Le Président Tebboune pointe une volonté d’imposer l’opacité dans l’administration publique / Numérisation : un processus qui « peine à se concrétiser »
La numérisation de l’administration publique est une priorité. Le président de la République a indiqué, vendredi soir, qu’il n’a eu de cesse d’appeler depuis trois ans, à recourir à la numérisation. Or, il semble que sur le terrain, les choses ne se passent pas forcément comme prévu.
Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a, une nouvelle fois, évoqué la numérisation. Lors de son entrevue avec des représentants de médias, diffusée vendredi soir à la télévision, celui-ci a rappelé qu’il « n’a eu de cesse d’appeler, depuis trois ans, à recourir à ce type de technologie, à même donner des chiffres exacts sans falsifier la vérité, définir les problèmes et en trouver les solutions avec célérité ». Il a, à cet effet, mis en exergue, « l’opacité qui constitue désormais un objectif bureaucratique derrière lequel se cachent ceux qui veulent perpétuer les pratiques du passé ».
« La numérisation est réelle et fiable. De plus, elle ne ment pas, ne falsifie pas les données et fournit la rapidité nécessaire pour résoudre les problèmes »en fournissant des chiffres exacts, a-t-il souligné.
Le Chef de l’Etat a considéré que l’absence de la numérisation était « un acte délibéré » susceptible de conduire à la bureaucratie et à des pratiques de corruption, affirmant que la numérisation deviendra « une réalité, par la volonté ou par la force des choses ». Une quelconque institution peut, aujourd’hui, assurer la numérisation en un court laps de temps, a-t-il dit.
Le constat de la Cour des comptes
Il faut dire que les retards enregistrés dans la réalisation de projets relatifs à la numérisation de l’administration, malgré le caractère « prioritaire » de ces opérations, ont été mis en relief par la Cour des comptes dans son rapport d’appréciation sur l’avant-projet de loi portant règlement budgétaire de l’exercice 2020. Des opérations liées à la numérisation qui ne sont pas, d’ailleurs, concernées par le « gel » de projets dans le cadre d’un quelconque ajustement budgétaire, comme l’a rappelé la Cour des comptes. Pour dire toute l’importance qu’accorde l’Exécutif à cet aspect. Une importance qui finalement n’est pas traduite, pas totalement du moins, sur le terrain. « La numérisation des administrations publiques et l’amélioration du fonctionnement et de la performance de l’administration centrale, des services déconcentrés, ainsi que la garantie de la continuité de service en toutes circonstances constituent un axe prioritaire dans le plan d’action du gouvernement », a rappelé, dans ce sens, la Cour des comptes. « Le caractère prioritaire a été également rappelé dans la note d’orientation sur la préparation de l’avant-projet de loi de finances et du budget de l’État pour 2020, qui prévoit la nécessité de prendre en considération, lors de l’élaboration du projet de budget des ministères, les engagements pris par les pouvoirs publics en 2018 et 2019 pour financer les projets programmés, parmi lesquels l’opération de numérisation », ajoute-t-on encore. Il est précisé, par ailleurs, dans le rapport que « la lettre n° 6257 de la Direction Générale du Budget du 18/11/2020, relative à l’ajustement budgétaire, a exclu, du processus de gel, les opérations relatives à la numérisation des administrations et établissements publics ». Or, « le contrôle d’exécution des crédits affectés à ce programme dans les différents départements ministériels a révélé, qu’à fin 2020, le processus de mise en place des opérations de numérisation peine à se concrétiser en raison de plusieurs facteurs ».
La Cour des comptes donne, à cet effet, quelques exemples, touchant plusieurs ministères. Tout d’abord, il y a le ministère de l’Industrie et des Mines qui « a bénéficié, en 2019, d’une autorisation de programme de 229,060 millions de DA pour l’acquisition de 1.460 ordinateurs, 332 scanners, 292 imprimantes, 122 firewalls et 146 switchs réseau, en plus de l’installation du réseau ». Néanmoins, a relevé la Cour, « jusqu’au mois de mars 2022, cette opération n’est pas encore individualisée pour défaut d’élaboration du cahier des charges nécessaire pour lancer son exécution, accusant, ainsi, un retard dépassant trois (03) ans ». Même chose du côté du ministère de l’Intérieur, qui a enregistré un retard « dans la mise en œuvre de l’opération inscrite en 2018 à l’indicatif de l’administration centrale sous le n° NE 5.861.3.262.005.35 intitulée : solution de chargement des applications sur les titres et documents sécurisés et la gestion des clés KMS, et qui a fait l’objet de gel ». « Cette opération, et d’après les éléments de réponse du Ministère à la note sectorielle relative à l’évaluation des conditions d’exécution des crédits alloués au MICLAT au titre de l’année 2019, a connu des difficultés dans son exécution liée à la demande du service utilisateur (la Direction générale de la modernisation, de la documentation et des archives DGMDA), ayant révélé que l’achèvement de cette opération est tributaire du déploiement des solutions qui sont en cours de développement pour l’exploitation de la CNIBE (Carte Nationale d’Identité Biométrique Electronique) », constate le Cour. Ce qui signifie, ajoute encore le rapport, que « l’opération en question n’a pas atteint une maturation suffisante permettant son inscription et lancement, ce qui a conduit à son gel malgré son importance en matière de modernisation et de développement des systèmes d’information et du service public ». Il est précisé dans le même ordre que « malgré l’exclusion du gel des opérations relatives à la numérisation des administrations et institutions publiques, le ministère n’a pas pris des démarches pour accélérer le processus d’achèvement de cette opération ». D’autres ministères sont également concernés par cette problématique. Il y a celui du Tourisme, à propos du « lancement de sept (07) opérations destinées à la numérisation inscrites au budget d’équipement au cours de l’année 2019, pour un montant de 391 millions de DA ». Ou encore le ministère des Affaires religieuses, « qui a bénéficié d’une autorisation de programme de 841 millions de DA et d’un crédit de paiement de 614 millions de DA, afin d’installer un système numérique pour l’administration centrale, les services déconcentrés et les établissements sous tutelle, conformément à l’instruction du Premier Ministre n° 20 du 07 janvier 2019 », un programme qui n’a pas démarré « au mois de mars 2022 ». On peut citer aussi le département de la Communication, celui de l’Education nationale ou même de l’Energie qui « a bénéficié d’une AP de 79,82 millions de DA, notifiée sous la décision de programme n° 308/2019 du 11 Mars 2019, d’un rattachement de crédits de paiement pour 2019 de 33,50 millions de DA qui n’a pas connu de consommation et des crédits de paiement pour l’année 2020 de 23,17 millions de DA ». « Le calendrier de réalisation joint à la décision d’inscription indique que le démarrage de l’opération se fait au cours du 3éme trimestre de l’année 2019 et son achèvement est prévu au cours du 4éme trimestre de l’année 2021 », a indiqué la Cour des comptes, avant d’ajouter que « jusqu’à avril 2022, le ministère n’a procédé qu’à l’individualisation de l’opération sans entamer les procédures nécessaires à l’exécution de cette opération ».
Globalement, la Cour des comptes évoque un problème de « maturation » des projets, lancés souvent avant qu’ils ne soient bien cernés. D’ailleurs, la Cour a recommandé, « l’amélioration de la qualité d’inscription et de mise en œuvre des programmes d’équipement et de proposer, au financement, les seuls projets ayant atteint un niveau de maturation requis, pour éviter les retards dans leur réalisation, ainsi que le recours récurrent à des réévaluations insoutenables pour le Trésor public ».
Elyas Nour