Elle est inaudible depuis plusieurs années : Où est passée la classe politique ?
Malgré leur grand nombre, les partis politiques, toutes tendances confondues, brillent par leur absence. Contrairement aux années 90-2000, période durant laquelle la vie politique était extrêmement animée, ils ont quasiment déserté la scène, ne participant que rarement au débat public. Les thèmes sur lesquels ils peuvent intervenir ne manquent pourtant pas. Les partis sont-ils en crise ? Sont-ils en panne d’imagination ? Leur éclipse est-elle due à un verrouillage des champs politique et médiatique ? Quelle que soit la réponse, la situation inquiète car elle pourrait provoquer un désintérêt durable de la population vis-à-vis de la chose politique. Et un discrédit du politique peut avoir des conséquences ravageuses sur la jeune démocratie algérienne et les processus électoraux à venir. Tous ces éléments superposés les uns sur les autres additionnés à une faiblesse des médiations politiques et sociales peuvent déboucher sur une crise de représentation. Ce qui n’est évidemment pas souhaitable dans l’état actuel des choses.
Le premier à avoir attiré l’attention sur le danger qu’il y aurait à voir la situation perdurer est l’ancien ministre de la communication Abdelaziz Rahabi. Lors d’une conférence consacrée à l’opposition politique en Algérie, donnée début décembre à l’Assemblée populaire nationale (APN), l’ancien diplomate a avancé l’idée que la faiblesse des partis pouvait s’expliquer par le fait qu’ils ont été pendant longtemps « diabolisés». Cette diabolisation, a-t-il expliqué, « remonte aux premières années de l’indépendance de l’Algérie, marquées par « la pensée unique » et « la légitimité révolutionnaire du pouvoir».
L’opposition en Algérie a parfois été accusée d’être à la solde de l’étranger, ce qui est faux, a poursuivi Abdelaziz Rahabi qui a estimé que l’étranger a besoin de régimes forts et stables. «L’Occident n’a jamais demandé au Tiers Monde d’être démocratique, au contraire, il a contribué à avorter les expériences démocratiques », a-t-il dit. « Le pouvoir algérien a aussi disséminé l’opposition en multipliant les partis, ce qui a induit l’atomisation de la représentation politique dans la société », a fait remarquer l’ancien diplomate. Pour Abdelaziz Rahabi, il y a aujourd’hui trois acteurs sur la scène nationale : le pouvoir, les réseaux sociaux et « ce qui reste de l’opposition». «Ce qui intéresse aujourd’hui le pouvoir, c’est les réseaux sociaux. L’opposition est transférée à Paris, Canada ou Londres. Le pouvoir est plus attentif à ce qui se dit sur les réseaux sociaux que par ce que dit l’opposition. C’est un phénomène nouveau, l’opposition faceboukienne est plus influente que les opposants politiques. Personnellement, ça me fait peur », a-t-il déclaré.
Soufiane Djilali, le président de Jil Jadid, rejoint également le constat fait par Abdelaziz Rahabi. Dans un entretien accordé cette semaine à un quotidien en ligne, il s’est inquiété de la paralysie qui touche la classe politique de manière générale et l’opposition de façon particulière. Pour lui le constat est clair : la classe politique est carrément en déshérence. « Et cela n’est pas bon », assène-t-il. Soufiane Djilali va plus loin en disant que « la scène politique a été vidée de sa substance et (que) les partis politiques sont considérés comme des entités inutiles ». A l’occasion, il explique que les partis ne sont pas soutenus. « On ne peut pas construire une démocratie en étouffant les partis politiques, tout comme pour les médias d’ailleurs », soutient-il. « En disant cela, je ne défends pas une forme de liberté débridée où les passions deviennent maîtresses du jeu. Des règles claires et objectives doivent réguler un apprentissage de la démocratie mais soumettre les partis à des règles tatillonnes et à une forme d’ostracisme ne mènera pas au consensus dont l’Algérie a besoin. A ce titre, j’ai eu l’occasion de lire un projet de loi sur les partis politiques. Si celui-ci devait être adopté tel quel, ce sera la fin du multipartisme !», avertit le président de Jil Jadid.
Même son de cloche du côté du Parti des travailleurs (PT). S’exprimant samedi à la clôture de la session du conseil national de son parti, Louisa Hanoune a également dénoncé une restriction des libertés individuelles et collectives. Restriction qui a fini par déteindre sur l’activité politique. Louisa Hanoune a insisté sur le fait que « la criminalisation des idées est inacceptable ». Elle assure qu’elle «ne constitue pas un bon signe et soumet le pays au chantage de l’étranger». « Ouvrez les médias et laissez-nous débattre des idées et des opinions pour ne pas arriver à la violence et aux dérapages», a-t-elle lancé à l’adresse des autorités. Le Front des forces socialistes (FFS) tire aussi la sonnette d’alarme. Il estime que «le refus de médiations politiques et sociales expose notre pays à des risques d’instabilité et de violence susceptibles de provoquer des ingérences étrangères ».
Khider Larbi