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Trafic d’armes au Sahel : L’ONU lève un coin du voile

Le trafic d’armes à feu dans la région ouest du Sahel a fait l’objet d’un rapport d’une vingtaine de pages qui vient d’être publié par l’Office des Nations unies contre les armes et la drogue (Onudc).

D’où viennent les armes qui circulent illégalement au Sahel ? La réponse est assez surprenante. Contrairement à certaines idées reçues, l’Onudc avance des preuves selon lesquelles «le détournement des armes des militaires nationaux – que ce soit par la capture sur le champ de bataille, le vol dans les armureries ou l’achat à des éléments corrompus de l’armée – est aujourd’hui la principale source d’armes à feu dans les pays du Sahel». Autrement dit, la grande majorité des armes circulant au Sahel proviennent du continent. « Bien qu’il existe des preuves de trafic d’armes à feu à longue portée vers le Sahel, y compris par voie aérienne depuis la France et la Turquie via le Nigeria, il semble que la grande majorité des armes à feu trafiquées dans la région soient achetées en Afrique », précise à ce propos le rapport de l’Onudc.La même source mentionne que certaines armes faisant l’objet d’un trafic proviennent d’anciens conflits comme ceux qui ont ravagé la Sierra Leone et le Libéria il y a une vingtaine d’années.

Des armes en provenance de Libye

La Libye a également été une source majeure de trafic des armes dans la région après le renversement par les Occidentaux de Mouammar El Gueddafi en 2011, en grande partie pillé du stock national libyen. Plus récemment, de nouvelles armes en provenance de Libye ont circulé dans le Sahel, signe que l’embargo sur les armes imposé au pays n’a pas été suffisamment appliqué, a déclaré le directeur de la recherche de l’Onudc, François Patuel, aux journalistes lors de la présentation du rapport.L’afflux d’armes provenant de l’ex-Jamahiriya s’était quelque peu ralenti. Mais depuis 2019, la Libye est redevenue en effet une source d’approvisionnement en armes nouvellement fabriquées. Apparemment, des fusils d’assaut de type AK nouvellement produits, provenant de Libye, sont disponibles sur le marché noir dans les régions de Gao, Tombouctou et Ménaka, dans le nord du Mali. Les modèles de type AK qui constituent une grande partie des fusils d’assaut au Sahel sont durables et souvent encore efficaces au combat des décennies après leur fabrication. Les rebelles qui ont participé aux rébellions touarègues de 1990 au Mali et au Niger, ainsi qu’aux soulèvements précédents, ont conservé bon nombre de leurs armes, qui étaient soit dissimulées dans des caches, soit détenues par des particuliers. En plus de rester dans la région, les armes faisant l’objet d’un trafic au Sahel se rendent également dans les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest et ont été utilisées dans des attaques terroristes dans le Golfe de Guinée.

Etats faillis, zones grises et corruption

Qu’est ce qui facilite le trafic d’armes au Sahel ? Le rapport de l’Onudc indique que de nombreuses zones actuellement connues comme plaques tournantes du trafic d’armes sont « simplement des zones avec une faible présence de l’État, le long des frontières ou des voies de transport où se déroulent de multiples activités criminelles ». Mais la demande d’armes à feu semble être la plus élevée dans le centre du Sahel, note-t-on. Cependant, ajoute-t-on, il y a peu de trafiquants d’armes à grande échelle dans la région, la plupart des armes étant échangées « de manière opportuniste en fonction de l’évolution de l’offre et de la demande ». Le rapport ajoute que les groupes extrémistes violents ne sont pas principalement engagés dans le commerce et qu’il est peu probable qu’ils tirent des revenus importants du trafic d’armes.

Pourquoi le Sahel est le théâtre de nombreux conflits et d’un important trafic d’armes à feu ? Pour l’Onudc, plusieurs facteurs se renforçant mutuellement ont contribué à la croissance de l’insurrection et du banditisme, notamment les tensions intercommunautaires, la violence entre agriculteurs et éleveurs, l’extrémisme religieux violent et la concurrence pour des ressources rares telles que l’eau et les terres arables. Des facteurs environnementaux tels que le changement climatique peuvent également avoir un impact sur les conflits au Sahel. Tous les groupes impliqués ont besoin d’armes à feu et de munitions, et à mesure que leur nombre se multiplie, il en va de même pour les opportunités commerciales pour les trafiquants d’armes dans les pays du Sahel.

Pour l’Onudc, s’attaquer à l’origine illicite et au trafic d’armes à feu est le seul moyen possible de cibler les auteurs à l’origine des réseaux de trafic. Aussi, l’ONU a appelé les gouvernements du Sahel à mieux enquêter et coopérer au niveau international sur le trafic d’armes à feu dans la région. « Les pays du Sahel doivent faire davantage pour lutter contre le trafic d’armes à feu, qui proviennent en grande partie des stocks nationaux en Afrique », précise l’ONU. A ce propos, Leonardo Lara, responsable de la prévention du crime et de la justice pénale à l’ONUDC, a qualifié la corruption de « gros éléphant dans la pièce » et « certainement aussi d’un élément qui doit être pris en compte lorsque nous parlons des moteurs de ce détournement » d’armes. Il a également souligné la nécessité de bases de données nationales sur les flux de traite.  En Afrique, environ quarante millions d’armes sont détenues par des civils, en grande majorité de façon illicite, et une douzaine de millions d’armes circulent en Afrique de l’Ouest.

Khider Larbi

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