Objectifs stratégiques de la coopération entre l’Algérie et la France : Faire de l’Afrique et de la Méditerranée des espaces de sécurité et de prospérité partagée
Par Abderrahmane Mebtoul
L’Algérie et la France ont traversé une période de crise passagère à la suite de « l’affaire Bouraoui ». L’entretien téléphonique entre les présidents Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron le 24 mars en cours acte la fin du malentendu et les autorités des deux pays ont décidé de renforcer leur communication pour que cela ne se reproduise plus.
Lors de la dernière visite du président français en Algérie fin août 2022, les deux présidents, algérien et français ont signé le 27 août 2022 à Alger, une déclaration commune pour un partenariat renouvelé, concret et ambitieux dans divers domaines, afin de relancer la coopération économique et sécuritaire. Une visite suivie de celle de la Première ministre française accompagnée de 16 ministres en Algérie les 09 et 10 octobre 2022 pour co-présider avec le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane la Ve session du comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN), une réunion qui rassemble les gouvernements algérien et français, une première depuis 2017.
Des relations mouvementées du fait du poids de l’histoire : quelles perspectives ?
L’Algérie et la France ont décidé la création d’un Haut Conseil, chargé de suivre les relations et leur évolution, d’une réunion des premiers ministres et des membres des deux gouvernements périodiquement ainsi que de visites bilatérales pour fixer l’agenda de coopération entre les deux pays. La Déclaration d’Alger a pour but de concilier à la fois le devoir de mémoire et préparer l’avenir, surtout en ce monde incertain et turbulent qui devrait connaître un profond bouleversement géostratégique d’ici à 2030. Depuis des années, l’épanouissement de la relation stratégique approfondie entre l’Algérie et la France est systématiquement entravé, pour des raisons obscures, par de puissants lobbies ne voulant pas d’une relation apaisée entre l’Algérie et la France. Dans ce cadre, le facteur culturel se fondant sur la tolérance et le respect d’autrui est important pour aplanir les divergences. C’est que l’ère des confrontations n’a eu cours que parce que les extrémismes ont prévalu dans un environnement fait de suspicion et d’exclusion. Connaître l’autre, c’est aller vers lui, c’est le comprendre, mieux le connaître et non lui imposer un schéma social contraire à ses valeurs. Dans ce cadre, le devoir de mémoire est important pour l’Algérie afin de préparer l’avenir, loin de tout esprit de domination. Aussi, l’installation de la commission annoncée de chercheurs algériens et français sur toute la colonisation et la Guerre d’Algérie est importante pour le devoir de vérité.
Dans le domaine économique et socio-culturel, comme cela a été souligné par les responsables de la communauté européenne , l’Algérie est un partenaire stratégique pour l’Europe, notamment en matière énergétique et dans bien d’autres activités. L’attractivité du marché algérien découle des avantages comparatifs suivants : la proximité géographique des marchés potentiels d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient ; la taille du marché intérieur étant estimée à plus de 45 millions de consommateurs ; des richesses naturelles importantes ; des ressources humaines ; des réserves de change estimées par la Banque d’Algérie à 63 milliards de dollars à fin février 2023 avec une baisse de l’encours de la dette extérieure à 2,914 milliards USD à fin septembre 2022. Ainsi, la France et l’Algérie ont convenu de renforcer leur coopération en priorité sur les secteurs d’avenir : le numérique, les métaux rares, la santé, l’agriculture et le tourisme. Dans le domaine de l’énergie, l’Algérie est par ailleurs, un acteur stratégique pour l’Europe dans son approvisionnement énergétique (12 % en 2022) , et peut doubler ses capacités à l’horizon 2025-2027,sous réserve d’une plus grande efficacité énergétique. Une question tributaire de solutions pour l’épineux dossier des subventions, du développement des énergies renouvelables pour satisfaire la consommation intérieure et d’un investissement massif des compagnies internationales qu’elle encourage à travers la nouvelle loi des hydrocarbures. Il a été convenu de coopérer sur la transition énergétique – notamment au travers d’une coopération dans les domaines du gaz et de l’hydrogène – et de lancer un programme de recherche d’innovation technologique sur la récupération et le traitement du gaz de torché. La recherche verra le renforcement de la coopération sur les fouilles archéologiques, de la coopération entre l’Institut Pasteur de France et l’Institut Pasteur d’Algérie pour favoriser la mobilité de chercheurs et la mise en œuvre des programmes de recherche conjoints. Concernant la jeunesse, il a été décidé de conclure un nouveau pacte pour la jeunesse, portant sur l’ensemble de ses dimensions et se traduisant par la mise en œuvre de projets concrets, dont la « création d’un incubateur de start-ups en Algérie » et « l’appui à des projets d’investissement d’avenir en France et en Méditerranée, initiés notamment par les PME, à travers le Fonds de 100 millions d’euros pour les entrepreneurs issus de la diaspora maghrébine, et qui sera implanté à Marseille. N’oublions pas le nombre de résidents d’origine algérienne dans le monde, recélant d’importantes potentialités intellectuelles et économiques. La promotion des relations entre l’Algérie et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile. (Voir Pr A. Mebtoul : « Les axes de la coopération Europe/Maghreb », IFRI, décembre 2011, et la conférence sur ce même thème en juin 2021, à l’invitation de la Délégation de la commission européenne, à Alger).
