaux codes moraux, dont a besoin la société, la liberté, puis l’égalité », a-t-il déclaré, avant de lancer : « C’est pour cela que la modernité fait peur à beaucoup de gens ». Et parmi les choses que la modernité a apporté c’est cette faculté à « débattre de tous ». Bekis a, dans ce sens, cité deux conditions nécessaires à la modernité et qui, d’après lui, font défaut dans les sociétés arabes. Il s’agit de dignité et de la connaissance. « La dignité n’est pas suffisante dans les sociétés arabes pour qu’il y est un saut qualitatif des citoyens qui leur permet de sortir du cercle de la peur », a-t-il fait remarquer. Ceci, sachant, a-t-il ajouté, que « la peur tue la créativité ». Néanmoins, enchaîne le sociologue, « il n’y a pas un seul modèle de modernité, mais plusieurs », citant à ce propos le Japon et les Etats-Unis, en notant que la religion est très présente dans le discours politique des Américains. En somme, les intervenants, chacun avec sa vision des choses, ont tenté de définir des pistes de débats pour ce qui est de cette lancinante question qu’est la modernité.
Elyas Nour