Lutte contre la corruption : Quelle protection pour les lanceurs d’alerte ?
La dissimulation de preuves d’un crime, comme l’acte de corrompre, constitue un grave délit. Son signalement exige courage et bonne foi. Aussi, il appartient aux pouvoirs publics d’instaurer un climat de confiance et garantir la protection des lanceurs d’alerte et des dénonciateurs des actes délictuels. La corruption a pris une ampleur inédite au cours des deux dernières décennies au point d’avoir affecté des pans entiers de l’économie et de la société. La lutte contre ce fléau enregistre des avancées palpables grâce notamment au renforcement de l’arsenal réglementaire destiné afin de renforcer les mécanismes d’alerte et les sanctions contre les auteurs d’actes délictuels notamment ceux liés à la corruption. La démarche s’appuie également sur l’ancrage de la culture de la transparence en opposition à la culture de la corruption qui a pris le dessus, en s’appuyant sur une prise de conscience collective du danger que fait peser la corruption sur l’économie nationale, les institutions te la société dans son ensemble, ainsi sur l’implication de l’ensemble de la société dans la lutte contre ce phénomène. Cependant beaucoup reste à faire, notamment en ce qui concerne les pratiques à implémenter et les mécanismes à mettre en place pour instaurer un climat de confiance, inciter la dénonciation des actes de corruption et surtout protéger ceux qui s’exposent en première ligne pour dénoncer publiquement, c’est-à-dire devant les juridictions compétentes, la corruption, à commencer par les lanceurs d’alerte qui, jusqu’ici, ne sont pas considérés comme des acteurs de lutte contre ce fléau, alors que ces derniers obéissent aux principes des enquêtes préliminaires de par les éléments qu’ils apportent pour ouvrir une information judiciaire à l’encontre des mis en cause. De l’aveu même du secrétaire général de la Haute autorité de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption, Moulay Larbi Chaâlal, le lanceur d’alerte en Algérie ne jouit pas d’un statut juridique censé le protéger et le mettre à l’abri des menaces qui pourraient peser à son encontre, que ce soit au niveau de la Justice ou au sein de l’environnement corrompu qu’il tente de dénoncer. Mieux, ce responsable avouera que les citoyens ne s’impliquent pas dans la signalement de l’acte de corruption à cause de l’absence d’un cadre législatif dûment vulgarisé à travers des rencontres de proximité et de rencontres didactiques dédiées. « Le signalement est l’un des mécanismes les plus importants pour lutter contre la corruption, mais malheureusement en Algérie nous n’avons pas cette culture, d’autant plus que les lanceurs d’alerte craignent les menaces et les provocations auxquelles ils peuvent être exposés », a estimé M. Chaâlal qui donne un avant-goût d’une « Loi indépendante » que son instance s’attèle à proposer au Gouvernement pour protéger ceux qui s’engagent dans la difficile, mais pas impossible, mission de lutte contre cette gangrène. Jugeant qu’un lanceur d’alerte exigeait un statut juridique, pourvu que ce dernier soit animé par la bonne foi et qu’il soit également dénué de tout velléité à la délation, M. Chaâlal a jugé primordial «de protéger le lanceur d’alerte des affaires de corruption à travers l’élaboration d’une Loi indépendante, qui à l’avenir encouragera de tels comportements, ce qui contribuera grandement à lutter contre le phénomène de la corruption ». Or, reconnait-il, l’absence d’un dispositif législatif qui mettrait à l’abri les lanceurs d’alerte qui repousserait ces bonnes volontés à verser dans la rétention de l’information. Il s’agit aussi de différencier les lanceurs d’alerte des volontés malveillantes quirecourent aux lettres anonymes souvent porteuses de dénonciations calomnieuses et qui s’apparentaient, souvent, à des règlements de compte, à un acharnement ou encore à du chantage. Ce qui, aux yeux de la loi, constitue un grave délit, car elle engendre un obstacle à la manifestation de la vérité. Partant de ce constat, ce responsable affirme qu’un lanceur d’alerte figure parmi les acteurs majeurs qui pourrait contribuer à solutionner certaines situations et à mettre à nu ceux qui entretiennent encore cette dangereuse pratique au détriment de la morale qui régit les rapports de confiance que ce soit au niveau de la société ou au niveau des institutions. Certes, n’est pas lanceur d’alerte qui veut, car, pour le moment, aucun cadre juridique ne définit ce statut. Mais, la réalité est là, en témoignent les récentes vidéos distillées sur les réseaux sociaux par des citoyens intègres pour dénoncer des vols à la tire, des cas de violence dans les stades ou encore des faits passibles de prison et pleinement assumés par leurs auteurs sur la voie publique. Ces cas de figure, c’est-à-dire ces enregistrements vidéo et sonore, pourraient constituer des preuves palpables. Mais, encore une fois, faudra-t-il revoir certaines dispositions du Code de procédures pénales pour permettre à un lanceur d’alerte de prêter main forte aux services de sécurité et à la justice en signalant un danger, un risque ou encore un scandale nécessitant la mobilisation de l’appareil judiciaire censée s’autosaisir systématiquement pour explorer et exploiter les précieux renseignements. Car, en définitive, protéger les lanceurs d’alerte, c’est consacrer le principe de la dénonciation, en toute transparence, d’un fait aussi gravissime qui freine la dynamique d’un pays.
Riad Lamara