L’Algérie un acteur stratégique de la stabilité des espaces méditerranéen et
Concernant le volet géostratégique et face aux tensions géostratégiques dans le monde, chaque pays a des positions spécifiques notamment sur le conflit en Ukraine, en Asie, au Moyen Orient, au Sahara occidental et les tensions au Mali et en Libye. Dans plusieurs rapports entre 2018 et 2022, les autorités tant américaines que européennes, russes et chinoises, ont tenu à souligner qu’avec les tensions observées dans la région, l’Algérie contribue à la stabilisation de son voisinage immédiat. L’instabilité de la région a un effet négatif sur toute l’Europe et renvoie d’ailleurs à l’urgence d’une nouvelle architecture des relations internationales fondée sur le co-développement. C’est dans ce cadre, qu’a eu lieu, en marge de la visite du président français en Algérie, la rencontre entre les différents services de sécurité algériens et français ayant réuni, du côté algérien, le chef d’état-major de l’armée (ANP), le Directeur général de lutte contre la subversion, le Directeur général de la Sécurité intérieure (DGSI) et le Directeur général de la Documentation et de la Sécurité extérieure (DGDSE) et, du côté français, le ministre des Armées, le chef d’état-major des armées et le Directeur général de la Sécurité extérieure , rencontre largement médiatisée dans la plus totale transparence. Par la suite, le chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP), à l’invitation du chef d’état-major des armées françaises, a effectué une visite de travail les 23/25 janvier en France, ayant été reçu par les plus hautes autorités françaises, dont le président français. Cette visite s’est s’inscrite dans le cadre du renforcement de la coopération entre l’ANP et les armées françaises, selon le communiqué officiel du MDN. Le chef d’état-major de l’ANP a tenu à rappeler la réhabilitation des deux anciens sites d’essais nucléaires français, à Reggane et In Ikker, et la restitution des cartes topographiques permettant la localisation des zones d’enfouissement, non découvertes à ce jour, des déchets contaminés, radioactifs ou chimiques. Il a également évoqué avec les responsables français la question de la sécurité en Méditerranée et la région du Sahel. L’Algérie entretient, dans le cadre du respect mutuel, d’excellentes relations avec les USA, la majorité des pays européens, comme en témoigne la récente visite de la Première ministre de l’Italie, du haut conseiller britannique de la Défense pour la région MENA, du ministère de la Défense britannique, et avec la Chine et la Russie pour ne parler que de ces acteurs. Comme viennent le souligner la Première ministre de l’Italie et la secrétaire d’Etat adjointe américaine en charge des organisations internationales, Michele Sison, lors de leurs visites à Alger, l’Algérie est un pays leader dans le règlement des conflits au niveau régional.
En raison des facteurs économiques et sécuritaires précédents, l’Afrique est enjeu du XXIème siècle, ce qui motive les rivalités entre les grandes puissances. Le continent est une priorité stratégique pour l’Algérie où de par sa position géographique peut servir de pont en direction de l’Afrique tant pour l’Europe que dans le cadre de la route de la Soie initiée par la Chine. Cela explique sa stratégie d’investissement dans les infrastructures en direction de ce continent notamment dont le projet du port de Cherchell et la réalisation de la route transsaharienne, ou en abrégé la qui relie Alger à Lagos longue d’environ 4 800 km, qui s’inscrit dans le projet de réseau reliant six pays, l’Algérie, la Tunisie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Nigeria . La population de l’Afrique est passée de 100 millions d’habitants en 1900, à environ 275 millions dans les années 1950-1960, puis à 640 millions en 1990 et à 1,4 milliard en 2022 soit 18 % de la population mondiale avec un quart horion 2035/2040. Ce serait une erreur politique de considérer l’Afrique comme un ensemble homogène. Il n’existe pas une Afrique mais des Afriques avec des spécificités économiques et culturelles inter et intra régionales du fait du poids de l’histoire. Le PIB de l’Afrique devrait passer de 2 980,11 milliards de dollars en 2022 pour 55 pays soit 12 à 13% d’un seul pays comme les USA , à 4 288,08 milliards de dollars en 2027, soit une hausse de 43,89%. Même si les exportations africaines de biens et services ont enregistré une croissance particulièrement rapide au cours des dix dernières années, elles représentent à peine 3 % du commerce mondial en 2022, loin de ses importantes potentialités. L’Afrique est caractérisée par la faiblesse de son intégration qui est de l’ordre de 11/12 % alors que le flux des échanges entre pays européens est de plus de 60 %. Il est utopique pour l’instant de parler d’intégration de tout le continent Afrique, mais de sous intégrations régionales, l’important est de dynamiser des effets économiques de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) afin de stimuler la croissance, de réduire la pauvreté et d’élargir l’inclusion économique dans les pays concernés. Selon des simulations reposant sur l’amélioration de l’efficacité des marchés des produits et du travail, de dégrèvements tarifaires progressifs, et en supposant des entreprises concurrentielles en termes de coût /qualité s’alignant sur les normes internationales, la mise en œuvre de la zone de libre échange africaine permettrait, selon un rapport de l’OUA, de sortir 30 millions d’Africains de l’extrême pauvreté, d’augmenter les revenus de près de 68 millions d’autres personnes qui vivent avec moins de 5,50 dollars par jour ; d’augmenter les revenus de l’Afrique de 450 milliards de dollars d’ici à 2035 (soit une progression de 7 %). Des objectifs tributaires du renforcement des mesures de facilitation des échanges, de lever les freins bureaucratiques et simplifier les procédures douanières ce qui permettrait d’accroître de 560 milliards de dollars les exportations africaines.
En conclusion, espérons l’atténuation des tensions entre l’Algérie et la France et que la prochaine visite du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, à Paris prévue au mois de mai prochain, puisse promouvoir l’esprit de paix, l’ouverture d’esprit entre l’Europe, via la France, et l’Algérie, tous deux acteurs stratégiques du pourtour méditerranéen – une mer qui, depuis trois mille ans, a vu la naissance de grandes civilisations, religions, cultures et traditions. L’Algérie entend défendre, comme tout pays, avant tout ses propres intérêts car dans les relations internationales n’existent pas de fraternité ni de sentiments, mais des intérêts, les opérateurs – qu’ils soient arabes, algériens, chinois, russes, français ou américains, ont pour objectifs de réaliser le profit maximum. Comme je l’ai fortement souligné lors du sommet de la société civile, qui est au centre de la coopération euro-méditerranéenne et euro-africaine, tenu à Marseille le 24 juin 2019 – où j’ai présidé la délégation algérienne, en tant que président de la commission transition énergétique des 5+5+Allemagne, qui a réuni les ministres des Affaires étrangères, le FMI, la Banque mondiale et les représentants de la Commission européenne –, il s’agit de préparer – l’avenir par le respect mutuel afin de contribuer – ensemble – à la stabilité régionale et au co-développement grâce au dialogue des cultures et la tolérance – source d’enrichissement mutuel.
A.M.